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Voici, extrait du "Journal d'Aimée de Coigny", le jugement complet de la belle captive.
"Maximilien de Robespierre devrait m'inspirer la plus grande horreur, car enfin c'est sous sa domination que j'ai connu la prison, manqué de peu de perdre la tête. et vu partir à l'échafaud beaucoup de mes amis et parents des deux sexes. Si je suis peu rancunière envers sa mémoire, c'est qu'il me semble qu'on a rassemblé sur son nom toutes les horreurs de ceux qui l'ont précédé, entouré, trahi et abattu. Peut-être était-il véridique le 8 thermidor, en disant à la Convention : “ Que suis-je ? Un esclave de la liberté, un martyr vivant de la République, la victime autant que l'ennemi du crime. ” C'étaient ce jour-là encore les apitoiements sur lui-même d'un affreux petit rhéteur, mais deux jours plus tard, il les signait de son sang.
C'était un travailleur immense, et malgré sa timidité, dès l'Assemblée nationale, il en imposait, parmi de grands orateurs bien plus doués que lui. C'était un fils de Rousseau. Il était logique, cohérent, tout à fait inhumain, l'aspect d'un chat sauvage. Il voulait rendre les hommes vertueux, le Fils de Dieu lui-même y a failli. “ La vertu produit le bonheur, disait-il, comme le soleil produit la lumière. ” S'il le croyait vraiment, M. de Robespierre était bien naïf ou avait trop peu vécu.
Il se fit le plus grand tribun du peuple, peut-être, de notre histoire. Que pouvait-il trouver là ? En temps de révolution, la passion dominante du peuple, ou plutôt, aurait dit Hébert, des va-de-la-gueule et des oisifs, encadrés par des déclassés, c'est J'envie. Décent, grave, élégant, plus Robespierre les flattait, plus ces jacobins étaient flattés de l'être par cet homme vertueux, dénonciateur inlassable des traîtres que lui livrait, et en tant que de besoin lui fabriquait une police personnelle redoutable, dont Héron fut le chef occulte et tout-puissant.
Avec tout cela, Robespierre n'était pas un anti-monarchiste systématique. Toute sa carrière a pivoté autour des négociations de juillet 1792 avec la famille royale. Après Mirabeau, il a failli reprendre le rôle de Monck.
Après le 10 août, pour lui et beaucoup d'autres, il fallait à jamais le silence sur tout cela. D'où la mort de la princesse de Lamballe, si avantageuse aussi au duc d'Orléans son beau-frère, d'où la furie glaciale que fut constamment Robespierre au procès du roi.
M. de Robespierre aimait peut-être le peuple, l'humanité, etc., mais guère les hommes et pas du tout les femmes. M. de Lameth m'a dit qu'à Versailles, au temps de la Constituante, il lui avait emprunté ostensiblement deux louis “ pour aller voir les filles ”. Cela surprend, d'un homme aussi réservé. Chez les Duplay, sa chambre était garnie de ses propres portraits. C'était Narcisse ? Il se cacha pour aller voir conduire à l'échafaud Charlotte Corday, la robe rouge plaquée sur son corps par la pluie, et dans nos prisons on murmurait qu'il avait fait mourir la marquise de Sainte-Amaranthe et sa fille Sartine parce... qu'il n'avait pu avoir la seconde. Il avait beaucoup vécu avec sa mère, ou sa soeur, que le roi Louis XVIII pensionne aujourd'hui. Il fit souvent courir le bruit qu'il allait se marier, et même avec Madame Royale, qu'il alla épier, au Temple. Il fut longtemps traité comme un enfant par Mme Duplay, que l'on a bien vite étranglée dans sa prison, par ses filles. Sa figure blanche, ses yeux malades derrière des lunettes fumées, sa démarche saccadée, son chien Blount, son linge fin... Quel homme était Maximilien de Robespierre ? En était-il un seulement ?
Robespierre voulait être un réformateur religieux et social. Le premier point trébucha sur la ridicule histoire de Catherine Théot et de Dom Gerle, après la ridicule fête de l'Etre Suprême, où David dut empocher pas mal d'écus, s'étant juste donné la peine de faire repeindre les décors de la Fête de la Nature d'Hérault de Séchelles. Pour le second, ce fut sa perte, et toutes sortes d'ombres enveloppent ses derniers jours. Il correspondait avec le comte de Provence, il avait constaté la substitution du dauphin, il notait “ les ennemis, ce sont les riches ”. Il vivait comme tous les potentats solitaires dans une atmosphère irréelle d'adulation. Les courtisans les plus empressés furent les assassins les plus véhéments, accablant sa mémoire du poids de sang de la Terreur qu'il eût peut-être terminée avec leurs têtes.
En décapitant Robespierre, ces misérables avaient décapité leur révolution jacobine et le système sur lequel ils comptaient pour pouvoir lui succéder ; ils n'eurent que le temps d'emboîter le pas à la légende qu'ils répandaient.
Dans la mémoire des hommes, les vaincus ont toujours une mauvaise place. Au moins je laisse volontiers à M. de Robespierre le beau nom d’Incorruptible, et pour le reste on lui fit cette épitaphe :
Passant, ne pleure point mon sort
Si je vivais, tu serais mort."
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