L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 05 Août 2024 11:08 
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https://books.google.fr/books?id=ybMyAQ ... &q&f=false

AVANT-PROPOS.
La campagne d'automne de 1813 est une des plus intéressantes de l'histoire militaire, tant par ses résultats que par le détail des opérations.
Au point de vue politique, c'est l'effondrement de la domination de Napoléon et l'affranchissement de l'Allemagne ; au point de vue militaire, c'est l'impuissance de sa stratégie, sans que l'infériorité de ses forces puisse suffire à expliquer les succès obtenus par les armées de la Coalition. Il avait jadis opéré dans des conditions analogues, mais sur un théâtre plus restreint, et il avait réussi à battre à plusieurs reprises ses adversaires malgré la supériorité de leurs moyens.
Il est vrai que le meilleur de son armée avait péri dans la campagne de Russie; mais, avec un art prodigieux, il avait reconstitué en quelques mois une armée nombreuse, un peu jeune, mais qui cependant avait fait ses preuves dans la campagne du printemps. En deux batailles elle avait rejeté les Russes et les Prussiens de la Saale jusque sur l'Oder.
Malheureusement, pendant que cette armée achevait son organisation sur l'Elbe, l'Autriche apportait, dans la balance des forces en présence, le poids de son armée en faveur de la Coalition. Napoléon, qui s'était trouvé supérieur en nombre au printemps, allait au contraire, à la rupture de l'armistice, avoir à lutter avec moins de 400,000 hommes contre près de 500,000 hommes.

Mais les armées de la Coalition devaient opérer sans se lier ensemble et en combinant leurs opérations à distance ; Napoléon, qui s'était assez bien rendu compte de leurs projets, se proposait de profiter de leur division pour les battre successivement, comme jadis, en 1796, il avait eu raison des armées de l'Autriche. Cependant, c'est en essayant de mettre en pratique ce système d'opérations qu'il a échoué.

On se trouve donc en présence d'une sorte de contradiction, qui est de voir le génie militaire le plus incontesté des temps modernes, essayer de réaliser une conception sur laquelle il a bien réfléchi, qui est un des caractères de sa stratégie, disposer pour l'exécuter de moyens inférieurs, il est vrai, à ceux de ses adversaires, mais encore très grands, et cependant, non seulement échouer dans toutes ses tentatives, mais aboutir à la ruine de son armée. On peut dire qu'en rapprochant les éléments de la lutte de ses résultats, on se trouve en présence d'un véritable paradoxe scientifique. Aussi n'est-il pas étonnant que bon nombre d'écrivains militaires aient essayé de résoudre ce paradoxe.
Si nous voulons y porter aussi notre attention, c'est que nous trouvons leurs solutions insuffisantes et incomplètes .
Nous ferons connaître d'abord l'organisation des armées en présence, en résumant rapidement les événements de la campagne du printemps; puis, abordant la campagne d'automne qui est l'objet principal de notre étude, nous examinerons chaque phase de cette guerre mémorable en commençant par exposer les faits sans commentaires, et en y revenant ensuite pour les analyser et trouver la vraie cause des résultats obtenus. Enfin, en présence de ces résultats, nous nous demanderons ce qu'il faut penser du système d'opérations que Napoléon a voulu pratiquer, dont il espérait de si grands succès, et qui l'a conduit, au contraire, à la ruine de son armée .
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L'organisation de l'armée de 1813 est certainement une des œuvres les plus admirables de Napoléon. Organiser méthodiquement les forces d'un pays en y mettant de longues années, est déjà une tâche dont peu d'hommes sont capables, et cependant il n'y a pas qu'une bonne solution, ou plutôt, s'il est vrai que l'une d'elles soit supérieure aux autres, il ne s'ensuit pas que celles-là soient vraiment mauvaises.

Que le corps d'armée soit à deux ou trois divisions, qu'on y répartisse la cavalerie et l'artillerie dans des proportions variables, ce ne sont là que des conditions secondaires du succès ; d'autant plus que les formations les plus avantageuses pour une armée de 50,000 hommes ne sont pas du tout les mêmes que pour une armée de 200,000 hommes. Néanmoins,quoique le problème comporte plusieurs solutions acceptables, il n'appartient pas au premier venu d'en trouver une bonne ; quand le pouvoir est détenu par une succession de personnalités médiocres, ce n'est qu'avec le temps et par suite de fréquents remaniements que l'on arrive à une organisation répondant réellement aux besoins de l'époque; et ce qui s'est passé en France depuis la guerre franco-allemande suffit à montrer qu'on peut même rester 25 ans sans y réussir. Cette tâche, qui à première vue peut paraître bien simple, exige donc en réalité des facultés peu communes, même lorsqu'on dispose pour la remplir de longues années de paix; mais après un désastre comme celui de la campagne de Russie, où l'on avait engagé toutes les forces de la France que la guerre d'Espagne rendait disponibles, se proposer de refaire en quelques mois une armée , en groupant des éléments à peine visibles pour la masse, c'est là une tâche que Napoléon seul était capable d'entreprendre avec succès, et l'on peut dire qu'en s'y appliquant il a su la remplir avec un éclat incomparable.

Tandis qu'au mois de février 1813 quelques débris des troupes françaises repassaient en désordre l'Oder, trois mois plus tard Napoléon était en mesure de reparaître au cœur de l'Allemagne à la tête de 200,000 hommes. L'armée avec laquelle il passe la Saale, à la fin du mois d'avril, était formée de trois masses distinctes. L'une, celle de gauche, venant des environs de Magdebourg, comprenait le 11e corps (Macdonald), le 5e (Lauriston), la division Durutte, quelques bataillons de la garde et la cavalerie. de Latour-Maubourg. Les bataillons de la garde étaient tout ce qui restait des troupes de la garde qui avaient pénétré en Russie ; les cadres en surplus de ce qui était nécessaire pour encadrer 3,000 hommes avaient été renvoyés en France.
Le11e corps était le seul dont la formation datât de l'année 1812 ; il comprenait trois divisions, dont l'une, la division Lagrange, était la dernière du corps d'Augereau qui avait été organisé en Allemagne sur les derrières de l'armée de Russie. Les trois autres divisions de ce corps d'armée, au fur et à mesure qu'elles avaient été prêtes, avaient été acheminées sur le Niemen. Deux d'entre elles, les divisions Loison et Heudelet, faisaient partie de la garnison de Dantzik avec la division polonaise Grandjean ; la troisième, la division Durutte, avait rallié les Saxons et continué la retraite avec eux sous les ordres supérieurs du général Reynier. La division Lagrange seule n'avait pas dépassé Berlin. On y fondit quelques débris ramenés par le général Gérard qui en prit le commandement, et elle entra dans la composition d'un nouveau corps d'armée. Ce corps, placé d'abord sous les ordres de Gouvion-Saint-Cyr, puis sous ceux de Macdonald, comprit en outre une nouvelle division récemment arrivée d'Italie sous le général Grenier. Comme cette division était très forte, elle fut dédoublée, de sorte que le corps d'armée, qui dans la nouvelle organisation prit le no 11, comprenait trois divisions d'infanterie ; il avait de plus une brigade de cavalerie légère. Ce corps d'armée formait,avec les quelques bataillons de la garde réorganisés à Posen, la principale force dont disposa le prince Eugène pour arrêter les progrès des Russes en attendant les renforts que Napoléon organisait sur le Rhin.

Le premier de ces renforts fut le 5 corps,constitué avec 12 régiments de cohortes.
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On sait ce qu'étaient ces cohortes; ce n'était autre chose que 100 bataillons de gardes nationales que Napoléon avait organisés au moment de son départ pour la Russie, pour la sécurité de l'intérieur. Après les désastres de 1812, il les fit rattacher à l'armée active et, en les remaniant, les réduisit à 88 et en forma 22 régiments à 4 bataillons. Le 5e corps comprenant 12 de ces régiments, répartis en 3 divisions, se trouva à peu près réuni à Magdebourg au commencement de mars, sous les ordres du général Lauriston.

Quant à la division Durutte, elle avait pénétré en Russie, comme on l'a dit plus haut et s'était retirée par Posen et Dresde
avec les Saxons du général Reynier. Puis, l'évacuation de Dresde devenant nécessaire,les Saxons se retirèrent sur Torgau,
tandis que la division Durutte continuait jusqu'au delà de la Saale où elle rallia les forces du prince Eugène en recevant quelques renforts qui la reportèrent à 4,000 hommes.

Ce corps de cavalerie comprenait les premiers escadrons d'une partie des régiments qui avaient pénétré en Russie et qui s'étaient reconstitués à Hanovre et à Brunswick avec des chevaux achetés en Allemagne et des hommes tirés des dépôts ; avec les premiers escadrons des autres régiments reconstitués de la même manière, on forma un second corps qui fut commandé par le général Sébastiani, mais qui, à la reprise de l'offensive, n'était pas sous les ordres du prince Eugène.
La division Puthod, du corps de Lauriston, en fut également distraite pour opérer avec Sébastiani sur le bas Elbe. Le reste
formait une masse de 62,000 hommes, que le prince Eugène amena à Napoléon en remontant la Saale. Avec le 11ème corps, le 5ème, la division Durutte et les bataillons de la garde, le prince Eugène avait encore sous ses ordres un corps de cavalerie de 3,000 chevaux, commandé par le général Latour-Maubourg.

La masse du centre comprenait le 3ème corps (Ney),le 6ème (Marmont) et quelques bataillons et escadrons de la garde de nouvelle formation. Le 3e corps fut formé avec 8 régiments de cohortes et 24 bataillons de conscrits de 1813. Ces bataillons étaient constitués avec les ressources des dépôts des régiments qui n'avaient pas fait la campagne de Russie, complétés avec des cadres tirés d'Espagne et réunis pour la plupart en régiments provisoires.

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Le 3ème corps put ainsi être organisé en 4 divisions avec une brigade de cavalerie légère; il devait présenter un effectif de 50,000 hommes environ, en y comptant une division de troupes allemandes commandée par le général Marchand ; il fut formé partie à Mayence, partie à Francfort, partie à Hanau et dirigé par Wurtzbourg et Erfurt sur la Saale.

Le 6ème corps comprit une vingtaine de bataillons de conscrits de 1813, constitués comme ceux du 3e corps, un régiment de nouvelle création, le 37° léger, formé au moyen des ressources des compagnies de réserve, qui faisaient dans les départements à peu près le service de la garde municipale à Paris, et 4 régiments formés avec des troupes tirées de l'artillerie de marine, également propres au service de l'infanterie et à celui de l'artillerie. Il fut organisé en 3 divisions et devait présenter, avec une brigade de cavalerie, un effectif de plus de 35,000 hommes. Il fut réuni à Mayence dans les premiers jours d'avril. Quant aux troupes de la garde qui devaient marcher avec les corps de Ney et de Marmont, elles ne comprirent qu'un petit nombre de bataillons et d'escadrons.

Cependant Napoléon avait projeté de donner à la garde une très grande extension. Elle devait comprendre 2 divisions de vieille garde, 4 de jeune et 3 divisions de cavalerie ; mais au milieu d'avril on ne put disposer que de 3,000 hommes de vieille garde, de 8,000 à 9,000 de jeune garde et de 3,000 cavaliers, mais avec les artilleurs suffisants pour servir 100 bouches à feu. Ces troupes, avec Ney et Marmont, formèrent une masse centrale de près de 100,000 hommes .
Enfin la troisième masse, qui devait constituer la droite de la nouvelle armée d'Allemagne, était formée principalement de troupes organisées en Italie par le général Bertrand. Elle comprenait 3 divisions françaises et une division italienne; mais en traversant l'Allemagne méridionale, pour se porter sur la Saale, cette masse devait se renforcer d'une division bavaroise et d'une division wurtembergeoise.

Napoléon en forma deux corps d'armée. Bertrand ne conserva sous ses ordres qu'une division française,la division italienne et la division wurtembergeoise qui formèrent le 4ème corps. Les deux autres divisions françaises et la division bavaroise durent constituer le 12e corps sous les ordres du maréchal Oudinot.

Au moment de la concentration sur la Saale, les divisions allemandes ne se trouvaient pas complètement prêtes, et les corps de Bertrand et d'Oudinot ne comprenaient ensemble qu'environ 45,000 hommes. Cette masse de droite avec celle du centre et celle de gauche, qu'amenait Eugène, formaient donc une armée de 200,000 hommes que Napoléon allait avoir directement sous la main ; mais au moment de son arrivée sur la Saale il disposait encore d'autres troupes en Allemagne .

Comme on vient de le voir, la totalité des troupes réunies sur la Saale ne comprenait presque rien des corps d'infanterie qui avaient fait la campagne de Russie, et cependant Napoléon comptait bien utiliser tous les éléments que l'on pouvait en tirer. L'armée de Russie avait compris 36 régiments français, dont 16 au 1er corps (Davout), 6 au 2è (Oudinot), 6 au 3è (Ney) et 8 au 4è (Eugène). Napoléon décida que tous les anciens soldats que l'on pourrait recueillir seraient versés dans les cadres des premiers bataillons de chaque régiment et que ces bataillons serviraient à constituer les garnisons des places de l'Oder, Stettin, Custrin, Glogau, ainsi que celle de Spandau. Tout le reste des cadres fut renvoyé en arrière; ceux des 2e bataillons furent arrêtés à Erfurt pour s'y reformer avec des hommes de la conscription de 1813 envoyés des dépôts et les autres sur le Rhin. Toutefois, cette mesure ne s'appliqua pas aux régiments du 4e corps qui provenaient d'Italie; on y renvoya tout ce qui restait pour servir de noyau à la formation d'une nouvelle armée. Avec les autres Napoléon projeta de former deux nouveaux corps l'un avec les 16 régiments du 1er corps, l'autre avec les 12 régiments provenant du 2e et du 3e. On reconnut bientôt que les débris laissés sur l'Oder étaient insuffisants pour reconstituer un bataillon par régiment et une bonne partie des cadres des 1er bataillons fut aussi renvoyée sur le Rhin pour s'y reformer comme les 3e et 4e, de sorte que les régiments des deux nouveaux corps devaient en définitive comprendre chacun 4 bataillons. Mais comme il n'était pas possible de les réorganiser tous en même temps et que néanmoins Napoléon voulait utiliser ses nouvelles formations, au fur et à mesure qu'elles deviendraient disponibles, il décida qu'on formerait d'abord des divisions provisoires avec les bataillons réorganisés à Erfurt, puis successivement avec ceux reformés sur le Rhin, et ce ne devait être que plus tard que l'on arriverait à l'organisation définitive. Les nouveaux corps ainsi constitués devaient prendre les numéros 1 et 2 et être commandés par les maréchaux Davout et Victor.

En réalité les corps 1, 2 et 3 de l'armée de Russie comprenaient 5 autres régiments qui avaient les numéros 123, 124, 126, 127 et 128 ; c'étaient des régiments de création récente qui n'entrèrent pas dans la composition des nouveaux corps de Davout et de Victor. Leurs débris furent réunis à Erfurt pour s'y reformer à raison de 2 bataillons par régiment et constituer ensemble une nouvelle division.

1 (En dehors de la Correspondance de Napoléon, on peut consulter sur cette question l'Histoire du Consulat et de l'Empire de Thiers, La Grande Armée de 1813 de Camille Rousset, et surtout l'ouvrage de Charras qui est incomparablement au-dessus de tous les autres; malheureusement ce livre remarquable s'arrête à la veille de Lutzen).

Les dispositions prises pour la cavalerie furent analogues à celles que Napoléon avait adoptées pour l'infanterie.Tandis que les premiers escadrons des régiments qui avaient fait la campagne de Russie se reformaient à Hanovre et à Brunswick, comme on l'a dit plus haut, les cadres des autres escadrons étaient renvoyés en arrière pour se reconstituer, partie sur le Rhin, partie à l'intérieur du territoire français. En outre, pour cette arme comme pour l'infanterie, Napoléon fit appel aux dépôts et aux cadres d'Espagne. Il se proposait ainsi de former un 3e corps dont il donnerait le commandement au duc de Padoue. On devait en former d'abord des divisions provisoires, puis leur donner une organisation définitive par la réunion des escadrons d'un même régiment. On devait arriver ainsi à reformer deux gros corps qui, sous les ordres de Latour-Maubourg et de Sébastiani, devaient présenter ensemble près de 20,000 chevaux.

