L'Énigme des Invalides

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 Sujet du message : Pour en revenir à Talleyrand !
Message Publié : 29 Oct 2004 14:08 
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Extrait d'une correspondance à ce propos:

Mais non, cher ami, vous vous trompez… Il ne s’agit pas d’un débat napoléonico-napoléonien, mais d’une question très souvent abordée par les historiens de la période, comme la question de la trahison du maréchal Pétain peut être examinée par leurs confrères, spécialistes de la IIème guerre mondiale.

Pour ne pas se perdre dans d’inutiles péroraisons, le mieux est certainement de se référer aux historiens les plus illustres de cette période de l’Empire :
on pourrait parler d’arbitrage… J’en vois un, celui de Jacques Bainville. C’est l’équivalent d’une pièce à charge (Napoléon, p.303).

« Talleyrand, à Erfurt, passe pour avoir trahi. Sa trahison a consisté à faire une autre politique que celle de son maître et A REVELER AUX PUISSANCES ETRANGERES LES INSTRUCTIONS QU’IL AVAIT RECUES […]. Alarmé de l’extension des conquêtes, il veut appliquer « sa loi du possible » […] ; Il tente de rappeler Napoléon à la mesure, comme s’il dépendait de Napoléon de se modérer. Ne pouvant le convaincre, il en est venu à cette idée dangereuse de l’y contraindre. Il le calmerait en poussant la Russie et l’Autriche à la résistance. La pénétration de Talleyrand lui faisait comprendre que l’empereur s’aveuglait sur l’alliance russe et craindre que, par la confiance qu’il en tirait, il n’allât s’égarer encore plus loin, par un partage de la Turquie, dans des aventures orientales. Que le Czar lui « tint tête », et Napoléon serait arrêté, immobilisé pour son propre bien. Talleyrand était pourtant LE PLUS AVEUGLE DES DEUX quand il croyait à la possibilité de conserver les conquêtes en les limitant. Il méconnaissait à la fois les exigences d’une lutte inégale contre l’Angleterre et la résolution avouée ou secrète des grandes puissances de ramener la France à ses anciennes frontières et de ne lui laisser aucune de ses annexions. Alors le jeu que Talleyrand croyait subtil devenait NAÏF. Lorsqu’il conseillait à Alexandre de « tenir tête » à Napoléon, c’était pour que, l’Alliance étant ébranlée, Napoléon cessât de croire que tout lui était permis Lorsqu’il informait Metternich des projets de l’empereur sur l’Orient et suggérait à la cour de Vienne de surveiller à la fois Alexandre et Napoléon et de jouer le rôle d’arbitre, IL CROYAIT CONTINUER LA POLITIQUE D’EQUILIBRE qui, avant la Révolution, avait été celle de la France. Il ne voyait pas que les circonstances avaient changé aux yeux des autres puissances et que l’équilibre avait été rompu par la réunion de la Belgique et de la rive gauche du Rhin. ALORS ALEXANDRE ET METTERNICH ACCUEILLENT ET ENCOURAGENT LES CONFIDENCES de Talleyrand. Ils s’en servent pour leurs propres fins, concluant que la confiance en Bonaparte a baissé, puisque, DANS SON ENTOURAGE MEME, UN HOMME INVESTI DE HAUTS POUVOIRS ne craint pas d’avoir des intelligences, enveloppées eût dit Bossuet, « dans l’obscurité d’une intrigue impénétrable » et qui, à ce prévoyant du lendemain, assurent déjà une place au congrès de la paix future.

Napoléon quitte Erfurt trompé, trahi, ne s’avouant pas que l’esprit de Tilsitt s’évapore, triste pourtant comme après une fête manquée. »

Vous l’avouerez, cette page est lumineuse sur « l’esprit d’Erfurt », sur la fatuité d’un personnage qui, s’estimant de loin supérieur à tous ses rivaux, s’aveugle totalement sur sa capacité à modérer l’Europe des Rois et surtout, son propre souverain, à qui il a prêté serment (et non allégeance). Je veux bien que la trahison ne soit pas encore totalement préméditée, lucide et parfaitement orchestrée, mais alors, il faut quand même souligner l’imbécillité d’une telle démarche qui ne fait que renforcer les adversaires de la France et donc affaiblir Napoléon.

