Nuit du 28 au 29 juillet 1830 . Alfred de Vigny , capitaine réformé en 1825 , écrit son "Journal d'un poète" , en plein Paris , au bruit des coups de feu et du tocsin . Sa conscience est écartelée entre ses devoirs familiaux et l'appel qu'il ressent d'être auprès de son Roi . " J'ai préparé mon vieil uniforme , écrit-il . Si le Roi appelle tous les officiers , j'irai .Et sa cause est mauvaise ; il est en enfance , ainsi que toute sa famille : en enfance pour notre temps qu'il ne comprend pas . Pourquoi ai-je senti que je me devais à cette mort? Cela est absurde . Il ne saura ni mon nom ni ma fin . Mais mon père , quand j'étais encore enfant , me faisait baiser la Croix de Saint-Louis , sous l'Empire : superstition , superstition politique , sans racine , puérile , vieux préjugé de fidélité noble , d'attachement de famille , sorte de vasselage , de parenté du serf au seigneur . Mais comment ne pas y aller demain matin s'il nous appelle tous ? J'ai servi treize ans le Roi . Ce mot : le Roi , qu'est-ce donc ? Et quitter ma vieille mère et ma jeune femme qui comptent sur moi ! Je les quitterai , c'est bien injuste , mais il le faudra . "
Le Roi n'appellera pas les officiers ni personne . Le Roi laissera s'accomplir le reniement sans rien faire ... La logique royale déjà éprouvée par Louis XVI sera la plus forte : le Roi n'existe , ne vit , ne respire que par son peuple . Il ne peut se battre contre lui...
Demain matin , au petit jour , 4 000 barricades se dresseront dans Paris ! La Révolution y aura travaillé toute la nuit . On y verra Polytechnique combattre avec la tourbe , tandis que Saint-Cyr volera au secours de son Roi à Saint-Cloud... Deux cultures ...Deux France...
Bientôt , le cortège funèbre de la vieille Monarchie parcourra la France de l'Ouest au milieu de son peuple humble , aimant et fidèle . Pour la dernière fois , on verra les enfants du Bon Dieu , gueux sans sabots , âmes droites , sans envie ni avenir terrestres , mais comblées des promesses de l'Eternité , poser le genou en terre et plier la tête au passage des derniers fils de la Race de Saint-Louis . Tous participeront ainsi à un formidable rite expiatoire qui enterrera la Foi , l'Espérance et la Charité de la plus belle des Elues de Dieu après Notre-Dame , la Très Sainte Mère de Dieu : elle s'appelait la France.
_________________ " Mes amis comptent plus que mes idées "
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