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Après avoir puisé dans les dépôts et dans les armées d'Espagne pour compléter les cadres de tous ces bataillons et escadrons, il fallait les remplir de soldats, et la conscription de 1813, avec laquelle on forma les régiments provisoires de Ney, de Marmont et de Bertrand, ne devait pas être suffisante. Elle permit seule-ment de pourvoir aux bataillons d'Erfurt; pour ceux qui devaient se reformer sur le Rhin, on dut puiser dans les 100,000 hommes que Napoléon appela sur les quatre classes antérieures (1809 à 1812). Avec ces dispositions,les deuxièmes bataillons purent être prêts àErfurt dèsle milieu de mars. Une partie fut dirigée sur Magdebourg avec Victor, une partie sur Dresde avec Davout. Le reste des bataillons réorganisés à Erfurt se trouvait avec Victor à Magdebourg et sur la basse Saale. Enfin il y avait encore de ce côté la division Dombrowsky, qui se réorganisait en Westphalie avec tout ce qui restait de Polonais en dehors du corps de Poniatowski, qui avait dû se retirer de Pologne en Galicie avec le corps autrichien de Schwarzenberg.

En somme Napoléon, à la fin d'avril, disposait en Allemagne de 250,000 hommes, et ses adversaires étaient loin d'en avoir autant à lui opposer. Passant l'Oder à la suite du prince Eugène, ils avaient atteint l'Elbe les Russes de Wittgenstein et les Prussiens d'York aux environs de Magdebourg ; Wintzingerode et Blücher à Dresde, tandis que Kutusof restait encore en arrière à Kalisch. Mais malgré l'appui des nouveaux corps prussiens de Bülow et de Borstell, et du corps russe de Voronzow, tout cela ne faisait guère plus de 140,000 hommes.

1 Les bataillons des régiments de Davout et de Victor, furent reconstitués dansl'ordre 2, 4, 1 et 3. Mais l'insurrection du bas Elbe y ramena ce dernier avec une partie des bataillons de son corps d'armée. Afin de réprimer cette insurrection, il eut de plus sous ses ordres la division Puthod du corps de Lauriston et le corps de cavalerie de Sébastiani, et enfin les 28 4ème bataillons du 1er et du 2e corps qui, réorganisés sur le Rhin, arrivaient déjà sur le Weser sous les ordres de Vandamme. Le maréchal Dayout disposait ainsi de 32,000 hommes avec lesquels il fut chargé de reprendre Hambourg et de rétablir la domination française dans les provinces hanséatiques.

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Sans se rendre compte exactement des formations de Napoléon, les Alliés savaient que des forces imposantes avaient été organisées sur le Rhin et en Italie et qu'elles étaient en marche vers la Saale, et ils avaient résolu, dès le commencement d'avril, de réunir le gros de leurs forces entre l'Elbe et la Saale, de Leipzig à Altenbourg. Le 25 de ce mois, Wintgenstein, York, Wintzingerode et Blücher se trouvaient au rendez-vous ; mais Bülow et Voronzow étaient laissés vis-à-vis de Magdebourg ; Kutusof était encore en arrière, et même en comptant sur son arrivée pour la bataille, les adversaires de Napoléon ne devaient pas disposer de plus de 110,000 hommes, tandis qu'il en avait déjà 200,000.

Aussi nombre d'entre eux étaient-ils d'avis qu'il fallait éviter la bataille, et notamment Kutusof à qui les succès de la dernière guerre avaient donné une grande autorité. Mais ce vieux guerrier mourut tout d'un coup à Bunzlau des fatigues de la campagne précédente, et sa mort donna libre carrière aux esprits ardents et aventureux. Il ne fut plus question que d'aller au-devant de Napoléon et de le combattre, et dès qu'on apprit que les Français avaient passé la Saale et étaient en marche sur Leipzig, on prit le parti d'attaquer leur flanc droit. On sait que c'est ainsi que fut amenée la bataille de Lutzen qui, malgré l'énergie des Coalisés, leur fut fatale; 80,000 Russes ou Prussiens seulement y prirent part, et de notre côté un peu moins de 100,000 hommes avec les corps de Ney, de Marmont, de Mac-Donald et de la garde. Les pertes furent sérieuses de part et d'autre: 20,000 Alliés et de 17,000 à 18,000 Français. Le résultat fut la retraite immédiate de l'armée alliée dans la direction de Dresde. Napoléon la suivit avec le gros de son armée comprenant 140,000 hommes, laissant Ney se reposer à Leipzig quelques jours, pour se porter ensuite sur Torgau avec la division Durutte et y rallier les Saxons, la division Puthod, la cavalerie de Sébastiani, ainsi qu'une partie des 2e bataillons de Victor et de Davout, que l'arrivée des bataillons de Vandamme à Brême rendait disponibles. Ney devait avoir ainsi à Torgau une masse de 80,000 hommes que, suivant les circonstances, Napoléon pourrait diriger sur Berlin ou rappeler à lui pour concourir à une seconde bataille.
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Et en effet, les Coalisés n'étaient pas disposés à céder au premier coup de la fortune. Ayant reçu 30,000 hommes de renfort, moitié Prussiens, moitié Russes, leurs forces se trouvèrent reportées à plus de 100,000 hommes, avec lesquels ils avaient projeté de tenter encore une fois le sort des armes .

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C'était dans la forte position de Bautzen qu'ils s'étaient proposé de livrer une seconde bataille, celle-là tout à fait défensive. Napoléon ne pouvait pas hésiter à les y attaquer; mais en attendant, prévoyant déjà qu'il aurait bientôt à ajouter l'Autriche au nombre de ses ennemis, il s'occupa d'augmenter encore ses forces. D'une part il renvoya Eugène en Italie pour y reformer une armée avec ses cadres de Russie qui n'avaient pas encore été utilisés, et avec des bataillons tirés d'Espagne. En même temps, il ordonna la réunion à Mayence de nouveaux bataillons et de nouveaux escadrons formés avec des cadres d'Espagne remplis de conscrits. Enfin il activa la formation des 1er et 3e bataillons de Davout et de Victor sur le bas Rhin et le Weser.Toutes ces formations ne devaient être utilisées contre les Coalisés que plus tard; mais déjà Davout pouvait disposer des 28 bataillons de Vandamme, et une deuxième division de jeune garde venait de rejoindre l'armée, tandis qu'une troisième achevait de s'organiser en Franconie. La cavalerie surtout, si faible au début de la campagne, s'augmentait d'une manière sensible. Le duc de Plaisance venait d'amener les nombreux escadrons réunis à Mayence ; Napoléon les fondit avec ceux de Latour-Maubourg et de Sébastiani qui appartenaient aux mêmes régiments, et porta ainsi chacun de leurs corps à 8,000 cavaliers qui, joints à 4,000 de la garde et à 4,000 des contingents allemands, allaient lui redonner une force de 24,000 cavaliers, sans compter la cavalerie légère attachée à chaque corps d'armée. Pour commander cette cavalerie, qui devait encore s'accroître dans un avenir prochain, Napoléon appela à l'armée Murat, qu'il ne tenait pas à laisser en Italie en butte aux intrigues de l'Autriche; mais en même temps il lui prescrivit de mettre les troupes napolitaines à la disposition du prince Eugène, ce qui devait permettre à ce dernier de réunir 100,000 hommes sur l'Adige.

Sans tenir compte de toutes ces formations et avec les troupes qu'il avait sous la main, c'est-à-dire avec Macdonald, Lauriston, Oudinot, Bertrand, Marmont et la garde, Napoléon avait déjà une force supérieure à celle des Russes et des Prussiens, et après les avoir suivis sur l'Elbe, il put passer ce fleuve à Dresde et à Meissen sans difficulté; mais dès qu'il sut que l'armée ennemie s'était établie à Bautzen et qu'elle paraissait disposée à y livrer bataille, il prit le parti de l'attaquer, en faisant concourir à son offensive une partie des forces qu'il avait mises sous les ordres de Ney .

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Pendant qu'il se portait de Dresde sur Bautzen avec le gros de ses forces, il attira donc le maréchal par Hoyerswerda avec le 3e et 7e corps, en lui prescrivant de laisser Victor à Wittenberg, avec les bataillons du 1er et du 2ecorps dont disposait ce dernier, mais en revanche en lui donnant le corps de Lauriston qui, ayant passé l'Elbe à Meissen, devait d'abord servir de liaison entre Ney et le gros de l'armée. Le maréchal allait ainsi arriver sur la droite des Coalisés avec 60,000 hommes, tandis que Napoléon les attaquerait de front avec plus de 130,000 hommes, c'est-à-dire avec une force déjà notablement supérieure à celle qu'ils pouvaient lui opposer ; l'issue de la lutte ne pouvait être douteuse. On sait quels furent les caractères particuliers de cette bataille et comment elle ne produisit pas tous les résultats que Napoléon en attendait.
Il se proposa de déborder l'ennemi en séparant sa propre armée. Il avait été amené à prendre ces dispositions par le désir d'éloigner les Coalisés de la Bohême, tout en les débordant du côté opposé ; mais il était dans l'esprit de ses propres principes, de choisir entre ces deux buts. Or, quel que fût l'intérêt qu'il pouvait y avoir à éloigner les Russes de l'Autriche, cela ne valait pas l'avantage de détruire leur armée, et elle l'eût été si Napoléon eût accablé leur droite avec ses forces bien liées ensemble.

Au contraire, on peut dire que le plan de bataille a manqué d'unité, et c'est pour cela que les résultats obtenus n'ont pas été en rapport avec les moyens dont Napoléon disposait. Il semble que le terrain sur lequel on se trouvait pouvait évoquer le souvenir de Frédéric, et que c'était le cas de manœuvrer dans l'ordre oblique, en exécutant à la suite de la bataille du premier jour un mouvement d'ensemble du gros de l'armée vers la gauche, de manière à se lier intimement avec le maréchal Ney. Si ce mouvement était dérobé, l'ennemi était débordé et rapidement mis en désordre. Si au contraire l'armée prusso-russe s'en apercevait et cherchait à y parer en manœuvrant par la droite, elle perdait les avantages de sa position.

Quant à Napoléon, il est clair qu'en découvrant sa droite il ne courait aucun risque, il n'avait rien à craindre de ses communications avec Dresde, disposant de plus de 180,000 hommes contre 100,000, et d'ailleurs la route de Torgau était au besoin suffisante comme ligne de retraite. Il semble donc que Napoléon aurait dû être amené à livrer une bataille de Leuthen, qui aurait eu pour ses adversaires des conséquences désastreuses, tandis qu'ils perdirent seulement le champ de bataille.

Cependant la victoire était réelle pour les Français et la retraite des Coalisés nécessaire.Tout en évitant de se laisser mettre en désordre, ces derniers durent abandonner successivement la Queiss et la Katzbach. Napoléon ne jugea pas nécessaire de les y suivre avec toutes ses forces, il en détacha le corps d'Oudinot, et lui donna la mission de marcher sur Berlin, en refoulant les corps prussiens et russes qui se trouvaient encore dans la région avoisinante entre l'Elbe et l'Oder. Mais en revanche il attira à lui les troupes que Victor avait sous ses ordres, en lui prescrivant de marcher à la suite de Sébastiani dans la direction de Glogau .

Avec le gros de l'armée, il suivit l'ennemi en retraite au delà de la Katzbach. Bientôt les Prussiens et les Russes, rejetés jusqu'aux portes de Breslau qu'ils n'étaient plus capables de défendre se crurent obligés de signer un armistice, et Napoléon y consentit de son côté. A notre avis, comme à celui de beaucoup d'autres, c'était la plus grande faute qu'il pût commettre, car il suffisait d'un dernier coup pour abattre les Russes et les Prussiens, et probablement pour empêcher les Autrichiens d'entrer dans la Coalition. En portant ce jugement, nous nous mettons, bien entendu, au point de vue de Napoléon ; car si cet armistice eût été le prélude d'une paix durable, il aurait été sans grand inconvénient ; quoique, même à ce point de vue, le mieux eût encore été d'achever la défaite de l'armée que l'on venait de battre à Lutzen et à Bautzen ; alors l'Empereur, en se montrant modéré, aurait pu paraître poussé seulement par un sentiment élevé et généreux, et non par la crainte d'entreprendre une nouvelle lutte dont l'issue pouvait paraître douteuse ; mais au contraire, Napoléon qui ne voulait rien céder de ses prétentions exorbitantes, ne voyait dans l'armistice qu'un moyen de compléter ses préparatifs, sauf à avoir sur les bras les forces de l'Autriche .
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Or c'était là une combinaison mauvaise, car l'Autriche avait 300,000 hommes à apporter dans la balance des forces en présence et Napoléon, malgré toute son activité, ne pouvait espérer augmenter les siennes de plus de 150,000 hommes. S'il eût modéré ses exigences, l'armistice n'eût été qu'un acheminement vers la paix, et si au contraire les Coalisés élevaient des prétentions vraiment incompatibles avec les efforts que la France avait faits depuis vingt ans, Napoléon se trouvait au moins dans une situation morale bien supérieure avec la nation derrière lui pour l'appuyer.

En outre, la conséquence de la modération de ses exigences eût été l'évacuation immédiate de la Vistule et de l'Oder, ce qui eut de suite augmenté l'armée de 60,000 hommes de troupes excellentes ; il eût pu dès lors reprendre la campagne avec plus de 450,000 hommes, ayant la France avec lui, et établi avec ces forces sur l'Elbe et la Saale défier tous les efforts de la Coalition.

Au contraire, ayant l'espoir de reporter la guerre sur l'Oder et la Vistule, il y laissa ces 60,000 hommes de vieilles troupes et eut à la reprise des hostilités moins de 400,000 hommes de jeunes soldats, sans espoir de les augmenter sérieusement, tandis que les Coalisés disposèrent immédiatement de 100,000 hommes de plus, pouvant compter en outre sur des renforts de plus de 200,000hommes. Il n'y avait donc que deux bons partis: préparer sérieusement la paix, et alors évacuer pendant l'armistice la Vistule et l'Oder; ou au contraire, si on ne voulait pas la paix, ne pas consentir l'armistice et en finir avec les Russes et les Prussiens avant que les Autrichiens aient eu le temps de venir à leur secours.

Du reste Napoléon n'avait pas besoin de toute son armée pour poursuivre ses succès. Les Coalisés, battus à Bautzen, n'avaient pas plus de 90,000 hommes à lui opposer. Il pouvait les suivre avec 100,000 ou 120,000 hommes et employer le reste, partie à marcher sur Berlin, partie à observer la frontière de Bohême. Il pouvait, par exemple, ne garder en Silésie que les corps de Ney, Marmont, Lauriston, Macdonald et la garde, formant ensemble environ 120,000 hommes, laisser Oudinot et Bertrand vers Bautzen, en poussant Victor provisoirement renforcé de Sébastiani et d'une partie des bataillons de Davout sur Berlin.
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Si pendant que Napoléon rejetait ses adversaires au delà de l'Oder, les Autrichiens débouchaient en force de la Bohême, Oudinot ayant avec Bertrand 50,000 hommes, pouvait se retirer sur Torgau, puis se relier à Victor et à Davout dont les bataillons s'organisaient rapidement.Tous les régiments des corps 1 et 2 allaient bientôt présenter 3 bataillons, et les deux corps une force de 70,000hommes, de sorte que la réunion de Victor, d'Oudinot et de Davout eût permis d'opposer aux Autrichiens 120,000 hommes, sans compter les renforts qui arrivaient de Mayence par Erfurt, si Napoléon qui, revenant de l'Oder avec une partie de ses forces, aurait infligé aux Autrichiens trop pressés un complet désastre.

1 On ne comprend pas non plus comment, décidé à l'armistice, Napoléon au moins n'a pas exigé tout le pays entre l'Elbe et l'Oder, que ses adversaires n'étaient pas en mesure de lui refuser, ce qui aurait notablement modifié à son avantage les conditions initiales de la campagne suivante.

Mais cette éventualité n'était même pas à envisager, car les Autrichiens ne pouvaient pas être prêts à entrer en campagne avant le milieu de juillet, et Napoléon avait tout le loisir de tirer des victoires qu'il venait de remporter toutes les conséquences qu'elles comportaient. Malheureusement Napoléon ne prit aucun des deux partis qui étaient les seuls praticables, et en consentant à l'armistice sans vouloir la paix dans les conditions où elle était possible, il perdit tous les avantages que cette belle campagne du printemps lui avait donnés

1. Car on peut dire que, dans son ensemble, cette campagne fut à hauteur de son génie. L'organisation de l'armée, la concentration sur la Saale, les préliminaires et le développement de la bataille de Lutzen sont le fait d'un homme de guerre hors ligne, et si la bataille de Bautzen ne fut pas aussi parfaite, elle avait cependant rejeté les Coalisés sur l'Oder.