Napoléon –qui à cet instant- est encore la meilleure chance de la France, Napoléon est joué, affaibli. Meilleure chance pour quoi ? Ne vous en déplaise, pour réaliser « le grand dessein », celui de Henri IV, de Richelieu et de Louis XIV : « la France ne trouvera sa fin que sur le Rhin ». Et cette question est liée à la prépondérance en Europe, voire dans le Monde. Ce n’est pas nostalgie que de le dire : c’est une constatation ; c’était la politique étrangère de la France, du XVIème au début du XIXème siècle, hormis l’intermède de Louis XV et de Louis XVI !

Comme le remarque Louis Madelin, « le prince de Bénévent vient de se rendre coupable d’un acte formel de trahison ». Plus loin, il explique : « si Napoléon ne tirait pas d’Erfurt les résultats qu’il en attendait, à savoir le resserrement de l’alliance franco-russe, et en conséquence l’engagement formel et sincère pris par le Czar d’empêcher l’Autriche d’armer, la France était menacée autant que l’Empereur de voir se rouvrir l’ère des coalitions. » Et comme le reconnaît André Castelot : « en fait, le prince trahissait la France en trahissant le souverain ; l’Empereur était engagée dans une voie difficile, mais la France était engagée avec lui ! » (la campagne de Russie ; p.36)

On sait assez les conséquences de ces palinodies : l’Autriche –plus que jamais entraînée à entamer sa revanche- avec une Russie qui l’encourage en sous-main, lui promettant en cas de conflit, de lui faire le moins de mal possible ! Et ce n’est pas suffisant ; durant toute la durée de la campagne d’Autriche de 1809, Talleyrand entretient une correspondance suivie avec Metternich où il dévoile les intentions de Napoléon ! Pas dans le détail, non, mais dans ses grandes lignes. C’est une manière, sans doute, de prendre des assurances sur l’avenir, au cas où ! Probablement les habitudes des grands commis de l’Etat qui mettent leur intérêt particulier au-dessus de celui de la Nation ! C’est en ce sens que Talleyrand porte une part de responsabilité pour les morts de Wagram, d’Essling (je rappelle que cette guerre est déclarée par l’Autriche –une fois de plus- qu’elle est ainsi clairement l’agresseur…) !

Si on se réfère à la notion d’Etat, puisque Talleyrand ne trahit ni un homme, ni une cause (celle de l’Empire !), comme le prétendent ses thuriféraires, on pourrait nuancer le jugement sans appel de trahison . Soit ! Mais l’Etat, en l’occurrence, c’est la France. Et la France, à cette époque, c’est Napoléon ! Ce que je viens d’en dire (avec les citations de Bainville, Madelin, Castelot) le prouve surabondamment. Dans une crise, les nations s’identifient toujours à leurs dirigeants. Comment accepter certains propos résumés par cette formule (que vous n’êtes pas loin d’adopter, cher Florian) : « il faut donc toujours dissocier la France de ses dirigeants » ?

A ce compte-là, il n’y aurait jamais de traître ! Et s’en remettre à l’Etranger pour faciliter ses fins de mois, c’est quoi, ça ? L’habitude des grands commis de l’Etat, comme plusieurs défenseurs de Talleyrand l’ont avancé ? Ces messieurs me font froid dans le dos, cher Florian !

Pour le reste, si on se réfère aux talents des diplomates, je suis d’accord, le diplomate est celui qui sert en premier ressort, le guerrier, le dernier… Mais convenez que Talleyrand a curieusement agi pour un diplomate, se comportant bien plutôt -au mieux- comme un grand feudataire vaniteux et dépité, -au pire- comme un politicien véreux ! Caillaux, beaucoup moins coupable que lui, a pourtant été reconnu coupable de Haute-Trahison par la Haute Cour et emprisonné comme tel (il est vrai que c’était une manœuvre de Clémenceau) !

