D'après "Place à Monsieur Larrey" de Jean Marchioni.
Printemps 1809 - île de Lobau.
Un boulet de gros calibre, en fin de course donc plus dangereux, dilacère la jambe gauche de Lannes avant de fracasser le genou. Lannes s'effondre et perd connaissance sous la violence du choc.
Personne n'aurait osé entreprendre l'amputation à cause du peu d'espérance de succès que présentait cette opération, et d'après l'état de stupeur et de prostration extrême où était le blessé.
Cependant, Larrey se décide. Elle fut pratiquée en moins de deux minutes, et le maréchal donna très peu de signes de douleur.
(1. Dans le tome III de ses Mémoires, publié en 1812, soit trois ans après, Larrey précise bien qu'il a amputé le genou et la jambe gauche du maréchal Lannes. C'est cette version qui fait autorité. Par contre, dans sa "statistique chirurgicale" du tome V publié en 1841 (où il émet d'ailleurs en avant-propos quelques réserves sur la fraîcheur de ses souvenirs), il parle de l'amputation de la cuisse droite. Cette inversion est confirmée dans le tableau de Boutigny.) - p.317
Napoléon a visité Lannes.
La plaie du moignon avait un aspect favorable mais dans la nuit du sixième au septième jour après la blessure, voici un premier et violent accès de fièvre. Douze heures après, second accès puis un troisième entraînant délire et prostration, alors qu'il n'y a ni gangrène, ni suppuration. "Sa Majesté, informée du danger ou était son brave lieutenant-général, vint le visiter sur son it de douleur." Lannes a demandé à rester seul avec Napoléon.
On fait appeler le plus célèbre des médecins viennois, le docteur Franck, qui confirme diagnostic et traitement: c'est bien le typhus qui a frappé le maréchal, comme le redoutait Larrey. Encore sous l'effet du choc opératoire, son organisme n'a pu se défendre. A la fin du neuvième jour, Lannes expire après une courte phase de délire complet.
Avec la disparition de Lannes, c'est aussi pour Larrey la jeunesse qui s'éloigne, n'étaient-ils pas tous deux membres du "club des Anes" au Caire? Dix ans ont passé mais les souvenirs d'Orient ressurgissent dans tous les esprits.
Napoléon bouleversé ne retient pas ses larmes.
Sur la demande de Napoléon, Lannes est embaumé.
Dans une grande salle du château de Schoenbrünn, aidé de Cadet de Gassicourt, "pharmacien ordinaire" de la maison de l'Empereur, qui prépare à ses côtés le bain de sublimé Corrosif (bichlorure de mercure) dans lequel le corps sera plongé pendant huit jours, Larrey procède à l'embaumement du corps selon la technique qu'il a apprise en Egypte et déjà utilisée à Austerlitz. Le cœur est prélevé, traité à part, pour être adressé à Mme Lannes. Envoyé à Strasbourg à l'intérieur d'un tonneau de sublimé, le corps sera là séché puis, comme les momies, enroulé de bandelettes. Neuf mois après, le pharmacien Fortin écrit à Cadet: "Grâce à vos soins et à ceux de M. Larrey, l'embaumement du maréchal a parfaitement réussi." Exposé dans un cercueil, le visage découvert, le corps du maréchal sera dans un tel état je conservation que Mme Lannes, en l'apercevant, s'évanouira d'émotion.
La Grande Armée accomplit son deuil dans le silence et la douleur générale.
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