Le désastre de Russie était réparé, le prestige de l'Empereur rétabli, et c'était cette nouvelle grandeur qu'il allait compromettre dans une lutte qu'il pouvait éviter ou au moins continuer avec des chances très favorables. On sait que les conditions de la paix furent débattues sans succès au congrès de Prague ; mais tout en négociant, Napoléon s'appliqua à augmenter ses forces en activant tous les préparatifs qu'il avait déjà commencés depuis six mois. Les 2e et les 4e bataillons de Victor et Davout avaient seuls été prêts pour la campagne du printemps ; bientôt, non seulement les
1re division,3e, 4e, 6e
16 4e bataillons du 1er 16 1er bataillons du 1er 12 2e bataillons du 2e 12 4e bataillons du 2e 12 1er bataillons du 2e
16
3e bataillons furent sur pied, mais de plus,les 1er bataillons dont quelques éléments étaient restés dans les places de l'Oder, purent être réorganisés ; ces derniers furent même prêts avant les 3o et Napoléon eut ainsi, dans tous les régiments de ces deux corps, 3bataillons (1,2et4.)
D'après les premières dispositions, chacun de ces corps devait avoir une organisation provisoire en 3 divisions ce qui pour les deux corps faisait six divisions. Dès que les 4o,5o et 6o divisions furent prêtes elles formèrent définitivement le 2o corps sous Victor, qui les réorganisa en réunissant les bataillons d'un même régiment et eut toujours 3 divisions à 12 bataillons chacune.

Quant aux 3o bataillons de ce corps d'armée, les derniers prêts, ils durent former à Magdebourg une nouvelle division sous le numéro 6 bis. Des dispositions analogues furent d'abord prises pour le 1er corps. Les 1re,2e et 3a divisions comprirent chacune 5 rég ments à 3 bataillons,le 16e régiment restant disponible, et quant aux 3o bataillons de ces 15 régiments, ils durent former une division 3 bis.

Mais on allait avoir ainsi des forces considérables à Hambourg, où Davout était rentré avant la signature de l'armistice, d'autant plus qu'aux 16 régiments du 1er corps on pouvait ajouter une brigade formée de 5 bataillons de diverses pro- venances, organisée dans la région de Wesel; cette brigade, désignée sous le nom de brigade de Hambourg, fut amenée sur l'Elbe en même temps que les 1er bataillons. En outre,Napoléon disposait encore de la division Teste qui, portant le numéro 23, avait dû d'abord faire partie du corps de Marmont. Mais cette division comprenant des régiments provisoires n'avait pas été
5e

16 2e bataillons du 1er corps.
20 ·
Avec ces 20 régiments il forma définitivement 5 divisions qui prirent les numéros 1, 2, 3, 23 et 40 et constitua 2 corps d'armée au lieu d'un seul. Le nouveau 1er corps comprit les divisions 1, 2 et 23 et il fut dirigé sur la frontière de Bohême sous les ordres du général Vandamme; les divisions 3 et40 formant le13°corps restèrent à Hambourg avec le maréchal Davout, qui de plus eut sous sesordres lesDanois, ainsi que la brigade de Hambourg qui devait être bientôt augmentée de manière à former une nouvelle division qui devait prendre le numéro 50. En somme,les trois corps de Vandamme,Victor et Davout (le13o)allaient présenter une force de plus de 100,000hommes.

En même temps d'autres bataillons s'organisaient à Mayence, avec des cadres d'Espagne et des hommes tirés des dépôts. Napoléon en forma d'abord un 14e corps à 4 divisions (42,43,44,45) qui fut placé sous les ordres du maréchal Saint-Cyr .
Mais ces derniers éléments ne devaient être prêts qu'au mois d'octobre.
Les autres,au contraire,purent entrer en ligne à la reprise des hostilités,c'est-à-dire au milieu du mois d'août.
Il faut y ajouter le corps de Poniatowski qui,après s'être retiré avec Schwarzenberg sur le territoire autrichien,fut autorisé pen- dant l'armistice à venir rejoindre,par la Bohême ,l'armée fran- çaise.Ilputfournir2divisionsd'infanteriequiformèrent,comme en Russie,le 8o corps de l'armée sous Poniatowski et 2 divisions decavaleriequifurentréuniessouslecommandementdeKeller- mann,comte de Valmy.
Avec les1eret2ocorps,les13°et14°,Poniatowskietdeux nouvelles divisions de jeune garde,Napoléon allait donc avoir environ150,000 hommes à ajouter aux forces qu'il avaitdirigées
pendantlacampagneduprintemps;maiscomme les2ebatail- lons de Davout et de Victor étaient déjà prêts au mois d'avril,
prête pour la campagne du printemps.Napoléon l'enleva défini-
tivement au 6 corps et la fondit dans le 1er,ce qui porta le nombre des régiments de ce corps d'armée de 16 à 20 régi- ments,dont 4 à 2 bataillons.
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Il voulut aussi constituer de la même façon un corps d'observation sur la frontière de Bavière composé également de 4 divisions (51, 52, 53, 54),sans compter 2 nouvelles divisions bavaroises; le tout sous les ordres du maréchal Augereau.
A. G.

l'armistice ne devait en réalité lui procurer qu'un renfort de 130,000 hommes d'infanterie avec l'artillerie correspondante. Les corps qui avaient participé à la bataille de Bautzen formant environ 200,000 hommes, Napoléon devait donc disposer pour la campagne d'automne de 350,000 hommes, sans compter les corps de cavalerie.

Quant à cette dernière arme, nous avons vu que dès la fin de la campagne du printemps, Latour-Maubourg et Sébastiani avaient reçu la partie principale de leurs escadrons reconstitués sur l eRhin, ce qui formait deux corps présentant ensemble un effectif de 16,000 chevaux. 4,000 hommes de la garde, 5,000 des contingents allemands portaient cette force à 25,000. Mais au moment de la signature de l'armistice, c'est-à-dire le 4 juin, la formation du 3o corps de cavalerie, que devait commander le duc de Padoue, était poussée activement. Une partie de ses éléments était déjà arrivée à Leipzig où Napoléon voulait réunir provisoirement un corps de réserve de toutes armes. Il s'y trouvait 4,000 hommes du 3o corps de cavalerie, que de nombreux détachements déjà en route devaient porter à 9,000 hommes, et aussi plusieurs colonnes en marche pour rejoindre l'armée. La division Dombrowski, réorganisée en Westphalie, devait bientôt y arriver forte de 1800 hommes d'infanterie et de 1200 de cavalerie.

Avec ces forces, le duc de Padoue qui avait en même temps le commandement supérieur de Magdebourg et de Wittenberg d'où il pouvait encore tirer quelques bataillons, devait détruire les partisans ennemis et maintenir libre la rive gauche de l'Elbe. Plus tard, à la reprise des hostilités, ayant son corps de cavalerie au complet, il devait participer aux opérations de l'armée que Napoléon comptait porter sur Berlin. Le mouvement qu'il avait prescrit à Oudinot dans la direction de cette capitale, après la bataille de Bautzen, avait assez mal réussi. Après avoir obtenu un succès à Hoyerswerda, ce maréchal avait échoué à Luckau et s'était replié sur Torgau ; mais Napoléon avait l'intention de reprendre ce mouvement en donnant à Oudinot de nouvelles forces dont le 3° corps de cavalerie devait faire partie.

Le corps de Kellermann, comprenant les 2divisions de cavalerie polonaise (Sokolnicki), reçut le numéro 4.
18 -
Napoléon se proposait de former encore un 5e corps de cavalerie avec des régiments tirés en entier d'Espagne, mais ce corps ne fut complet et organisé qu'à la fin de septembre ; il fut mis sous les ordres du général Pajol. Cependant une partie des escadrons de ces régiments furent prêts pour la reprise des hostilités et formèrent une division provisoire sous les ordres du général L'Héritier, tandis que Pajol commandait la cavalerie de Gouvion-Saint-Cyr. Ces 5 corps devaient présenter un effecti fde près de 50,000 cavaliers, auxquels il faut ajouter la cavalerie de la garde qui, formée en 3 divisions, donnait une force de 12,000 chevaux. Napoléon qui au printemps ne disposait pas de 10,000 hommes de cavalerie, allait donc en avoir plus de 60,000 à la reprise des hostilités.

Quant à l'artillerie elle comprenait plus de 1000 bouches à feu attelées, la garde à elle seule en avait plus de 200.
En somme,l'armée qu'il allait commander en Allemagne devait comprendre environ 400,000 hommes, sans compter le corps d'Augereau ni l'armée que le prince Eugène organisait en Italie.

En dehors de ces dernières forces il ne pouvait attendre que des renforts de peu d'importance, de sorte que jusqu'au mois d'octobre il devait conduire la guerre avec les seules forces qu'il aurait à l'ouverture de la campagne. Sans doute c'était un résultat dont il avait le droit d'être fier que de se trouver à la tête de 400,000 hommes, six mois après le désastre de Russie ; mais, comme nous l'avons dit, les Coalisés allaient avoir des forces encore bien plus considérables.

L'armée russe et prussienne qui s'était retirée en Silésie à la suite de la bataille de Bautzen fut presque triplée ; elle comprenait les corps russes de Sacken, de Saint-Priest, de Langeron et de Barclay de Tolly, et les corps prussiens de York et de Kleist, formant ensemble près de 230,000 hommes. En Bohême, les Autrichiens purent réunir en première ligne une armée de 120,000 hommes; du côté du nord se trouvaient les corps russes de Voronzow et de Wintzingerode, les corps prussiens de Bülow et de Tauenzien, présentant avec 50,000 Suédois, Anglais ou Allemands une force de 150,000 hommes.
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C'était donc 500,000 hommes que les Coalisés pouvaient opposer immédiatement aux 400,000 de Napoléon ; ce n'était pas une disproportion bien effrayante et Napoléon avait lutté jadis brillamment avec des forces autrement inférieures à celles de ses ennemis ; mais si, grâce à son génie et à l'expérience de ses lieutenants, il lui était permis d'engager la partie avec confiance, il fallait en même temps bien comprendre la nécessité de triompher rapidement de ses adversaires ; car si la guerre durait, ladisproportion numérique allait s'accroître démesurément à son désavantage.Tandis en effet que les Français n'avaient presque pas de renforts à attendre en Allemagne, de nombreuses réserves s'organisaient en Pologne pour les Russes, en Silésie et en Poméranie pour les Prussiens, en Bohême pour les Autrichiens, sans compter le corps d'observation que l'Autriche devait réunir en Bavière ni l'armée qu'elle formait sur les frontières d'Italie, pour tenir en échec les forces d'Augereau et du prince Eugène.

Les Coalisés avaient donc le moyen de réparer leurs pertes et c'était leur principal avantage sur Napoléon, qui était obligé d'en finir vite, sous peine de se trouver au bout de deux mois dans une situation d'autant plus périlleuse, qu'en dehors des armées organisées qu'il allait avoir à combattre , il serait obligé de contenir l'Allemagne se soulevant partout sur ses derrières, et d'employer des fractions importantes de ses forces à assurer ses communications.
.

Les Coalisés étaient bien pénétrés des avantages de cette situation ; aussi tout en étant résolus à pousser la guerre avec vigueur, ils avaient pris le parti d'agir avec une grande prudence, d'éviter de jouer trop tôt une partie décisive et, en attendant, d'employer tous les moyens pour affaiblir et user leur terrible adversaire. Partant de ces idées, ils arrêtèrent dans un conseil de guerre qui eut lieu à Trachenberg au milieu de juillet, les lignes générales du plan d'opérations qu'ils devaient suivre. Il fut convenu que partout on prendrait l'offensive, mais avec cette restriction essentielle que, là où serait Napoléon, on agirait avec une extrême prudence et qu'on se déroberait à son attaque, tandis que, sur les autres points, on pousserait l'offensive à fond contre ses lieutenants.Telle est l'idée générale qui devait dominer la conduite des opérations pendant la campagne qui allait s'ouvrir. Quant à l'application qui devait en être faite, c'est-à-dire au groupement des forces agissantes et au choix des lignes d'opérations à suivre, on décida que l'on opérerait avec trois armées distinctes.

21 -
La principale comprendrait les 120,000 Autrichiens réunis en Bohême, et de plus 70,000 Russes et 60,000 Prussiens qui, sous les ordres de Barclay de Tolly, de Wittgenstein et de Kleist, seraient distraits des forces réunies en Silésie pour venir les joindre.Cette grande armée serait sous les ordres de Schwarzenberg, qui en même temps était reconnu comme le généralissime des armées coalisées, mais qui en réalité ne devait diriger que l'armée de Bohême avec laquelle les souverains allaient marcher. Ensuite venait l'armée de Silésie, sous les ordres de Blücher. Elle comprenait les corps russes de Langeron, de Saint-Priest et de Sacken, forts ensemble de 60,000 hommes, et le corps prussien de York qui en avait près de 40,000. C'était donc une force d'environ 100,000 hommes réunis au delà de la Katzbach qui était la ligne de démarcation entre les deux armées en présence pendant l'armistice. Enfin il y avait l'armée du Nord que devait commander Bernadotte. Elle était forte de 150,000 hommes, dont 45,000 étaient destinés à surveiller les places de la Vistule et de l'Oder, 25,000 à observer Hambourg, tandis que lereste, présentant une force de 80,000 hommes, devait opérer sur l'Elbe moyen sous les ordres directs de Bernadotte.

Avec les trois armées de Bohême, de Silésie et du Nord, les Coalisés disposaient donc bien de 500,000 hommes de première ligne ; en arrière s'organisaient 60,000 Autrichiens aux environs de Vienne, 50,000 Russes en Pologne, et la Prusse pouvait compter encore sur 90,000 recrues qui achevaient de s'instruire. Les ressources de la Coalition destinées à opérer en Allemagne s'élevaient donc à plus de 700,000 hommes, dont près de500,000 hommes étaient immédiatement disponibles sur le principal théâtre des opérations qui allait être nécessairement le bassin de l'Elbe. Ces forces étant réparties en trois armées comme nous venons de le dire, le plan d'opérations arrêté à Trachenberg consista à
agir concentriquement contre Napoléon en partant de la Bohême, de la Silésie et des environs de Berlin ; le rôle des trois armées était dès le début nettement défini.

22

L'armée de Bohême devait essayer de pénétrer en Saxe, soit par l'Elbe directement sur Dresde, soit plus à gauche surLeipzig, de manière à menacer les lignes de communications de Napoléon avec le Rhin ; en même temps l'armée de Silésie chercherait à pousser sur l'Elbe les forces qu'elle avait devant elle; enfin l'armée du Nord s'avancerait sur l'Elbe moyen qu'elle essaierait de passer entre Wittenberg et Magdebourg, de manière à menacer le flanc gauche de Napoléon, tandis que l'armée de Bohême attaquerait le flanc droit. Comme nous l'avons dit, chacune de ces armées devait éviter toute action désavantageuse contre Napoléon, par suite avancer ou reculer suivant les circonstances, en ne perdant jamais de vue que le but fina létait de se réunir pour le combattre. «Toutes les armées coalisées, était-il dit à la fin de l'instruction qui réglait d'une manière générale les dispositions du plan arrêté à Trachenberg, prendront l'offensive, et le camp de l'ennemi sera leur rendez-vous.>> Les Coalisés espéraient ainsi, par un heureux mélange de de vigueur et de prudence, user Napoléon sans jamais se compromettre, puis après l'avoir affaibli et resserré entre eux, lui livrer une bataille générale et décisive qui amènerait la libération de l'Allemagne. Il faut bien convenir que ce plan ne manquait pas d'avantages, et quoique en principe l'idée de conduire l'offensive par des lignes d'opérations multiples et sans liaison facile ait toujours été considérée comme défectueuse, on doit reconnaître qu'elle était assez conforme à la situation des armées en présence ; la meilleure preuve qu'on en puisse donner, c'est que, quoique exécuté vis-à-vis d'un adversaire tel que Napoléon, ce plan aboutit à la bataille de Leipzig.

Quant à Napoléon, ses forces à la rupture de l'armistice se trouvaient réparties de la manière suivante :
D'abord sur le Bober, vis-à-vis de l'armée de Silésie, il n'avait laissé que les quatre corps de Ney (3e), de Lauriston (5e), de Marmont (6e) et de Macdonald (11e), avec la cavalerie de Sébastiani. Ils formaient ensemble, sous les ordres supérieurs de Ney, une armée de 100,000 hommes directement opposée à celle de Blücher qui était de même force.
Ensuite, dans la région dont Dresde est le centre, il y avait à Zittau le corps de Poniatowski (8e) et un peu en arrière le corps de Victor (2e)


23
avec la cavalerie de Latour-Maubourg, puis tout près de l'Elbe, à hauteur de Koenigstein, le corps de Vandamme (1er) sur la rive droite, et celui de Saint-Cyr (14e) sur la rive gauche, enfin la garde de Bautzen à Gorlitz. Ces divers corps formaient ensemble une force de 170,000 hommes environ en y comprenant la garnison de Dresde; ils pouvaient être rapidement opposés à l'armée de Bohême qui en avait 250,000. Du côté du Nord, Napoléon avait les trois corps de Bertrand (4e), Reynier(7e) et d'Oudinot(12e) qui, sous les ordres de ce dernier, formaient avec la cavalerie du duc de Padoue une armée de 65,000 hommes opposés aux 80,000 de Bernadotte qui devait être rapidement renforcé d'une vingtaine de mille hommes, tirés du blocus des places; mais il y avait de plus la division Dombrowski à Wittenberg ; une division mobile formée à Magdebourg avec des éléments de diverses provenances : elle était forte de 12,000 hommes et placée sous les ordres du général Girard. Il y avait enfin le corps de Davout à Hambourg, comprenant 30,000 hommes, tandis que le général Valmoden qui lui était opposé n'en avait que 25,000.