A ce stade, si vous récusez les opinions des historiens précités, seul, un nouveau vote du forum pourrait nous départager…

Cordialement.


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Message Publié : 29 Oct 2004 21:53 
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Voyons , Bruno , vous ne pouvez pas imposer vos schémas nationalistes du XIX° à un homme du XVIII° comme Talleyrand. Il est l'aristocrate de la paix , des couronnes unies , du bonheur simple de vivre . Il est tellement plus proche de nous ! En fait , il nous annonce le XXI° siècle , ses Européens et ses Atlantistes pétris des vraies valeurs chrétiennes , ses mondialistes occupés à la satisfaction des besoins et à l'ouverture des esprits du plus grand nombre . Talleyrand , c'est Louis XVI ! ...la sainteté en moins , je vous le concède.
Comment voulez-vous agglomérer ce genre d'homme à un système dictatorial qui vit de la croyance de masses incultes en l'homme providentiel défendant leurs foyers contre des tyrannies imaginaires dont elles doivent ,du sang impur , abreuver leurs sillons ?

C'est une tout autre culture !

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Message Publié : 29 Oct 2004 22:02 
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Allons-donc, François ! Vous vous moquez...

Napoléon était-il moins XVIIIème que Talleyrand ? Même s'il n'en avait pas les manières ?

Talleyrand a visité les USA, il a participé au Directoire. N'excusez pas sa trahison par un soit-disant manque de lucidité...

Quant à dire qu'il est plus proche de nous...

Très proche de Mitterrand, vous voulez dire ?


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Message Publié : 29 Oct 2004 22:21 
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J'aime beaucoup , Bruno , votre rapprochement de Talleyrand avec Mitterrand . Mitterrand restera pour les esprits lucides ce prodigieux aristocrate de l'esprit , monarchiste libéral , catholique de tradition , qui a su convaincre le "peuple de gauche" qu'il pouvait le représenter . La fin de sa présidence , souvenez-vous , fut "royale " au sens où nous l'entendions chez nous sous le règne béni de Louis XV .
Il est vrai me direz-vous , que le "communiste" Chirac a réussi la même opération en sens inverse avec le "peuple de droite"... Certes , mais c'est autrement plus facile avec ce peuple-là , habitué qu'il est à courir après la gauche et à avaliser imperturbablement tout ce qu'elle fait avec 20 ans de retard.
Pour le reste , ce que vous appelez trahison de Talleyrand n'est que lucidité : il fut l'un des premiers à voir , dès 1807 , que Napoléon courait au désastre . On ne peut pas lui reprocher à lui aussi d'avoir eu raison trop tôt , même si c'est encore un de nos travers nationaux .

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Message Publié : 29 Oct 2004 22:34 
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On pourrait vous suivre, François, si Talleyrand s'était contenté d'analyser les faits et leurs conséquences soi-disant inéluctables sans y donner de nombreux coups de pouces et pas des moindres...

J'apprécie assez vos raisonnements paradoxaux, mais faut pas pousser quand même ! :4:

Pour moi, un de ceux qui ont le mieux jaugé et jugé Talleyrand, c'est Chateaubriand ! :2:

Cela ne m'empêchera pas de penser et de dire jusqu'à mon dernier souffle que Talleyrand fut un traître et un renégat !

Il a sa place dans leur Panthéon, qui comprend Ganelon et le Connétable de Bourbon, Marmont et Bourmont (Laval, aussi...).


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Message Publié : 29 Oct 2004 22:40 
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Oui , Bruno ! Peut-être avez-vous raison ! Mais , vous savez , le temps accomplit une oeuvre terrible : sont-ce mes enfants qui grandissent ou moi qui rajeunis? Mais j'assiste à l'effondrement de toutes mes certitudes , l'une après l'autre ! Je me sens tellement plus libre de penser aujourd'hui que quand j'avais 20 ans ! Pas vous ?

