L'Énigme des Invalides

Extrait du livre de Jean Orieux "Talleyrand" :

"Comment se seraient-ils rapprochés si Blanc D'Hauterive ne les avait un jour mis face à face et réconciliés ? On connait d'Hauterive, le bras droit de Talleyrand au ministère de la rue du Bac. Ex-oratorien comme Fouché, il avait gardé avec lui de bonnes relations et ne comprenait pas que ces deux hommes fussent ennemis. Il connaissait les idées de Talleyrand sur la politique de Napoléon ; quand Fouché lui confia les siennes, qui étaient les mêmes, d'Hauterive n'eut de cesse de les convaincre l'un et l'autre qu'ils étaient faits pour s'unir.

Leur première entrevue eut lieu -qui l'eut cru ?- chez la princesse de Vaudémont, née Montmorency. Elle avait, disait-on, "un esprit de la Ligue, un tempérament de la Fronde"; Son salon réunissait tout ce qui se présentait, quelles qu'en fussent les origines et les opinions. Aucune personnalité n'y dominait, la sienne y suffisait "Elle estimait que ses petits chiens avaient le droit de mordre les ministres et les ambassadeurs...

Vraiment, Talleyrand choisissait bien les nids où se couvait la chute de l'Empire. La rencontre de Talleyrand et du régicide se passa bien : ils se tendirent la main. Talleyrand fit sa cour. Quand Fouché disait quelque lieu commun, l'évêque prenait des airs éblouis et murmurait avec componction : "Ceci, Fouché, prenez-y garde, est de la plus haute diplomatie." Mais ce n'étaient que quelques broutilles : on s'apprêtait à jouer une partie dangereuse : ou on renverserait Napoléon ou on y laisserait sa tête.

A l'une de ces soirées, se trouvait Madame Mère : elle fut étonnée d'y rencontrer Fouché. Elle le fut bien davantage de le voir en conversation avec Talleyrand. Elle se glissa près d'eux, tendit l'oreille, attrapa quelques mots qui lui firent comprendre qu'on ne faisait pas grand cas de son "nabulio"... Mme letizia fut tout de même si intriguée qu'elle l'écrivit à l'Empereur, en Espagne.

...Metternich en savait plus long qu'elle et il écrivait à Vienne : "Deux hommes tiennent en France le premier rang dans l'opinion et dans l'influence du moment : MM. de Talleyrand et Fouché ; jadis opposés de vue et d'intérêt, ils ont été rapprochés par des circonstances indépendantes d'eux-mêmes."

Que ce soit par le jeu des circonstances, celui du simple hasard ou encore celui des relations, ces deux opportunistes comploteurs étaient faits pour se rencontrer et s'entendre.
La diplomatie compassée du prince de Bénévent s'alliait à merveille au goût des intrigues que cultivait le duc d'Otrante.
En mêlant leurs "talents" respectifs, ils constituaient une force capable d'ébranler un Empire.
Lorsqu'ils en prirent conscience l'un et l'autre, leur complicité fut instinctive.

" Simplement ", deux Assoifé de pouvoir !