On voit qu'au moment de la reprise des hostilités les armées en présence étaient à peu près égales en Silésie ; mais au nord, les forces françaises réparties de Wittenberg à Hambourg étaient inférieures de 20,000 hommes à celles qui leur étaient opposées, et sur la frontière de Bohême la différence était de plus de 80,000hommes. En somme, au point de vue numérique, la situation de Napoléon était donc bien moins bonne qu'au lendemain de la bataille de Bautzen, et contrairement à ses prévisions, c'était surtout à ses ennemis que l'armistice avait profité. L'Empereur ne se faisait cependant pas illusion sur l'importance des renforts que l'Autriche apportait à la Coalition; il allait néanmoins engager la lutte avec une entière confiance. Embrassant dans son ensemble le vaste théâtre sur lequel les armées allaient opérer, il comptait bien, grâce à sa supériorité dans l'art de manœuvrer, rétablir sur le champ de bataille la supériorité qui lui manquait dans l'ensemble ; sans connaître en

Dans une instruction adressée à ses lieutenants le 13 août, c'est-à-dire deux jours après la déclaration de 'guerre de l'Au- triche, il leur exposa ses vues sur la conduite de la prochaine campagne.
D'abord,ilveut prendre résolument l'offensive sur Berlin en y employant les corps 4,7 et 12 avec la cavalerie du duc de Pa- doue sous les ordres supérieurs du maréchal Oudinot; la divi- sion Girard de Magdebourg et le corps du maréchal Davout à Hambourg doivent coopérer à cette opération.
Examinant les projets possibles des Autrichiens,ilsuppose suc- cessivement qu'ils attaquent sur Dresde par Peterswalde, par Zittau sur Gorlitz,ou qu'ils rejoignent en Silésie la masse prin- cipale des Russes et des Prussiens.
Ainsi,ce qui caractérise ces projets,c'est que,tandis que Na- poléon est décidé à l'offensive sur Berlin, il veut sur les autres points subordonner ses opérations à celles de ses adversaires.On ne peut qu'admirer la distribution de ses forces vis-à-vis de la Bohême etde la Silésie,cariln'étaitpaspossiblede prendre
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détail les desseins de ses adversaires, il s'était parfaitement rendu compte,avant la reprise des hostilités,de ce qu'ils pou-
vaienttentercontrelui,etilseproposaitde profiter de ladivi- sion des armées ennemies,qui semblaient mal liées entre elles, pour les battre l'une après l'autre,en renouvelant sur une plus grande échelle,dans le bassin de l'Elbe,les prodiges qui avaient inauguré sa brillante carrière dans le bassin de l'Adige.
Du côté de la Bohême et de la Silésie les opérations dépen-
dront des mouvements des Alliés à qui Napoléon croit devoir laisser l'initiative.
Avant de riposter ilveut observer; pour cela il a le corps de Saint-Cyr en avant de Dresde, celui de Poniatowski à Zittau. Vandamme à Stolpen est en mesure d'appuyer rapidement l'un oul'autre.Sur leBoberilales4corpsdeNey,Marmont,Lau- riston et Macdonald forts ensemble de 100,000 hommes.Illui reste une masse centrale à Gorlitz qui comprend la garde,le 2ocorpsetlacavalerieLatour-Maubourgformant80,000hommes.
Avec ces dispositions Napoléon est en mesure , suivant les cir- constances,d'exécuter une concentration rapide sur Dresde ou sur leBober,ou sur Zittau pour déboucher en Bohême.

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des dispositions mieux en rapport avec les hypothèses qu'il envi- sageait .
Toutefois il faut remarquer que ces hypothèses n'étaient pas tout à fait conformes à la réalité.
L'Empereurdevaitbientôten êtreinformé;l'idéeluivintde suite que la grande armée réunie en Bohême pourrait bien se porter sur la Saale de manière à rompre ses communications avec le Rhin ;mais la perspective d'un pareil mouvement ne de- vaitpas changer sensiblement ses dispositions.
<< Si l'ennemi pénètre par Bayreuth et arrive en Allemagne , é c r i t -i l l e 1 7 a u m a r é c h a l S a i n t - C y r , j e l u i s o u h a i t e b o n v o y a g e e t je le laisse aller, bien certain qu'il reviendra plus vite qu'il n'aura été. Ce qui importe,c'est qu'on ne nous coupe pas de Dresde et de l'Elbe,peu importe qu'on nous coupe de France. » Et alors il explique que , pendant que la grande armée exécutera l e m o u v e m e n t q u ' i l s u p p o s e , il s e j e t t e r a s u r B l ü c h e r e t q u ' a p r è s l'avoir battu il pourra, soit marcher sur Berlin,soit revenir sur lagrande armée par laBohême.
<< Tout cela n'est pas très clair ajoute-t-il. Ce qui est clair c'est qu'on ne tourne pas 400,000 hommes qui sont assis sur un sys- tème de places fortes et sur une rivière comme l'Elbe. »
Et en effet, pour appuyer et faciliter ses manoeuvres , il était maître de ce grand fleuve,depuis sa sortie de la Bohême jusqu'à lamer.Ilen possédaittouteslesplacesqu'ilavaitaméliorées,
telles que Torgau, Wittenberg et Magdebourg; à Dresde et à H a m b o u r g , qui n'étaient pas protégées par des fortifications per- manentes,ilavaitfaitéleverdes ouvragesenterrepourcouvrir ces deux grandes villes avec des forces relativement faibles.
En outre,pendantl'armisticeilavaitremplitoutescesplaces. d e v i v r e s e t d e m u n i t i o n s . D e l a s o r t e il p o s s é d a i t s u r l ' E l b e u n e véritable base d'opérations provisoire des plus précieuse, lui
Napoléonsupposeen effetlesAutrichiensseulsenBohême,il envisage même l'éventualité de leur passage en Silésie;or,non seulement cette éventualité ne devait pas se réaliser, mais c'était au contraire 130,000 Russes et Prussiens qui devaient passer en Bohême pouryjoindreles120,000Autrichiensquis'ytrouvaient. Au moment où Napoléon rédigeait son instruction,ce mouve- ment qui avait commencé le lendemain de la déclaration de guerre de l'Autriche était en pleine voie d'exécution.

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permettant d'y conduire la guerre pendant un certain temps sans se relier directement au Rhin;en même temps ily disposait de nombreux points de passage,tandis que l'ennemi n'en avait aucun,parce que la possession des places le rendait maître de tous les ponts fixes. Si les opérations le conduisaient sur l'Oder il devait y rencontrer les m ê m e s avantages , étant maître des places de Glogau,de Custrin etde Stettin.
Dans ces conditions il semble qu'il pouvait attendre avec sécu-
rité l'offensive de l'ennemi,car qu'elle se dessinât par la Silésie
ouparlesfrontièresdeBohême,ilavaitlesmoyens d'ytrouver l'occasion de brillants succès.
Malheureusementiln'enétaitpasdemème àl'arméeduNord. Et s'il était raisonnnable d'attendre les plus heureux résultats des combats qui allaient se livrer soit aux environs de Dresde, soit sur le Bober,on ne pouvait envisager sans appréhension les opérations que l'armée d'Oudinot était chargée d'entreprendre. Cette armée,inférieure en nombre à celle qu'elle avait devant elle,était commandée par un chefd'un courage brillant,mais peu capable de la conduire,et quant à l'appui que devaient lui prêter les troupes de Magdebourg et de Hambourg il n'y fallait guère compter en raison de leur éloignement. Nous n'hésitons donc pas à dire que,sous ce rapport,le plan de Napoléon était défectueux.Mais ce n'était pas une raison suffisante pour que la défaitefinalefûtcertaine;car,en somme,lethéâtred'opérations de l'armée du Nord n'était que secondaire, et en regardant la défaitede cettearmée comme probable,cettedéfaitepouvaitêtre compensée largement par les succès que Napoléon pouvait obtenir sur le théâtre principal.
Malgré cette défectuosité, il nous semble donc,en essayant d'oublier pour un moment le résultat de la campagne,qu'à l'ou- verture des hostilités toutes les chances étaient en faveur de Na-
poléon. Son armée quoique jeune était excellente,les succès de Lutzen et de Bautzen avaient fait oublier le désastre de 1812 ;
avec les chefs expérimentés qui la commandaient ,Napoléon pou- vait compter sur sa vigueur autant que sur son dévouement .
Il est vrai qu'elle avait devant elle des troupes d'un moral fort élevé et qui n'étaient pas prêtes au découragement comme à l'époque d'Austerlitz ou d'Iéna. Elles étaient disposées aux plus grands sacrifices,parce que partout on y avait le sentiment que

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la guerre qui allait commencer était non pas politique mais nationale. Les Allemands lui ont donné avec raison le nom de
guerre de l'Indépendance, car c'est surtout dans la résolution de s'affranchir de la domination étrangère qu'a résidé la principale force de leurs armées .
II.
Du 15 au 30 août.
Napoléon reçut,le 12 août, la déclaration de guerre de l'Au- triche; après avoir rendu la guerre inévitable par ses exigences, il se croyait en mesure de la conduire victorieusement contre tous ses ennemis.
C o m m e nous l'avons dit, son système consistait à ne prendre résolument l'offensive que du côté de Berlin et, sur les autres points, à subordonner ses opérations à celles de l'ennemi.
Ayant expédié ses ordres à Oudinot le 12, comptant le voir à Berlin le 21 ou le 22, il quitta Dresde le 15 , pour se rendre sur la frontière de Bohême à l'est de Dresde, et essayer de se ren-
dre compte des intentions des Autrichiens.Arrivé à Bautzen, il apprend le 16,le mouvement des Russes et des Prussiens de
Silésie en Bohême et,en même temps que Blücher,violant le droit des gens, a rompu l'armistice et attaqué, dès le 15 août, lescorpsfrançaisplacéssurlaKatzbach,tandisqueleshostilités ne devaient recommencer que le 17. Il peut s'attendre à voir la grande armée de Bohême déboucher par Zittau ou par la gauche de l'Elbe,ou bien Blücher poursuivre résolument son offensive; avantde prendre un parti,ilveutvoirplus clairdans lasitua- t i o n . L e 1 8 , il v a à G o r l i t z e t l e 1 9 à Z i t t a u , c o u r t j u s q u ' à G a b e l et constate que les Autrichiens ne songent pas attaquer de ce côté; les nouvelles de Dresde lui font savoir qu'ils ne se mon- trent pas non plus aux débouchés des montagnes, sur la rive gauche de l'Elbe;mais en même temps il apprend que les corps
de Silésie sont sérieusement attaqués par Blücher.
Il était en effet dans les plans de la Coalition que l'armée de Silésie prendrait la première l'offensive et, ce n'était qu'après
10 Précis des opérations.

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qu'elle aurait attiré Napoléon , que l'armée de Bohême essaierait de pénétrer en Saxe.Blücher,comme nous l'avons dit,dans sa
fougue,avaitdevancé de deux jours le terme de l'armisticeet, dès le 15 , avait envahi le pays neutre qu'il aurait dû respecter
jusqu'au 17. Ilavait devant lui, sur la Katzbach,le corps de Ney (3o) à Liegnitz et celui de Lauriston (5o) à Goldberg et,plus loin,surleBober,lecorpsde Macdonald (110)àLowenberget c e l u i d e M a r m o n t (6 e ) à B u n z l a u .
Ces quatre corps sortaient à peine de leurs cantonnements lors-
qu'ilsfurentattaqués.Néanmoins,lesdeux corpsdelaKatzbach se retirèrent dans le meilleur ordre sur le Bober,Ney se réunis- santàMarmontetLauristonàMacdonald.
Napoléon,prévenu de ces événements dès le 19,mit de suite toute la garde en marche vers le Bober et partit lui-m ê m e le 20 au soir après avoir renouvelé ses instructions à Saint-Cyr et à Victor,au sujetdelasurveillanceàexercerducôtédelaBohême. Il compte en finir rapidement avec Blücher, puis revenir sur l'armée de Schwarzenberg soit par Zittau, soit par Dresde,sui- vant qu'elle se montrera par l'une ou l'autre rive de l'Elbe.
Arrivé à Lovenberg le 21 au matin , sans attendre l'arrivée de la garde qui était partie de Gorlitz la veille,il reprend le jour m ê m e l'offensive et en deux jours rejette Blücher au delà de la Katzbach après lui avoir fait perdre plusieurs milliers d'hommes .
Le 22,nos quatre corps sont sur cette rivière,tandis que la garde arrive à Lovenberg.Mais le soir même Napoléon reçoit un courrier du maréchal Saint-Cyr qui lui apprend que des masses considérables sont en mouvement de la Bohême sur la Saxe,par la rive gauche de l'Elbe.
Dès le lendemain,ilremet la garde en marche de Lovenberg sur Dresde etlafaitsuivrede Marmont,jugeant les trois corps de Ney, de Macdonald et de Lauriston suffisants vis-à-vis de Blücher..Enoutre,Vandamme quiétaitàStolpen,demanièreà appuyer soit Saint-Cyr à Dresde, soit Victor à Zittau,est dirigé sur l'Elbe ;Victor reçoit la même destination,avec l'ordre de ne laisser à Zittau que Poniatowski avec la cavalerie de Keller-
Napoléon se dispose à revenir lui-mêine sur Dresde ,mais avant departirilveutqueNey,MacdonaldetLauristonpoussentencore Blücherdanslamatinéedu23. Lescorps3,5et11,aveclaca-
mann.

valerie de Latour-Maubourg et de Sébastiani,attaquent de nou- veau et obligent leur adversaire à se retirer sur Jauer. Ayant constaté ce résultat, Napoléon part l'après-midi pour Gorlitz, emmenant avec lui le maréchal Ney qui fut remplacé à la tête du 3 corps par Souham et après avoir prescrit à la cavalerie de Latour-Maubourg de marcher aussi sur Dresde.
L'armée opposée à Blücher n'allait donc plus comprendre que les trois corps 3,5 et 11 avec la cavalerie de Sébastiani, forts ensemble de 70,000 h o m m e s ; cette armée fut mise sous les ordres de Macdonald qui fut remplacé à la tête du 11e corps par le général Gérard .
En luiconfiantcecommandement,Napoléon donna àMacdo- nald des instructions précises : « Son but, lui fait-il dire par le major général, est de tenir en échec l'armée de Silésie et d'em- pêcher qu'elle ne se porte sur Zittau ou sur Berlin.
« Je désire qu'il pousse l'ennemi au delà de Jauer et qu'il p r e n n e e n s u i t e p o s i t i o n s u r l e B o b e r , o ù il s e r e t r a n c h e r a . > >
Et,en effet,conformément au plan convenu à Trachenberg,la grande armée de laCoalition composée de 250,000 Russes,Prus- siens etAutrichiens,dès que l'offensive de Blücher avait été net- tement accentuée et, après s'être réunie entre Teschen et Com- motau,s'étaitmiseenmarche en quatre colonnes à travers les défilésdel'Erzgebirge.A droite,lesRussesdeWittgensteinmar- chaient sur la grande route de Toeplitz à Dresde par Peterswalde ; puislesPrussiensdeKleist,suivaientlaroutedeToeplitzàDresde par Altenberg et Dippodiswalde ; ensuite,le gros des Autrichiens par Commotau et Marienberg sur Chemnitz; enfin,à gauche, les nouvelles levées autrichiennes,sous le général Klenau, sui- vaient la route de Carlsbad à Zwickau . Ces quatre colonnes
mar....aient ainsi sans se lier ensemble et sans que leurs chefs sussentaujustecequ'ilsenferaientaprèsavoirpénétréenSaxe, mais plutôt disposés à marcher sur Leipzig, sous le prétexte de
-- 29
En arrivant à Goerlitz lesoir même du 23,Napoléon y trouve
des nouvelles plus précises de Dresde.
Dans une lettre datée de la veille au soir, Saint-Cyr lui appre-
nait que le mouvement de l'armée de Bohême s'accentuait,qu'une colonne marchant par la route de Peterswalde avait occupé Hel- lendorf et que le 14e corps était obligé de se retirer sur Dresde.

