Mais leurs chefs n'osèrent pas aller jusqu'au bout... (Bruno)
Rien n'est plus vrai, mon cher Bruno, et pour quiconque se documente un peu, force lui sera de se rendre à cette évidence : Napoléon
a été convaincu de la possibilité d'un débarquement, et il l'a voulu réellement ; ses hésitations d'un moment s'expliquant sur le choix du plan à mettre en oeuvre.
Si, plus tard, ses intentions ont été modifiées, c'est, comme nous l'avons déjà dit, par suite d'évènements graves, et aussi surtout à cause de la
passivité d'auxiliaires nécessaires qui ont résisté aux ordres formels de Napoléon.
De plus, même si des défections fatales ressemblant à de vraies trahisons, l'obligèrent à détourner la Grande Armée de son objectif primitif,
Napoléon estimait encore que des circonstances plus favorables pouvaient servir son projet.
Napoléon n'a pas à subir encore une fois le non aboutissement de son projet, ou le prétendu "désintéressement" de ce dernier quand on sait que, timides ou glorieux, bon nombre de ses amiraux ont discuté les ordres reçus au lieu de s'y conformer, jugeant mal le plan d'ensemble dont la conception leur échappait et qui, dans la pensée du Grand Capitaine, se résumait ainsi : obliger l'Angleterre, par une série d'attaques simultanées, à disperser ses forces sur toutes les mers et, par là même, réduire au minimum l'effectif de son escadre dans la Manche ...
Un homme particulièrement clairvoyant et renseigné, vieux marin boulonnais de son état, s'exprimait ainsi :
"Si Napoléon a réuni beaucoup plus de bateaux qu'il n'en fallait pour porter hommes, chevaux et munitions, c'est parce qu'il avait la pensée d' employer par un jour de brume ou une nuit noire, la feinte suivante : faire partir d'avance dans une fausse direction prévue, une quantité de bateaux portant des lumières
sourdes, et montés par quelques artilleurs seulement qui, dans l'obscurité, eussent tiré des coups de canon pour attirer l'escadre ennemie ; et, pendant
ce temps-là, la vraie flottille aurait tenté la traversée du détroit".