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Message Publié : 29 Oct 2004 22:44 
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Ah bon, vous vivez une "révolution intellectuelle" ?

Il faudra m'en dire plus François: par courriel, SVP. Ce genre de choses peut être très enrichissant ou très destructeur.


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Message Publié : 29 Oct 2004 23:03 
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Pas une révolution , Bruno ! Tout se passe très pacifiquement , comme quand la mer assagie , après la tempête , dépose sur la grève , comme autant d' épaves dérisoires , les débris de ce que vous avez cru être le plus fier des vaisseaux , capable d'affronter les pires adversités... J'en conviens ! Nous sommes loin de Talleyrand .

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Message Publié : 29 Oct 2004 23:53 
Talleyrand avait une réputation sulfureuse qui lui valut le sobriquet de "diable boîteux".
Il s'en accomoda fort bien à tel point que le jour de sa mort, Pozzo di Borgo eut ce mot resté célèbre : "Maintenant qu'il est en enfer, je suis sûr que le diable lui dit : mon ami, tu as dépassé mes instructions."
Cela se passe de tout commentaire. :4:


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Message Publié : 30 Oct 2004 12:48 
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Encore un point sur lequel insister: Talleyrand n'était pas un grand diplomate ! C'est une réputation usurpée. Au service de Napoléon, il n'a résolu aucune crise. Il n'a pas sû empêcher la rupture de la Paix d'Amiens et les paix glorieuses et victorieuses de 1805 à 1807 ne sont pas de son fait. L'ennemi y était contraint de transiger. Tout au plus aura-t-il su modérer l'Empereur, ça n'est même pas certain.

Son rôle à Erfurt a été nocif. Il s'est mis au service de nos adversaires. Piètre bilan pour un soi-disant grand diplomate !

Son oeuvre est-elle plus considérable au service des Bourbons ? Il n'a rien obtenu des Alliés. Ceux-ci exigeaient le retour aux frontières de 1792 et l'ont imposé à Louis XVIII sans que Talleyrand obtienne la moindre concession. La paix, dès lors, coulait de source et tout le monde en avait besoin ! Il s'est fait le champion de l'équilibre européen, celui de la légitimité (en faveur de la Saxe, notamment). C'est exactement ce que voulait l'Angleterre. Et l'Autriche suivit pour contrer les appétits de la Prusse et de la Russie.

Talleyrand n'aurait pas existé, le traité de Vienne n'en aurait pas été bouleversé. L'un des grands gagnants du Congrès de Vienne, c'est Metternich. Il n'y a point lieu d'en douter.

A la seconde Restauration, Talleyrand a dû consentir aux nouveaux empiètements des Alliés: il s'est révélé incapable de les convaincre de renoncer à de nouvelles annexions. Pourtant, il était facile de démontrer que ces nouvelles pertes amenuiseraient encore le prestige des Bourbons ! La thèse selon laquelle il aurait empêché le démembrement de la France est une farce ! L'Autriche et l'Angleterre s'y opposaient. Seule, la Prusse la désirait et fit mine de l'exiger. Des mots un peu durs de Lord Castlereagh les ramenèrent à la raison...

Quant à la libération anticipée du territoire, on la doit exclusivement au Duc de Richelieu et aux bons rapports qu'il entretenait avec le Czar !

Ses soi-disant prouesses diplomatiques ne l'ont pas empêché d'être remercié par Louis-Stanislas dès septembre 1815, preuve que le roi-podagre ne nourrissait guère d'illusions sur son compte. Cette réputation surfaite a été fabriquée par Thiers et les Orléanistes. Les historiens de la IIIèle république ont avalisé cette fable. Et ça continue aujourd'hui.

Je n'y vois qu'une seule raison: c'est que Talleyrand -comme Fouché- est l'archétype des politiciens véreux qui grouillent sur le cadavre du Bien Public. Pour toute nation sainement constituée, ces individus sont des calamités !


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