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couper les communications de Napoléon avec le Rhin .Jomini qui se trouvait au camp des Coalisés,réussit à montrer à Alexandre
ledangerd'unepareilleopération,enluifaisantcomprendreque Napoléon avait toutes ses ressources sur l'Elbe, qu'une fois l'armée de Bohême à Leipzig,ilpourrait l'attaquer en venant de Dresde avec le gros de ses forces et que, dans ces conditions, ce serait elle et non pas lui qui risquerait d'avoir ses communica- tions coupées et que,si l'on perdait la bataille,la défaite serait désastreuse.Appréciant la sagesse de ces observations,on prit le parti de se porter non pas sur Leipzig mais sur Dresde,en faisant exécuter aux quatre colonnes une grande conversion dont la droiteseraitlepivot.On espéraitenlevercettepositionavantle retour de Napoléon .
Pour exécuter ces projets,les Russes et les Prussiens avaient cheminé près de Dresde,tandis que la 3o colonne était ramenée de Marienberg sur la route de Dippodiswalde etque Klenau mar- chait par Chemnitz sur Freyberg.
Le 20 et le 21 ,le général Pajol qui commandait la cavalerie du maréchal Saint-Cyr, avait observé ces mouvements en se retirant devantlescolonnesennemieset,le22,deuxdivisionsdu14ecorps,
attaquées à Gieshubel et à Borna par Wittgenstein,avaient dû céderleterrain.Dans cesconditions,Saint-Cyrpritlepartide
repliertoutessesforcessurDresde,saufladivisiondegauche(42 ) qu'iltenaità Koenigstein,etilrendit compte àl'Empereur.
Vandamme,Victor,Marmont,lagarde étaienten marche vers
l'Elbepour soutenirSaint-Cyr;mais,dèsle24,lesidéesde
l'Empereurseprécisèrent,ils'arrêtaauprojetdedéboucheravec
le gros de ses forces non pas par Dresde mais par Koenigstein, de manière à tomber dans le flanc droit des Coalisés et à les
couperdelaBohême.Sur-le-champ,ildonna desordresencon- séquence Vandamme fut dirigé sur Lilienstein pour y passer
le pont de l'Elbe qui reliait cette localité à Koenigstein,Victor fut porté sur Stolpen;Marmont etlagarde devaientsuivre.
Ces nouvelles n'étaient pas faites pour surprendre Napoléon . En les recevant à Gorlitz,le 23,il n'eut qu'à compléter les or- dres qu'ilavait donnés la veille à Lovenberg.
Pendant que ces mouvements s'exécutent,Napoléon se porte deGorlitzàStolpenoùilarrivele25,à 7 heures du matin.A
m i d i , il y reçoit le p r e m i e r avis d e la défaite q u e le m a r é c h a l O u -

dinotavaitéprouvéele13àGrossbeeren,enessayantdemarcher sur Berlin;mais les nouvelles manquent de précision,on peut croire que l'échec d'Oudinot a peu de gravité. L'Empereur per- sistedansleprojetdemanœuvrerparKonigstein,maisilserend bien compte que le succès de cette opération dépend de la résis- tance du maréchal Saint-Cyr à Dresde.Or celui-ci avait bien écrit qu'il ferait de son mieux ,mais aussi qu'il ne répondait de rien.
Pour être mieux renseigné sur la situation,Napoléon envoya son officier d'ordonnance Gourgaud,de Stolpen à Dresde.Celui- ci y trouva Saint-Cyr toujours peu rassuré en présence des forces nombreuses qui l'environnaient,la famille royale et la popula- tion remplies de crainte.
Il revint le soir à Stolpen et affirma que Dresde serait enlevée lelendemain siSaint-Cyr n'étaitpas secouru.
Sur ce rapport,Napoléon modifie ses dispositions.Ildirigele
gros de ses forces sur Dresde et laisse V a n d a m m e seul sur Koenig-
stein;le dessin général de la manoeuvre qu'il exécutera reste le
même,mais lesrôlessontrenversés.Au lieude tenirenéchec
l'armée ennemie avec un seul corps et de manoeuvrer avec le
reste dans le flanc droit de cette armée,ce sera legros des forces
françaises qui lui tiendra tête, tandis qu'un seul corps attaquera
son flanc droit.Ainsi Victor, Marmont et la garde sont dirigés
surDresde,tandis que Vandamme,renforcé de la 42e division,
est porté sur Koenigstein avec l'ordre de concourir à la bataille
qui va se livrer en s'emparant de Pirna qui se trouve au point où la route de Peterswalde à Dresde touche l'Elbe.
Précédant ses troupes,Napoléon part lui-m ê m e pour Dresde où ilarrive le 26,à 9 heures du matin.Il était temps que sa pré-
sence vînt y ranimer les esprits.
Le23etle24,onn'avaitvuà proximitédeDresdequelaco-
lonne de droite de l'armée de Bohême,mais,le 25,les deux colonnes centrales avaient rejoint,etla colonne de gauche devait arriver le 26. Les souverains et le généralissime avaient décidé d'attaquer ce jour-là.
Pour résister à ces 200,000 hommes, Saint-Cyr n'avait que trois divisions du 14°corps avec sa cavalerie et quelques milliers d'hommes spécialement attachés à la place de Dresde .
Le toutformait environ 25,000 hommes que lemaréchal établit en demi-cercle autour des faubourgs de la ville,sur une position
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renforcée de cinq redoutes armées d'artillerie. Il disposa ses troupes avec un art consommé,de manière à utiliser tous les
avantages du terrain;mais on comprend que se trouvant en pré- sence de forces dix fois supérieures aux siennes,avec de jeunes t r o u p e s q u i s a v a i e n t à p e i n e s e s e r v i r d e l e u r s a r m e s , il n ' a i t p a s osé affirmer qu'il réussirait à briser leur choc .
Cependant,toutelamatinéedu 26,leschefsdel'arméedeBo- hême hésitaient à prononcer l'attaque qu'ils avaient résolue la veille.Ilsapprirentrapidementl'arrivéedeNapoléon,etlesRusses qui suivaient la route de Péterswalde avaient aperçu des colonnes nombreuses venant par larive droite.D'ailleurs Saint-Cyr s'était retiré sous la protection des ouvrages de la place. On se dit au c a m p d'Alexandre qu'il ne serait pas aisé d'enlever la position et onétaitplutôtdisposéàseretirersurlesmontagnes,lorsqueles ordres donnés la veille n'ayant pas été contremandés, l'action commença vers trois heures sur toute la ligne.
Napoléon avait approuvé toutes les dispositions de Saint-Cyr et disposé sur le pourtour de la ville,comme première réserve,la vieillegarde,arrivée presque en même temps que lui avec la ca- valeriedeLatour-Maubourg.Cettedernièrefutplacéeàladroite, sous les ordres de Murat,ainsi que la cavalerie de Pajol et sou- tenue par une partie de la division Teste,du 1er corps,qui n'avait pas encore rejoint Vandamme1 .
- 32 ―
Partoutlestroisdivisionsdu 14ecorps présentèrentune résis-
tanceopiniâtre;cependant,grâce àleur nombre,les Prussiens et les Autrichiens réussirent à faire quelques progrès entre les routes de Pirna et de Dippodiswalde.L'entrée en ligne de quel- ques compagnies de vieille garde avait suffi à les arrêter aux barrières.
Bientôtlesquatredivisionsdejeunegarde,arrivéesàleurtour, débouchent sous les ordres de Ney et de Mortier et reprennent à l'ennemi tout le terrain qu'il avait conquis. En même temps, Murat avec Teste et Latour-Maubourg, soutient Pajol qui, à l'extrême droite, avait dû céder le terrain. Sur toute la ligne l'ennemiestrefoulésurlespositionsqu'iloccupaitlematin.
Le corpsdeVandamme qui,comme on sait,provenaitdu dédoublement des forces primitivement attribuées au maréchal Davout, avait été porté par fractions de Hambourg à Dresde.

L'attaque de l'armée de Bohême a donc échoué,mais Napoléon ne veut pas s'en tenir là.Avec Victor et Marmont qui arrivent danslasoirée,ilaurapourlelendemain120,000 hommes,sans compter Vandamme qui,à Koenigstein,en a 40,000.
Ilveut avec ces forces livrer une bataille décisive et,ayant re- marqué que le champ de bataille était coupé par un profond ravins'abaissantversl'Elbe,au-dessousdeDresde,ilseproposa
de la gagner en accablant avec des forces supérieures, l'extrême gauche des Alliés qui se trouvait au delà de ce ravin.
D a n s c e b u t , il p l a c e à s a d r o i t e M u r a t a v e c L a t o u r -M a u b o u r g , TesteettoutlecorpsdeVictor,aucentreMarmont etSaint-Cyr avec la vieille garde en réserve et, à gauche , la jeune garde et la cavaleriede lagardesousNey;tandisque Saint-Cyr etMarmont entretiendront lecombat,Murat à droite,Ney àgauche,doivent
prendre résolument l'offensive.
Le 27,à 7 heures du matin,sur un sol détrempé par une pluie torrentielle qui avait duré toute la nuit,le brouillard s'étant dis- sipé,la bataille commence par une violente canonnade sur le frontde Saint-Cyr etde Marmont.
Bientôt Victor s'avance au delà du ravin de Plauen,tandis que Murat avec la cavalerie se prolonge à droite pour déborder la gauche autrichienne.
Du côté opposé, Ney se dispose à aborder Wittgenstein.En présencedecederniermouvement,Alexandre etSchwarzenberg, surleconseildeJomini,voyantlecentrefrançaisimmobileetne sachant pas ce qui passait au delà du ravin de Plauen,songent à accabler Ney en l'attaquant à la fois avec les Russes et les Prus-
siens. Mais avant qu'ils aient pu mettre ce projet à exécution,
l'offensive de Victor et de Murat se développait avec succès. A. G.
33 -
En même temps,Napoléon renouvelle à Vandamme l'ordre de déboucher de Koenigstein et d'attaquer le flanc droit des Coalisés.
Quant aux Alliés, ils ne savent que se laisser conduire par les événements,il sont décidés à se maintenir sur leurs positions, mais ils n'ont aucun plan d'attaque ni de défense. Comme la veille,lesRusses sontàdroite,vis-à-vis de Ney,lesPrussiens et le gros des Autrichiens au centre, vis-à-vis de Saint-Cyr et de Marmont et,au delà du ravin de Plauen,une division de Klenau
dontlegrosétaitencore en marche,avecdeuxautresdivisions autrichiennes .
3

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Vers midi,le premier avait enlevé aux Autrichiens les villages de Toeltschen,de Rosthal et de Corbitz et, pendant qu'ils se reti- rent,Murat se précipitant sur eux avec la cavalerie de Latour-
Maubourg,lesjette dans leravin avant qu'ils aientpu recevoir aucun secours.
A 2 heures,la gauche de l'armée de Bohême était en déroute, ayant perdu 16,000 hommes dont 12,000 prisonniers.
Au centre la lutte continuait sans amener de résultat décisif,
si ce n'est qu'un boulet de canon français frappa mortellement le général Moreau qui,étant venu donner ses conseils aux ennemis de sa patrie,se trouvait sur le champ de bataille aux côtés de l'empereurAlexandre.A la droite,le généralBarclayde Tolly qui commandait les réserves russes, ayant déclaré que le sol détrempé rendait impossible les mouvements de l'artillerie, on
avait renoncé à l'offensive que l'on avait projetée contre le maréchal Ney,mais on était parvenu à arrêter ses progrès.
Ainsi, malgré le brillant succès de Murat et de Victor à notre
droite,le soir de la bataille l'armée de Bohême restait maîtresse
de ses principales positions vis-à-vis de Napoléon. Celui-ci ne regardaitpaslajournée comme décisive,ils'attendaitàrecom- mencer la bataille le lendemain .
Mais Schwarzenberg ne se sentait pas capable de soutenir une nouvelle lutte.Ayant échoué le premier jour contre des forces très inférieures,ayant lutté péniblement le second en essuyant à gauche des pertes sensibles, le généralissime de la Coalition ne jugea pas prudent d'accepter une troisième bataille.D'ailleurs il avait appris dans la soirée que Vandamme avait débouché de Koenigsteinetoccupé Pirna.Ce dernier,en effet,exécutant les
ordres de l'Empereur, avait passé l'Elbe le 26 et,tournant à droite,avaitmarchédansladirection de Dresde.Ilavaittrouvé
devant lui le corps russe du comte Ostermann que Wittgenstein avaitlaissésurlaroutedePeterswaldepourobserverledébouché de Koenigstein.Ostermann ne se trouvant pas en force,céda le terrain,etnostroupespassèrentlanuitàpeudedistancedePirna où elles entrèrent le27 au matin.
Pendantcettejournée,Vandamme s'étaitcontentéderéunirses troupes sur cette position et de les y installer solidement . Il n'en était pas moins un danger pour la retraite de l'armée de Bohême ;
Na-
aussi Schwarzenberg craignant à la fois d'être bousculé par

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poléon,s'ilacceptaitune troisièmebatailleetprévenuenBohême parVandamme,prit,lesoirmême du27,lepartidedécamper sans perdre de temps.Quantaux routes à suivrepourlaretraite, on décida que le gros des Russes , sous Barclay de Tolly, repren- draitlaroutede Peterswalde,quesil'onytrouvaitVandamme, on l'attaquerait pour se frayer un passage,qu'au centre,les Prus- siens de Kleist et une partie des Autrichiens se retireraient par Dippodiswalde et Altenberg,tandis qu'à gauche,le restedes Au- trichiens passerait par Freyberg,Marienberg et Commotau.
L'exécution de ces dispositions commença dès les premières heures de la matinée du 28. Toutefois Barclay de Tolly,aperce-
vant de l'encombrement sur la route de Peterswalde et craignant
d'être arrêté par Vandamme,prescrivit au gros de sa colonne de changer de direction et de prendre à droite pour gagner la route du centrequesuivaientdéjàlesPrussiens etlesAutrichiens.
Ilordonnamême aucomteOstermannqui,depuislaveilleétait en contact avec Vandamme ,de se replier sur lui avec une partie de son corps d'armée et de laisser le reste seulement suivre la
route de Peterswalde sous les ordres du prince Eugène de Wur- temberg.Maiscettedernièrepartiedel'ordrenefutpasexécutée. LeprincedeWurtembergcraignantd'êtreaccabléparVandamme, parvint à retenir Ostermann avec toutes ses troupes et,tous les deux, en contournant habilement les positions qu'occupait Vandamme à Pirna,réussirent à l'éviter et à rejoindre la grande routeprèsdeGieshubel.ToutefoisVandamme avertidelavic- toire de Dresde et bientôt avisé du mouvement de retraite des troupes qu'il avait devant lui,se mit à leur suite, attaqua leur arrière-garde à Gieshubel et lui livra un violent combat qui lui fitperdreunmillierd'hommes.
PendantcetempsNapoléonqui,laveilleausoir,doutaitencore de l'importance de sa victoire,avait pu constater lui-même dès lapremière heure du jour,lemouvement de retraite de l'armée deBohêmeetilavaitprissesmesures pourlespoursuivredans toutes les directions.
Mortier,avec l'infanterie de la jeune garde et la cavalerie de Nansouty, est dirigé sur Pirna ; Saint-Cyr doit marcher par Dohna,joindreVandamme etmarcheravecluisurGieshubel; Marmont doit suivre la colonne du centre;Murat etVictor doivent s'avancer sur la route de Freyberg .Pendant que ces ordres s'exé-

On le mit dans sa voiture et ilrevint à Dresde1 . La direction de la poursuite fut ainsi abandonnée à Berthier qui instruisit Vandamme de la position de Mortier à Pirna d'où ce maréchal pouvaitau besoinlesoutenir,etilluimontra comme objectifin- diqué par l'Empereur,la communication de Teschen, Aussig et Toeplitz où ilse trouvera sur les derrières de la grande armée. QuantàSaint-Cyr,àMarmontetàMurat,Napoléon,lelendemain matin,leur fait dire de suivre l'ennemi dans toutes les directions e n s e s o u t e n a n t m u t u e l l e m e n t , m a i s il n e j u g e p a s n é c e s s a i r e d e venir diriger lui-m ê m e la poursuite ; quoique remis de son indis- position, il reste à Dresde où il est retenu par les mauvaises nou- velles qu'il reçoit des autres parties du théâtre des opérations.
Le 25,à Stolpen,ilavait eu le premier avis de la défaite d'Ou-
dinot à Grossbeeren,lesjours suivants de nouveaux rapports lui
e n a v a i e n t f a i t c o n n a î t r e l ' i m p o r t a n c e . L e 2 9 , il a p p r i t l a d é f a i t e
complète de Macdonald sur la Katzbach . Dès lors toute son at-
tention fut attirée par la nécessité de réparer ces deux défaites et
il négligea de diriger avec tout le soin désirable la poursuite de l'armée battue à Dresde.
1 Thiers soutient que Napoléon n'a pas été rappelé à Dresde par une indis- position qui, d'après lui, est une fable, mais par les nouvelles qu'il reçut de Macdonald.Il appuie son opinion sur l'assertion de Marmont que Napoléon n'étaitpasmalade.Maiscetteassertionn'aaucunevaleur,carMarmontn'a puvoirNapoléonquelematin,etnonpasàmidiàPirna.Au contraire,les témoins oculaires parlent de cette indisposition. Pelet notamment qui com- mandait une brigade de la jeune garde, dit que les douleurs furent tellement vives qu'on crut Napoléon empoisonné . C'est donc bien cette indisposition qui a ramené Napoléon à Dresde ; mais on doit ajouter que probablement elle
n'aurait pas suffi à l'y retenir s'il n'avait reçu de mauvaises nouvelles de la Katzbach .
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cutaient, Napoléon put constater le mouvement transversal de
gauche à droite de Barclay de Tolly,et modifiant les instructions
données à Saint-Cyr, il le rapprocha de Marmont en le portant de Dohna sur Maxen.
Partout on rencontra des traînards,des voitures abandonnées
et l'on fit encore de nombreux prisonniers, surtout sur la route de Freyberg.Quant à Napoléon lui-même,ilarriva à Pirna vers
l e m i l i e u d u j o u r e t , s ' é t a n t a s s i s p o u r v o i r d é f i l e r l a g a r d e , il f u t pris de violentes douleurs d'entrailles.

