Je livre ceci aux spécialistes:
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Le premier à bousculer les lois de la bataille en ligne, c'est Suffren, une figure étonnante. C'est un baroudeur, un personnage haut en couleur, qui change les règles du jeu, à la grande indignation des Anglais. Aux Indes, vers 1780, il bricole ses bateaux, attaque de front, bille en tête, au lieu de tirer sagement en ligne, à une époque où, finalement, on souhaitait ménager les hommes et les bâtiments, et où on évitait l'abordage. Suffren fait tourner ses équipages, met des Indiens à bord, se nourrit de riz, bouge et s'adapte, renvoie ses capitaines qui râlent. Il est très populaire auprès des équipages et presque aussi crasseux qu'eux. Nelson va s'en souvenir!
Et pourtant l'Angleterre a déjà une vraie supériorité sur la France...
Elle a compris que la marine française a un point faible: les hommes. Nous n'avons que 100 000 marins quand l'adversaire en compte 300 000. Du coup, les Anglais gardent leurs prisonniers. Et, sans équipage, la flotte est paralysée. En cas de guerre, l'Angleterre ferme ses ports et rafle tous les hommes valides pour le combat, ce que refuse de faire la France. Le manque de marins sera un handicap pour Bonaparte.
Justement, quelles étaient les ambitions de ce dernier pour la marine?
Il s'était fixé un objectif: 100 vaisseaux de guerre, alors que l'Angleterre en comptait 300. Le problème, c'est que la plupart des officiers de marine étaient des nobles partis en exil. Même s'il est corse et a fait connaissance avec la mer, notamment lorsqu'il s'est embarqué pour la campagne d'Egypte, Napoléon ne comprend pas le maniement de cette force qui est moins rapide et réactive que l'armée de terre: en deux mois, on peut former un fantassin, pas un marin; il faut dix-huit mois pour construire un navire et 100 canons pour l'armer; un bateau dépend du temps, des courants… Bref, tout cela exaspère cet homme trop pressé. Et puis l'armée de terre l'admire, alors qu'il n'a pas la même aura dans la marine. Napoléon donne sans cesse des ordres et des contre-ordres, or, sur les mers, il faut adopter une stratégie à long terme et s'y tenir.
Face à Nelson, a-t-il des grands stratèges à aligner?
Pas vraiment. Il y a bien Surcouf, qui déstabilise l'ennemi. Ce n'est ni un stratège ni un militaire, mais un simple corsaire, si talentueux soit-il. En face, la marine anglaise est superentraînée, solidaire. C'est une confrérie dotée d'une tradition, avec un état-major à terre, contrairement à la France, où la stratégie navale est longtemps dirigée par des civils.
D'où la défaite française à Trafalgar...
Oui, mais, auparavant, il y a eu celle d'Aboukir. Autrefois, les batailles navales pouvaient durer deux jours. Celle-là va durer à peine dix heures (Trafalgar sera réglée en cinq heures). A Aboukir, en 1798, c'est-à-dire pendant la campagne d'Egypte, la flotte française s'embosse dans la baie d'Alexandrie, mais trop loin de la côte. Nelson, du coup, se glisse entre le rivage et l'escadre française, qu'il prend en étau. A Trafalgar, en 1805, la flotte franco-espagnole se met en ligne mais Nelson, plutôt que de l'imiter, attaque en pointe et rentre dans le lard de l'adversaire, en plein milieu. Une fois sa percée réussie, il détruit les navires ennemis les uns après les autres et donne l'abordage, ce qu'on n'avait plus vu depuis longtemps. Il faudra une victoire terrestre française - Austerlitz - quelques semaines plus tard pour tenter de faire oublier aux Français ce cuisant échec naval.
«Désormais, les conflits terrestres se jouent aussi à partir de la mer»
Nelson est-il vraiment un aussi grand stratège qu'on le dit?
Oui, il a une vision, une aura, du courage et de l'expérience. Il poursuit les flottes françaises depuis dix ans et l'emporte systématiquement. A la chute de Napoléon, en 1815, la marine française est ravagée. Mais, paradoxalement, c'est une occasion pour passer immédiatement à l'étape technologique suivante. Avec la machine à vapeur, le blindage et l'obus, la marine moderne naît vers 1830 et permet à la France de constituer son nouvel espace colonial, toujours selon les mêmes stratégies: protection des convois et des colonies, conquêtes, expansion. Plus tard, avec le charbon, l'électricité puis le nucléaire, on ne cessera d'élargir encore le rayon d'action.
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