Bon choix, ma chère CC
Napoléon accordait aux futilités aucune minute, mais s'intéressait volontiers au commun des mortels. Les grognards n'étaient pas les seuls à bénéficier de son attention particulière. Une anecdote retirée des mémoires de Constant, reprise par l'Académicien Lenôtre, montre effectivement que Napoléon accorde quelques fois son temps à ceux qui l'entourent et privilégie la personne au repas.
Lors d'une visite à Brienne, le 3 avril 1805, Napoléon se rendit chez la mère Marguerite, bonne femme que l'ancien élève de l'école allait souvent visiter.
Voici ce qu'en dit l'auteur:
"...Arrivé à la porte de la cabane, il descendit de cheval et entra chez la fermière.
"Bonjour la mère Marguerite, dit-il en la saluant, vous n'êtes donc pas curieuse de voir l'Empereur?
-Si fait, mon bon monsieur, j'en serais bien curieuse; et si bien que voilà un petit panier d'oeufs frais que je vas porter à madame, et puis je reseterai au château pour tâcher de voir l'Empereur. Ce n'est pas l'embarras; je ne le verrai pas si bien aujourd'hui qu'autrefois, quand il venait, avec ses camarades, boire du lait chez la mère Marguerite...
-Comment, mère Marguerite, vous n'avez pas oublié Bonaparte?
-Oublié, mon bon monsieur! Vous croyez qu'on oublie un jeune comme ça, qui était sage, sérieux et même quelquefois triste, mais toujours bon pour les pauvres gens? Je ne suis qu'une paysanne; mais j'aurais prédit que celui-là ferait son chemin.
-Il ne l'a pas trop mal fait, n'est-ce pas?
-Ah! dame! non!
L'Empereur s'était approché de la bonne femme et , quand il fut tout près d'elle, il se frotta les mains et, s'efforçant de rappeler le ton et les manières de sa première jeunesse:
"allons la mère Marguerite, du lait, des oeufs frais, nous mourons de faim."
La vieille parit chercher à rassembler ses souvenirs; elle se mit à considérer son visiteur avec grande attention.
"Oh bien, la mère, vous étiez si sûre, tout à l'heure, de reconnaître Bonaparte. Nous sommes de vieilles connaissances, nous deux."
Déjà la paysanne était tombée à ses pieds. Napoléon la releva, et, de sa voix la plus douce, fort ému lui-même, sans nul doute:
"En vérité, dit-il, j'ai un appétit d'écolier. N'avez-vous rien à me donner?"
Marguerite, tremblante de bonheur, posa sur la table une tasse de lait et fit cuire des oeufs.
Du lait et des oeufs, un simple repas! mais quelle satisfaction pour la mère Marguerite!
N'est-ce pas là le plus important?