Il convient de rapporter ici les événements qui avaient amené les défaites des maréchaux Oudinot et Macdonald .
Oudinot,conformément aux ordres qu'il avait reçus,avait dé- b o u c h é d e l ' E l b e à W i t t e n b e r g ; il s e t r o u v a i t l e 1 8 à B a r u t h , s u r
la route de Torgau à Berlin avec ses trois corps , 4 , 7 et 12 et la réserve de cavalerie du duc de Padoue. Les jours suivants,il
s'était porté transversalement sur Luckenwalde pour rallierquel- ques corps attardés arrivant par Wittenberg et s'était remis en route vers le Nord en suivant la direction de Juterbock à Berlin, parTrebbin.Ilnedisposaitquede65,000hommes etavaitdevant lui, au sud de Berlin, l'armée de Bernadotte portée à 90,000 hommes par l'arrivée récente du corps de Tauenzien, destiné d'abord au blocus des places. Pour l'attaquer, Oudinot mit son armée en mouvement en trois colonnes celle de gauche,com- prenant le 12o corps suivit la grande route, le 7e au centre et le 4e à droite.
Le 21,le12o corps,avec l'aidedu 7oenlevaTrebbin sans diffi- culté,tandis qu'à droite le 4o corps occupait Schultzendorf.
Ontrouvapartoutl'ennemienposition àdroiteTauenzien, au centre et à gauche Bulow avec les Suédois et les Russes.Ce-
pendant Reynier s'étant emparé de Grossbeeren,Bernadotte hési-
tait à livrer bataille, mais les Prussiens de Bulow prirent sur eux
d ' e n g a g e r l ' a c t i o n . A u n o m b r e d e 3 0 , 0 0 0 ils s e j e t è r e n t s u r R e y -
nier qui n'en avait que 18,000 dont 6,000 Français.La division
Durutte résista héroïquement, mais les Saxons ne tardèrent pas
à lâcher pied et Durutte fut obligé de battre en retraite, ce qu'il
réussit à faire en bon ordre,grâce à l'arrivée d'Oudinot avec la tête de colonne du 12e corps.
O n dut cependant se retirer sur les positions d u matin ; quant a u 4 0 c o r p s , il a v a i t a t t a q u é B l a n k e n f e l d e s a n s s u c c è s , e t il d u t battre en retraite comme les autres.On n'avait perdu que 2,000 h o m m e s p e n d a n t l'action , m a i s les A l l e m a n d s , S a x o n s et B a v a -
37 -
Le lendemain on continua en refoulant devant soi les corps Prussiensde Bulow etde Tauenzien.Enfin,le23,Oudinot se remit en mouvement toujours en trois colonnes;le7e corps suivit
laroutequiconduisaitàGrossbeeren,tandisquele12o,àgauche, devait arriver sur le même point par Arensdorf et que le 4o,à
droite, marchait sur Blankenfelde. Les trois corps marchaient ainsi, séparés l'un de l'autre par des intervalles de deux lieues.

rois commencèrent à déserter en nombre , et l'armée se trouva affaibliede10,000hommes.
Oudinot jugea nécessaire de continuer la retraite les jours sui- vants et il la fit dans la direction de Wittenberg. Il avait sans doute opéré sans ensemble et prononcé des attaques décousues, maisilestprobablequ'aveclestroupesmédiocresqu'ilcomman- dait, inférieures de 25,000 h o m m e s à celles qu'il avait devant lui, m ê m e en s'y prenant mieux il n'aurait pas réussi.
En même temps,la division Girard était sortie de Magdebourg pour concourir au mouvement sur Berlin.
N'ayant d'abord presque personne devant elle, elle avait pu aisément atteindre Belzig,mais à la suite de la défaite de Gross- beeren dont son chef ne fut pas prévenu , elle fut assaillie le 27 par des forces supérieures et rejetée sur Magdebourg après avoir perdu un millier d'hommes .
Enfin,danslemême temps,lemaréchal Davout avaitquitté Hambourg avec 30,000 hommes dont 10,000 Danois. Refoulant devant luilecorps du général Walmoden qui étaità peu près de même force,ilétait entré le 24 à Schwérin. Mais ses opérations étaient nécessairement subordonnées à celles d'Oudinot et il était tenu à beaucoup de prudence. Dès qu'il eut été avisé de l'échec de Grossbeeren,ilse mit en retraite.
En somme,les opérations qui avaient Berlin pour objectif, avaientcomplètementéchoué.Onn'avaitpaséprouvédedésastre, mais par suite des désertions,les forces qui y avaient concouru étaient déjà diminuées de 12,000 h o m m e s .
On serappelle qu'en quittant ce maréchal,le 23 août,Napo- léonluiavaitprescritderejeterBlüchersurJauer,puisdeprendre une position défensive sur le Bober en s'y fortifiant.Macdonald devaitdoncd'abordcontinuerimmédiatementl'offensivedesjours précédents,mais un incident,secondaire au premier aspect,l'en empêcha.Quand Napoléon avait prescritau maréchal Ney de le suivre à Dresde,on avait cru d'abord qu'il s'agissaitde son corps d'armée et le 3o corps avait été mis en mouvement dans la direc- tion de Dresde.Macdonald ne disposant plus que de deux corps
avait dû ajourner son offensive et attendreleretour du troisième. On resta donc inactif le 24 et le 25. Blücher en profita pour
La défaite de Macdonald était bien autrement grave.
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ranimersestroupeset,sedoutantdu départ de Napoléon,ilse prépara à reprendre l'offensive.
Aussi,quand Macdonald se trouva prêt le 26 à se porter lui- m ê m e en avant, Blücher avait déjà pris ses mesures pour aller à
sa rencontre.On avait donc laissé passer la bonne occasion,car quoique l'armée de Silésie fût encore forte d'environ 80,000 hommes et que Macdonald,par suite du départ du corps de Mar- mont ,n'en eût plus que 70,000, les succès des jours précédents avaientdonnéauxtroupesfrançaisesunetellesupérioritémorale, que sil'attaque eût eu lieule24,l'armée prusso-russe déjà forte- ment bousculée,auraitétécertainementbattue;même le26,une supériorité de 10,000 hommes n'était pas suffisante pour empê- cher les corps français au moins de tenir tête à l'armée adverse, silegénéralquilescommandaitavaitprisdebonnesdispositions. Malheureusement il était difficile d'en imaginer de plus défec- tueuses que celles auxquelles s'arrêta le maréchal Macdonald .
Ilavaitàgauche,àLiegnitz,le3ocorps (Souham)aveclaca- valeriede Sébastiani,au centre,à Goldberg,le 11 corps dont Gérardavaitprislecommandement,depuisquelui-même étaità latêtedel'armée,et,àdroite,le50.Macdonaldimaginadediriger ces deux derniers corps sur Jauer,mais en les diminuant chacun d'une division . C'était, pour le 5o corps , la division Puthod , et, pourle11o,la division Ledru,qui furent chargées de s'emparer
d'Hirschberg,position éloignée de deux lieues sur la droite,vers le haut Bober et où l'ennemi était encore établi.
Lauriston et Gérard devaient ainsi marcher sur Jauer,réduits
chacun à deux divisions, ce qui ne leur laissait ensemble que 25,000 hommes . Quant à Souham il devait, avec le 3e corps,
prendre aussi Jauer pour objectif,mais en s'y portant par une route éloignée de celle que suivirent les deux autres corps et séparé de cette dernière par le ravin profond de la Wutten- Neisse et de manière à déborder la droite de la position que Lau- ristonetGérardallaientattaquerdefront.L'arméefrançaiseallait donc s'avancer en deux fractions désunies et être amenée forcé- ment à des attaques décousues; toutefois,afin d'établir quelque liaison entre les deux attaques principales, Macdonald assigna à Sébastiani une route intermédiaire suivant d'abord la Wutten- Neisse par la rive droite. Malgré le mauvais temps qui avait duré
toute la nuit et rendu les chemins très difficiles,on se mit en

Pendant ce temps,Blücher qui avait le gros de ses forces à Jauer, avait fait observer par sa cavalerie les mouvements de l'armée française.
Ayant reconnu que celle-ci s'avançait en deux masses séparées p a r u n r a v i n p r o f o n d , il n e l a i s s a q u e l e c o r p s L a n g e r o n à g a u c h e , en avant de Jauer et porta les deux corps de York au centre et de Sacken à droite,au devant des forces qui menaçaient de le déborder par la rive droite de la Wutten-Neisse et à travers le plateau de Janowitz.Au moment où latête de la colonne de York débouchait sur ce plateau,elle se trouva en présence de la divi- sionCharpentier,du corpsde Gérard,qui,étantarrivéelapre- mière sur le ravin, l'avait traversé, de manière à faciliter le déploiement de Sébastiani etde Souham.AussitôtBlücher fit attaquer cette division par une nombreuse cavalerie soutenue par uneartilleriepuissante.Sébastiani débouchantdanslemoment, chargea avec vigueur,mais fut obligé de céder devant des forces
supérieures,etla division Charpentier,attaquée par 20,000 fan-
tassins,fut jetée dans le ravin où elle se trouva pêle-mêle avec la cavalerie de Sébastiani etla tête de colonne de Souham.
Toute la gauche de l'armée française fut obligée de se retirer en désordre jusque sur la Katzbach et la droite, qui était déjà tout près de Jauer, après avoir refoulé Langeron,dut se con- former à ce mouvement rétrograde.
La bataille était perdue et, par suite du mauvais temps la retraite allait devenir désastreuse.
Cependant la Katzbach débordée rendait également difficileles mouvements de Blücher et,à notre gauche,Souham etSébas- tiani réunis purent assez facilement gagner, le 27,le Bober à Bunzlau;Lauriston etGérard comptaientletraverseràLoven- berg,mais en en approchant,le 28,ils furent arrêtés par une inondationdetroisquartsde lieue,etobligésdeserendre,eux aussi,sur Bunzlau par la rive droite du Bober.Ils y arrivèrent cependant sans encombre et purent passer sur la rive gauche ; mais le maréchal Macdonald éprouvait de vives inquiétudes pour les deux divisions qu'il avait envoyées sur Hirschberg et,surtout
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marche le matin du 26 pour exécuter les ordres du maréchal ; mais Souham ayant trouvé la Katzbach débordée à Liegnitz, avait pris un passage à droite et était venu ainsi s'engager sur la même route que Sébastiani.

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pourladivisionPuthod,du5ecorps,quiavaitdûcheminerparla rivedroite.Cesinquiétudesn'étaientquetropjustifiées,carPuthod ayant tardé à passer sur la rive gauche fut arrêté par d'immenses masses d'eau;ilessaya de descendre sur Lovenberg par la rive d r o i t e , m a i s il f u t a s s a i l l i p a r l e s t r o u p e s d e B l ü c h e r e t , a p r è s u n e défense énergique,vit sa division prise ou détruite.Macdonald souffrit d'autant plus cruellement de cette défaite qu'il sentait bien que tous les malheurs qui venaient d'arriver à son armée n'étaient imputables qu'à lui seul.
La conséquence des mauvaises dispositions qu'il avait prises fut que son armée se trouva réunie à Bunzlau,affaiblie de 20,000 hommes et réduite à 50,000 soldats démoralisés.
Il se contenta de prescrire à Murat, à Marmont et à Saint-Cyr, de suivre l'ennemi dans toutes lesdirections,laissantVandamme
enmarchesurToeplitzsansnouvellesinstructions.Ilestmanifeste d'ailleurs,que Napoléon n'avait aucune inquiétude au sujetde ce général qui lui avait écrit que l'épouvante était dans toute l'armée russe.Aussi,disposantde toutelagarde à Pirna,non seulement ilne s'en servitpas pour l'appuyer,mais ilen rappela deux divi- sions sur Dresde,n'en laissant que deux autres pour le secourir éventuellement. Murat, Marmont et Saint-Cyr ont bien pour instructions d'être toujours en mesure de se soutenir,mais Saint- Cyr,pas plus que Mortier,n'a l'ordre d'appuyer Vandamme. Napoléon est convaincu que ce dernier n'aura qu'à recueillir des
fuyards.
Il savait bien cependant que l'armée de Bohême n'était pas en
d é r o u t e , p u i s q u e l e s o i r m ê m e d e l a b a t a i l l e , il d o u t a i t d e l a v i c - toire. Il eût donc été rationnel de rester à l'armée pour achever l'adversaire que l'on avait devant soi.
Cependant,dans la journée du 29, nos corps mis à la suite de l'armée de Bohême firentde nouveaux progrès,enlevant encore
Voilà ce que Napoléon apprit à Dresde le 29 et, cette défaite grave s'ajoutant à celle de Grossbeeren , eut pour conséquence de l'amener à chercher les moyens de les réparer, en éloignant son
esprit de la poursuite de l'armée de Bohême qu'il avait battue à Dresde.
En se détournant de cette tâche importante Napoléon allait perdretoutlefruitdelavictoiredeDresde.

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desblessés,destraînardsetdesvoitures.Marmontentrélaveille
à Dippodiswalde, suivit la principale colonne sur Altenberg ; S a i n t -C y r , d è s l e m a t i n , e n t r a à M a x e n e t s e d i r i g e a à l a s u i t e d e
K l e i s t s u r R e i n h a r d s -G r i m m e . L à , r e n c o n t r a n t M a r m o n t a v e c q u i ildevaitselier,ils'arrêteetdemande des ordres qu'il ne pou-
vait recevoir que le lendemain.
Pendantcetemps,Vandamme continuaitsoncheminenpous-
sant les Russes l'épée dans les reins.Entre Hollendorf et Peters- waldeilleurenleva2,000hommes etatteignitKuhlm àleursuite versmidi.Maisaudelà,illuisembla que lesforces qu'ilavait devant lui étaient disposées à tenir et, c o m m e il n'avait sous la main que son avant-garde,ilattendit pour reprendre sa marche l'arrivée de son corps d'armée .
Son appréciation était juste.Ostermann et le prince Eugène de Wurtemberg avaient reçu l'ordre d'arrêter leur retraite et de tenir bon en attendant les renforts qui allaient promptement leur arriver.
Et,eneffet,lessouverains,atterréslesoirdu 27,s'étaient repris au bout de 24 heures,constatant qu'après tout ils dispo- saient encore de forces nombreuses et que,sur un terrain facileà défendre, ils avaient encore le moyen de résister à Napoléon. Mais,connaissantlemouvementdeVandamme,sans savoirce- pendant au juste de quelles forces ce général disposait,ils com- prirent que la première condition à remplir pour se remettre bien en ordre,était de l'empêcher d'arriver à Toeplitz où aboutit la route que suivait la principale colonne de l'armée par Dippodis- walde etAltenberg. C'est pour atteindre ce but qu'Alexandre, guidé d'ailleurs par Jomini,prescrivit à Ostermann et au prince de Wurtemberg de prendre position vis-à-vis de Kuhlm,etaux premières troupes qui commençaient à déboucher des montagnes , de tourner de suite à gauche pour les soutenir.
C'était d'abord une partie des Russes de Barclay de Tolly,puis le corps autrichien de Colloredo. Barclay de Tolly fut chargé de dirigerlarésistance.Cependant Vandamme,dès qu'ilavaiteu unedivisionsouslamain,avaitreprisl'offensive.Débouchantde Kuhlm,ilavait chassé les Russes du village de Straden,mais il
avait échoué en voulant emporter Priesten.
L e s o i r a r r i v a n t , il s e c o n t e n t a d ' é t a b l i r t o u t s o n c o r p s d ' a r m é e
autour de Kuhlm .

Ildisposait en somme de 40,000 hommes avec 80 bouches à feu,en comptant la division Mouton-Duvernet,du 14e corps,qui luiétaitadjointe.Ilrendit compte de sa situation à Napoléon, lui demandant des secours qui lui étaient nécessaires pour con- tinuersonmouvement,mais nedoutantpasque s'ilétaitattaqué, ilrésisteraitvictorieusementàtouslesassautsdesesadversaires.
V u la distance,quelle que dût-être la décision de l'Empereur ,elle ne pouvait être exécutée le lendemain. Vandamme ne pouvait donc être appuyé le 30 qu'à la condition que les corps qui étaient les plus voisins du sien prissent sur eux d'intervenir; mais il étaitàpeuprèscertainqu'ilsneleferaientpas,aucund'euxn'ayant reçu d'instructions dans ce sens.
Du côté des Alliés on se prépara à la résistance,en renforçant encore les forces opposées à Vandamme de tout ce qui débou- chait par la route d'Altenberg, tout en laissant une forte arrière- garde vis-à-vis de Marmont.Toutefois on n'étaitpas sans inquié- tude au sujet du corps de Kleist qui, par suite du mouvement transversal que Barclay de Tolly avait exécuté dès le 28,n'avait pu arriver à temps pour s'engager sur la route d'Altenberg que Marmont occupait et qui, d'ailleurs,étaittalonné par Saint-Cyr sur la route de Furstenwalde.
O n le prévint de la position de V a n d a m m e , en lui promettant de tenir bon vis-à-vis de Kuhlm ,et en l'invitant à venir se relier
par tous les chemins à sa disposition aux corps qui, en l'atten- dant,allaientcombattreavecladernièreénergie.
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CependantVandamme,qui lematin du 30 s'étaitbien rendu compte de son infériorité numérique, était résolu à se maintenir surladéfensive;pourlamême raisonlesAlliésn'hésitèrentpas à l'attaquer. Dès huit heures l'action s'engagea sur tout le front, les Alliés cherchant surtout à déborder notre gauche .Malgré leur
supériorité,ils n'avaient encore fait que des progrès insignifiants lorsque vers 10 heures, Vandamme vit apparaître sur ses der- rières,ducôtédePeterswalde,des troupesnombreuses.Ilcrut d'abord que c'était Mortier avec la jeune garde, mais bientôt il reconnut l'uniforme prussien.C'étaitKleistqui,après avoir reçu
les instructions du roi de Prusse,ayant à choisir pour continuer sa retraite entre les mauvais chemins du Geyersberg qui devaient lerelierbientôtaugrosdel'arméedeBohême etunbonchemin qui aboutissait à la grande route de Peterswalde sur les der-

rières de Vandamme,ayant d'ailleurs reconnu que cette route était complètement libre de Français, avait pris résolument le
partidel'employer.Aprèsavoirlaisséreposersestroupeslanuit, ils'étaitmisenmarcheàlapointedu jouretvenaitainsiappa- raîtresur lechamp de bataille vers 10 heures.
LasituationétaitcritiquepourVandamme;toutefoiscegénéral prit son parti sans hésiter.Ne laissant vis-à-vis des forces qu'il combattait depuis le matin qu'une arrière-garde solide avec une nombreuse artillerie,il fit ses dispositions pour attaquer les Prussiensaveclegrosdeson corps d'armée.Un instant,ayant renversélapremièrelignedeKleist,ilespères'ouvrirunpassage, mais bientôt notre cavalerie refoulée vient mettre le désordre dans nos divisions qui quittent le champ de bataille en essayant de gagner les bois au nord de Kuhlm . Ainsi ce nouvement qui devaitcompléterlavictoiredeDresde,avaitaboutiàundésastre. Les généraux Vandamme et Haxo pris, 5,000 à 6,000 tués ou b l e s s é s , 7 , 0 0 0 p r i s o n n i e r s , 4 8 b o u c h e s à f e u p e r d u e s : tels f u r e n t les résultats de cette malheureuse journée.
Si l'on ajoute à ces pertes celles des autres corps qui avaient opéré depuis plusieursjours contre l'armée de Bohême,on trou- vera que sur cette partie du théâtre des opérations, nos forces s'étaient affaiblies d'environ 25,000 h o m m e s .
Oudinot, Girard et Macdonald en avaient perdu ensemble près
de 35,000, de sorte qu'au bout de quinze jours de campagne
nous avions déjà 60,000 hommes de moins qu'à la reprise des hostilités.
Quoique les Alliés eussent perdu près de 30,000 hommes dans les deux journées de Dresde, leurs pertes totales ne s'élevaient pas à un pareil chiffre.
La différence des effectifs,qui à la reprise des hostilités était déjà de plus de 100,000 hommes , s'était donc accrue par les combats livrés sur tous les points du théâtre des opérations,du 15 au 30 août, sans compter que pour réparer leurs pertes nos ennemis avaient des ressources que Napoléon ne possédait pas.
Et pour compenser les avantages que les Coalisés pouvaient tirer de leur supériorité numérique, l'armée française n'avait pris aucun ascendant sur ses adversaires,car ladéfaitede Kuhlm, venant s'ajouter à celles de Grossbeeren et de la Katzbach ,faisait disparaître l'effet moral qu'avait produit la victoire de Dresde.
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Après avoir arrêté,quelques jours avant la fin de l'armistice, ses vues générales sur la manière de conduire la campagne qui allaits'ouvrir,Napoléon avait,le13 août,rédigé ses instructions et,en communiquant ses idées aux maréchaux Ney,Macdonald, Gouvion-Saint-Cyr etMarmont,illeurdisait:
<< Voici le parti que j'ai pris. Si vous avez quelques observa- tionsàme faire,jevous priedeme lesfairelibrement.»
Dès les premières années des guerres de la Révolution on avait pu apprécier son coup d'œil,son sang-froid et son savoir-faire surleterrain.
Il devint rapidement un tacticien hors ligne.
E n 1 7 9 5 , p a r s e s h a b i l e s d i s p o s i t i o n s , il a v a i t s a u v é l ' a r m é e devantMayence;l'année suivante,àl'arméedeMoreau,ildéci- dait la victoire d'Ettlingen et pendant la retraite jouait le rôle principal à la bataille de Biberach.
En 1799,malgréletristeétatdel'arméed'ItaliebattueàNovi et à Genola,ilavait su protéger Gênes contre des forces très supérieures,en attendant l'arrivée de Masséna,et en 1800,se
retrouvantàl'arméedeMoreau,enAllemagne,ilavaitde nou- veau obtenu un brillant succès à Biberach.
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2° Observations critiques.
On peut donc dire qu'après quinze jours de campagne,la situa- tiondeNapoléon,sansêtretoutàfaitmauvaise,étaitcependant moins bonne qu'à l'ouverture des hostilités.
Ilimporte maintenant,après avoir exposé les faits,d'y revenir pour les analyser, en essayant de relier les causes aux effets, et de tirerde cette étude les enseignements qu'elle comporte.
Ces instructions faisaient connaître les dispositions de Napo- léon que nous avons exposées à la fin du chapitre précédent. Après en avoir pris connaissance,Ney et Macdonald répondirent
qu'ils ne pouvaient qu'approuver les dispositions de l'Empereur, et qu'ils s'en fiaient à la supériorité de son génie pour être con-
vaincus que la nouvelle campagne qu'ils allaient entreprendre serait pour eux une nouvelle source de lauriers. Mais il n'en fut pas de m ê m e des deux autres maréchaux .
Gouvion-Saint-Cyr était un des premiers hommes de guerre d'une époque qui en a produit plus qu'aucune autre.

Au moment de l'avènement de l'empire, après Kellerman
pour Valmy,après Jourdan pour Wattignies, Fleurus et toute la
campagne de 1794 , après Masséna pour Rivoli, Zurich et Gênes ,
nul n'avait autant de titres à la reconnaissance du pays et aux
récompenses que le nouveau chef de la France distribuait avec
tant de libéralité;cependant Saint-Cyr ne fut pas compris dans la première promotion des maréchaux, celle dont Masséna disait
avecuntonquelquepeudédaigneux:«Nous sommes quatorze>»; c'est que Saint-Cyr,avec des talents militaires de premier ordre, n'était rien moins que courtisan.
Il avait été des premiers à courir à la frontière menacée , mais ilpensaitquel'arméeétaitfaitepourdéfendrelaPatrieetnonpas pour opprimer les autres nations.Il avait les vertus simples et fortes de ces armées de Rhin-et-Moselle et de Sambre-et-Meuse
qui, après avoir refoulé l'invasion, nous avaient conquis nos frontières naturelles.
Sans se poser en adversaire du nouveau régime,ilavait vu le 18 brumaire et l'avènement de l'empire sans enthousiasme.
En un mot,ce n'était pas seulement un soldat,mais surtout un chef possédant à un haut degré toutes les qualités du com- mandement. Très pénétré d'ailleurs de son mérite, il était de ceux qui n'ont pas besoin de maître, et comme celui que la France avait acclamé ne cherchait que des serviteurs,ilfut laissé de côté dans des situations secondaires. Cependant Napoléon savait apprécier ses talents et combien il était au-dessus de la plupart de ceux à qui il avait donné le bâton de maréchal .
Saint-Cyr aurait fait honneur à leur réunion,mais il n'avait pas besoin de cette dignité pour être un des premiers capitaines de l'Europe.Mis à la tête de l'armée de Catalogne,à l'automne
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C o m m e il était devenu général de division presque malgré lui,
il n'encombrait pas les antichambres du nouveau souverain, à la recherche d'honneurs et de récompenses qui avaient pour lui
peu d'attraits.Des mobiles d'une autre nature l'animaient,c'était
simplement l'amour de la patrie et l'amour de l'art,deux pas-
sions également nobles qui, chez les natures élevées et fières,
suffisent à mettre en jeu tous les ressorts de la sensibilité,de la
volonté et de l'intelligence. Sa valeur militaire n'était pas faite d'une bravoure bouillante et instinctive, mais surtout d'un cou-
rage froid et réfléchi.

de1808,ilyconduisitpendantun an unecampagnequiestun chef-d'œuvre achevé de vigueur, de prudence et de savoir, et cependant ce fut l'occasion de sa disgrâce.Ayant su dire qu'on lui assignait une tâche impossible et qu'il n'essayerait pas de la remplir,il encourut le ressentiment de Napoléon qui,en lui enle- vant son commandement,écrivit au ministre de la guerre une lettre fâcheuse, non pas pour la mémoire de Saint-Cyr, mais pour celle de qui l'a dictée; car elle montre que parfois l'Em- pereur traitait les questions militaires les plus délicates avec
une légèreté que la malveillance explique, mais qu'elle n'excuse pas.
Saint-Cyr,qui ne méritait que des éloges,fut puni et laisséà l'écart pendant deux ans, jusqu'à ce que,comme il le dit lui- même,«<lesembarras du Nord aientrendu nécessaire tous les hommes que l'onsavaitêtreprêts,lorsquelapatriepouvaitavoir besoin de leurs services ».
Mis à la tête du corps bavarois,il entra en Russie avec la Grande Armée et s'y distingua aux deux batailles de Polotsk dont la première,forçant enfin les répugnances de l'Empereur, lui valut le bâton de maréchal . Blessé au second de ces combats ,
ildutquitterl'armée;mais aprèslaretraitede Russie,quoique mal rétabli,ilfutlepremier à venir se mettre à ladisposition du prince Eugène à Posen,tandis que la plupart de ses cama- rades revenaient à Paris à la suite de Napoléon .
O n pense qu'un tel h o m m e , en encourant l'antipathie de l'Em- pereur, avait dû susciter les jalousies de ses pairs et provoquer les sarcasmes de cette foule d'intrigants qui obtiennent les faveurs des puissants par la bassesse et la flatterie.
Son tort à leurs yeux était de ne pas adorer le dieu du jour et
d'avoir compris que sa politique extravagante ne pouvait con-
duire finalement qu'à une catastrophe.Convié à un festin somp-
tueux,ilavaitconservé sonsang-froidlorsquelesautresétaient
en pleine griserie,et c'est ce que beaucoup d'entre eux ne pou-
vaient lui pardonner. Aussi, ne pouvant contester ses talents,
quelques-uns ont voulu s'en prendre à son caractère. On l'a
accusé de laisser volontiers ses camarades dans l'embarras,de
n'intervenir que pour recueillir lui-m ê m e l'honneur de la vic- toire.
Lorsque l'on suit de près sa glorieuse carrière,on voit que le
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défaut de zèle ou d'empressement qu'on lui reproche a presque toujours pour cause des ordres mal donnés par ses chefs.
Il faut reconnaître cependant que Saint-Cyr ne donnait toute sa mesure que quand il était seul et qu'il était fait plutôt pour commander que pour obéir.
Misen1813àlatêtedu14 corps,ilallaitpourlapremière fois opérer sous les ordres directs de Napoléon et souvent m ê m e sous ses yeux. On pense qu'avec la tournure de son esprit, il
devait regarder non seulement comme un droit, mais même comme un devoir,de profiter de la liberté que l'Empereur lui donnait pour lui faire connaître toute sa pensée. Il n'eut d'ail- leurs pas à répondre aux instructions écrites qui lui furent trans- mises par le major général ; car il avait eu la veille une longue conversation avec Napoléon et il lui avait fait connaître en toute liberté ses idées sur la conduite à tenir pendant la nouvelle cam- pagne,etellesn'étaient pas précisément conformes à cellesde l'Empereur.
D'abord il avait émis l'avis que si les Autrichiens débouchaient delaBohême,ceseraitparlarivegauchede l'Elbe,de manière à menacer les communications de l'armée française avec le Rhin , tandis que Napoléon s'attendait à une attaque par Zittau qui aurait eu pour but d'empêcher sa marche en Silésie.
Ensuite Saint-Cyr soutenait qu'il était mauvais,en général, de prendre l'offensive sur plusieurs points éloignés les uns des autres,et,spécialementpourlacirconstance,queNapoléon,vou- · lant être prêt à livrer une bataille en Silésie ou aux frontières de
B o h ê m e , a v a i t t o r t d e p o u s s e r u n e d e s e s a r m é e s s u r B e r l i n , e t il
prétendait qu'il eût été bien préférable de rester sur la défensive
sur toute la ligne de l'Elbe,de manière à prendre l'offensive seu-
lement en Bohême avec la masse principale de l'armée française.
Ce n'est pas qu'il contestât les avantages de l'occupation de
Berlin par les troupes françaises, mais il était d'avis que la capi-
tale de la Prusse ne devait pas être de prime abord l'objectif des
opérations d'une armée et que sa reprise serait la conséquence naturelle d'une bataille décisive gagnée n'importe où.Ayant
écouté ces observations avec la plus grande attention, Napoléon necrutpasdevoiryrépondreparunediscussionenrègle;mais, ayantfaitses dispositions dans un autre but,il se contenta de dire qu'il était trop tard pour les modifier.
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QuantàMarmont,ilavaitluiaussibiendes objectionsà pré- senter au plan de l'Empereur.
Le duc de Raguse n'avait ni les talents ni le glorieux passé de Saint-Cyr.En regard d'une campagne de Catalogne,son passage en Espagne n'avait été signalé que par la défaite des Arapiles. Cependant Marmont avait une réelle intelligence des grandes opérations militaires.Ayant vécu depuis sa jeunesse dans le com- mercedeNapoléon,ilavaitbiensaisil'espritde sonsystèmede guerre,et, quoiqu'il ait commis bien des fautes avant et après 1813 ,je serais assez disposé à penser que les circonstances ne lui ont pas permis de donner toute sa mesure. En tous cas, il est certain que les observations qu'il crut devoir présenter à Napo-
léon en réponse à ses instructions étaient remplies de vues judi- cieuses,etmême surcertainspointsvéritablementprophétiques. D'abord,comme Saint-Cyr,ildésapprouve l'offensive sur Ber-
lin,affirmanttrèsnettement,comme soncollègue,quelesortde
la campagne n'est pas de ce côté et que la réoccupation de la
capitale de la Prusse, à coup sûr très désirable, doit être la con-
séquence de ce qui se passera ailleurs, et, par suite, il estime
qu'il est dangereux de distraire pour une opération secondaire
des forces qui manqueront sur le théâtre principal de la lutte.
D'aprèsMarmont,iln'yaquedeuxbonspartisàprendre ou
bien réunir le gros des forces françaises autour de Dresde en se
tenant prèt à se jeter sur le premier qui se présentera,ou bien,
c o m m e S a i n t - C y r l e p r o p o s a i t d e s o n c ô t é , p r e n d r e d e s u i t e u n e.
énergique offensive en Bohême,en restant sur la défensive par- tout ailleurs.
Dans lesdeux cas,aucun événementimportantn'auralieusans la présence de Napoléon , et pour Marmont c'est là une condition essentielle du succès de la campagne . Aussi ce qu'il blâme sur- tout dans les dispositions de l'Empereur, c'est la division des forces françaises en plusieurs armées à peu près indépendantes avecdeschefsincapablesdelescommander,etc'estcette consi- dération qui l'amène à terminer sa réponse à l'Empereur par la phrase suivante :
« Par la division de ses forces, par la création de trois armées distinctes et séparées par de grandes distances, Votre Majesté renonce aux avantages que sa présence sur le champ de bataille lui assure, et je crains bien que lejour où elle aura remporté une
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A. G.

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victoire et cru gagner une bataille décisive, elle n'apprenne qu'elle en a perdu deux ».
Il était difficile d'avoir une vue plus exacte de ce qui allait se passer, car c'était entrevoir par avance Grossbeeren et la Katz- bach contre-balançant lavictoire de Dresde.
Cependant,il ne faudrait pas en conclure que les dispositions de Napoléon aient été réellement mauvaises, et, tout en recon- naissant que les vues de ses contradicteurs méritaient sur bien des points d'être prises en considération,nous sommes d'avis que
dans l'ensemble les projets de l'Empereur étaient parfaitement en rapport avec la situation,et que,s'ils ont échoué,cela tient sur- tout à des fautes d'exécution .
Il est un point toutefois sur lequel il nous semble hors de doute que Saint-Cyr et Marmont avaient raison contre lui, c'est au sujet de l'offensive sur Berlin.Rien n'était plus juste que de prétendre qu'il est dangereux de prendre l'offensive sur plusieurs points à la fois, et il est m ê m e étrange qu'on ait été obligé de le rappeler à Napoléon, car ce principe est un de ceux qui ont dirigésesplusbrillantescampagnes.Comme ilvoulaitchercher unebatailledécisiveauxfrontièresdeBohême,c'étaitdonc une fautequede pousseren mêmetemps unearmée versleNord; aussi Saint-Cyr et Marmont avaient raison de soutenir que la réoccupation de Berlin ne devait être que la conséquence d'une bataille décisive gagnée ailleurs.
Ce point acquis, il est certain que la défensive sur tout le cours de l'Elbe et l'offensive en Bohême que recommandaient les deux maréchaux,présentaient un système d'opérations qui pouvait amenerdegrandssuccès;maiscesystèmeneprésentaitpasque des avantages.
Par-dessustout,iléloignaitNapoléondelarégion oùilavait toutes ses ressources.C'était,en effet,dans les places de l'Elbe, de Dresde à Hambourg,qu'ilavait,depuis deux mois,accumulé sesvivresetsesmunitions.Orcen'étaitpasavec20,000hommes qu'il s'agissait de pénétrer en Bohême , mais avec plus de 200,000,etl'onauraiteu certainementde grandesdifficultésà vaincre pour assurer à une armée aussi nombreuse les moyens devivreetdecombattre.On luifaisaitsuivreuneligned'opéra-
tions dirigée dans le prolongement de sa vraie base qui était l'Elbe, et c'est une situation dont Napoléon , avec son grand sens

Je sais qu'il y a actuellement toute une école qui nie la valeur des bases d'opération.Un auteur a tout récemment soutenu cette thèse dans le Journal des Sciences militaires, l'appuyant de cette observation que nulle part dans les écrits de Napoléon on ne trouve l'expression de « base d'opération ».
Mais c'est là,à mon avis,une considération de peu de valeur, carqu'importeque lemot n'ysoitpas,sil'idéesetrouvepartout. Or n'est-il pas évident que l'idée de ligne de communication est i n s é p a r a b l e d e c e l l e d e b a s e d ' o p é r a t i o n , c a r a v e c q u o i s ' a g i t - il d e communiquer si ce n'est avec cette base. On sait d'autre part l'importance qne Napoléon attachait aux communications ; dans laplupartdessescampagnes,ilcherche à s'emparer de celles de l'ennemi tout en protégeant les siennes. S'il n'a pas pro- noncé ni écrit lemot de «base d'opération »,on doit donc néan- moins reconnaître qu'il considérait les éléments de la stratégie, auxquels nous donnons cette dénomination, comme une réalité dont il est nécessaire de tenir compte dans la préparation et dans l'exécution des opérations.En ce qui concerne spécialement la campagne de 1813,on ne peut contester que Napoléon ait orga- nisé sur l'Elbe une base d'opération provisoire,c'est-à-dire une série de positions dans lesquelles il avait réuni les vivres et les munitions nécessaires aux opérations de ses armées.
Or ilcomprenait bien qu'ilimportait de rester en liaison avec cettebase,et,qu'enseportanten Bohême,ilrisquaitd'en être séparé au moins momentanément .Pour entreprendre une pareille opération,ilauraitdonc falluêtreenmesure d'exécuterun grand changement de ligne de communication que Napoléon n'avait nullement préparé. On conçoit donc bien que l'Empereur ait rejetélespropositionsdeSaint-CyretdeMarmont,d'autantplus qu'en admettant que leurs projets fussent réellement praticables, ils'enfallaitque lessiens fussentdépourvus d'avantages.Nous dirons même qu'à part l'idée de l'offensive sur Berlin,il était impossible d'en imaginer de plus profondément raisonnés.
Le rôle de corps d'observation assigné à des fractions impor- tantes de ses forces vis-à-vis de la Bohême et de la Silésie avec
unemassecentraleprêteàsejeteralternativementsurlesmasses
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stratégique, ne pouvait manquer d'apprécier les défectuosités,
sans compter que cette base pouvait être rompue et envahie par les armées ennemies venant du Nord ou de la Silésie.

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séparées de la Coalition était bien ce qui convenait le mieux à la situation; c'était en somme la pratique sur une plus grande échelle du système des lignes intérieures qui lui avait valu de si beaux succès sur l'Adige en 1796 , c'est-à-dire de ce système d'opération dans lequel toutes les forces sont disposées de manière à se relier entre elles par les voies de communication les plus courtes, de façon à pouvoir se soutenir mutuellement et à être renforcées à tour de rôle par une réserve placée d'abord au centre de l'échiquier.Dans ces conditions, on peut espérer combattre successivement avec avantage les diverses fractions d'une armée supérieure, mais qui, en se divisant, permet à son adversaire de rétablir,grâce à la rapidité des mouvements,cha- que jour de bataille, la supériorité qui manque dans l'ensemble.
Le même auteur, qui soutient que l'idée de base d'opération est une donnée fausse,née de spéculations à vide, ne veut pas non plus entendre parler de lignes intérieures, toujours sous le m ê m e prétexte que Napoléon n'a jamais employé cette expres-
sion.Mais ici encore et bien plus que dans l'autre circonstance, c'estbienlecasdedirequesilemotn'yestpas,l'idéeest par- tout; car le principe des lignes intérieures,tel que nous l'enten- dons,qui n'est au fond autre chose que la nécessité d'assurer la liaison la plus rapide de toutes les forces agissantes sur les divers pointsd'unthéâtred'opérationétendu,est,sansconteste,leprin- cipe fondamental de la stratégie de Napoléon ', et c'est celui, notamment, qu'il voulait appliquer en 1813.
Or, au contraire, les armées de la Coalition étaient disposées de façon à ne pouvoir se soutenir mutuellement,elles ne pou- vaient combiner leurs opérations qu'à distance,etNapoléon,qui s'en était bien rendu compte,se proposait de profiter de leur séparation pour les battre successivement.
1 C'est la base de toute sa stratégie offensive ou défensive, celle de 1796 etde1814,aussibienquecellede1800,1805et1806,etc'estaussilabase de toutes ses critiques.
Les lignes intérieures sont donc bien une réalité, mais il faut y voir sur- tout une question de communications, et non pas des lignes d'opérations.Il nous est d'ailleurs encore impossible d'admettre les définitions que le même auteur donne des lignes d'opérations.En disant qu'elles doivent s'entendre de l'arrièreetnondel'avant,illesconfondavecleslignesdecommunications.
Il est vrai que Napoléon a souvent employé l'expression dans ce sens, mais dans bien des cas il distingue ces éléments de la stratégie.

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D'autre part,s'ilestvrai que,dans lefait,Saint-Cyr eût raison contre lui en soutenant que les Autrichiens attaqueraient par la
r i v e g a u c h e d e l ' E l b e e t n o n p a r l a r i v e d r o i t e , il n ' e s t p a s m o i n s certain que Napoléon avait cent fois raison d'envisager surtout l'attaque par Zittau, parce que c'était la seule dangereuse .
1 Les situations militaires à de longs intervalles peuvent présenter, malgré
la différence des temps et des lieux,bien des analogies, et l'on peut profiter des exemples du passé pour arrêter ses dispositions.
Eneffet,celle-làseulepouvaitavoirpourrésultatdecouperles
forces françaises qui opéraient en Silésie,de l'Elbe où se trouvait sinon la base fondamentale de l'ensemble de nos forces, du
moinsunebaseprovisoireeffectiveaveclaquelleilétaitessentiel de rester en communication.Or,sil'ennemi débouchait de Zittau
sur Gorlitz ou Bautzen, ces communications pouvaient être rompues .Ces considérations ne pouvaient pas échapper au génie essentiellement stratégique de Napoléon ; je veux dire par là qu'il était pénétré au plus haut degré des relations qui doivent exister entre les éléments de la stratégie qui sont en jeu dans la conduite des opérations militaires. Il avait donc raison d'envi- sager les conséquences d'un pareil mouvement des Autrichiens, et de prendre ses mesures pour y parer; aussi en partant pour la Silésie, afin de soutenir ses corps attaqués par Blücher, il
comptait bien, après avoir refoulé ce dernier, revenir sur les Autrichiens s'ils débouchaient par Zittau, et les accabler par une réunion de forces considérables. Quant à l'attaque par la rive gauche de l'Elbe,que Saint-Cyr luimontrait comme probable, etquieneffets'estréalisée,ill'appréciaitcomme elleleméritait en disant que si elle se prononçait,c'était le cas de souhaiter bon voyage à l'armée de Bohême,car un pareil mouvement ne pou-
vait en rien troubler ses opérations. Il avait tout le temps en
effet,dans nne pareille hypothèse,de bien battre Blücher et de
revenir ensuite par Dresde sur l'ennemi qui se serait avancé dans la direction de Leipzig. Ayant réuni sur l'Elbe les moyens
de vivre et de combattre pendant un certain temps,c'étaient ses adversaires et non pas lui qui verraient leurs communications menacées;car,comme illedisait,cen'étaitpasduRhinqu'il craignait d'être coupé,mais de l'Elbe .
Je suppose, par exemple, que dans une guerre de la France contre l'Alle-

Tout cela était profondément juste et puissamment raisonné,
et si les projets de l'Empereur ont finalement échoué,ilfaut en
chercher la cause non pas dans les principes du système de guerre qu'il avait adopté, mais dans une série de fautes d'exécu-
tion. Pour en être convaincu, il suffit d'examiner de près les causes réelles de sa défaite.
D'abord tout se passe pour le mieux ; Napoléon , se portant au défilé de Zittau pour se rendre compte des projets des Autri- chiens,ne les trouve pas en force de ce côté et,au contraire, apprenant l'irruption de Blücher, il se dirige vers la Silésie avec des renforts. C'était sans contredit le seul parti raisonnable à prendre. Blücher est abordé vigoureusement et refoulé; mais pendant que Napoléon le suit,il apprend que les Autrichiens débouchent de la Bohême par la rive gauche de l'Elbe.Ilramène le gros de ses forces dans la direction de Dresde ; il est certain encore qu'on ne pouvait rien faire de mieux comme conception générale .
magne,nos ennemis veuillent porter leur masse principale de la Moselle sur la Meuse par la W a v r e , c'est-à dire en débouchant de Metz et de Thionville pour aborder la Meuse au nord ou au sud de Verdun.On pourrait se proposer pour riposter à cette attaque de déboucher de la Meurthe sur la Seille, sous le prétexte de couper le gros des forces allemandes des Vosges et du Rhin.Or je pense que ce serait une opération fausse comme celle que voulait exécuter l'armée de Bohême en marchant dès le début sur Leipzig.
LesAllemandspourraientdire,commeNapoléonen1813,quecen'estpas duRhin,maisdelaMoselle,qu'ilsontpeurd'êtrecoupés.Lavraieriposteà l'offensive que je suppose serait de déboucher de Toul et Commercy sur la Wœvre dans le but de couper les Allemands de Metz. Voilà la manœuvre vraimentmenaçantepoureux,etnonpascellepartantdeNancyetdeLuné- ville ; tandis en effet qu'une partie de leurs forces se retirerait sur la Sarre en défendant le terrain pied à pied,le gros,revenant par Metz et Thionville,atta-
querait notre flanc gauche, et ce seraient les Français et non pas leurs adver- saires qui risqueraient de perdre leurs communications.
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Cependant déjà on peut lui reprocher d'avoir abandonné Blü- cher trop vite.Tout en acheminant une partie de ses forces sur Dresde,rien ne l'empêchait de rester de sa personne 24 heures de plus sur la Katzbach , ou au moins jusqu'au 23 au soir. Alors on aurait évité le malentendu relatif au 3e corps qui a retardé la continuation de l'offensive,et,au lieu de permettre à Blücher de se remettre,on aurait achevé la défaite de son armée déjà forte- ment ébranlée.Rien n'empêchait d'ailleurs l'Empereur de retar- der son départ, car comme ilvoyageait beaucoup plus vite que

ses troupes, il avait toujours le temps d'arriver à Dresde avant elles; la preuve en est dans le fait qu'il s'est arrêté un jour à GoerlitzetunjouràStolpen.
Quant aux dispositions prises contre l'armée de Bohême ,l'idée dedéboucherparKoenigsteinétaitassurémentlameilleure;mais comme l'opérationreposaitavanttoutsurlarésistancedeDresde, il semble qu'il convenait tout d'abord de porter sur ce point les renfortslesplus rapprochés,pour en assurerlesuccès,etque la concentration du gros de l'armée sur Konigstein ne devait venir qu'ensuite. La première chose à faire était donc de diriger Van- damme surDresde,etc'estbiencequ'acommencéparprescrire Napoléon ; mais ensuite il lui ordonne d'aller sur Koenigstein, alors qu'aucune autre force n'est en mesure de soutenir directe- m e n t S a i n t -C y r . O r , à c e m o m e n t , le g r o s d e l ' a r m é e était e n c o r e
loin, et Vandamme seul à Koenigstein n'y pouvait rien faire, tandis qu'à Dresde il aurait rendu la position de Saint-Cyr inexpugnable ; le reste de l'armée était libre d'exécuter la belle manœuvre que Napoléon avait conçue,précédé de ladivision du 14 corps qui occupait Koenigstein. Nous pensons donc qu'en dirigeant,le 25,Vandamme sur Koenigstein,Napoléon a prescrit un faux mouvement.En outre,ilnous semble qu'au moment où il a renoncé à sa manœuvre ,la situation de Dresde ne l'y obli- geait pas ; car d'abord il lui suffisait,pour être sûr de conserver la position, de renforcer Saint-Cyr de quelques divisions de la garde qui,en réalité,sont arrivées le 26, et alors même que le 140 corps eût dû céder le terrain, l'attaque de 120,000 hommes , débouchant de Koenigstein,n'en aurait pas moins mis l'armée de
Bohême dans une situation critique.
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On doit reconnaître d'ailleurs qu'en renonçant à la manoeuvre, qui sans aucun doute était la meilleure,les particularités du terrain qui environne Dresde en ont suggéré à Napoléon une
autre qui était encore excellente, et qui l'a conduit à une de ses plus belles victoires.
Toutefois ilfaut remarquer que le plan de la bataille de Dresde n'a été déterminé que par des considérations tactiques ; aussi Napoléon n'en a-t-il pu tirer que les conséquences immédiates ; tandis que l'opération par Konigstein était essentiellement stra- tégique en ce sens qu'elle menaçait le flanc droit et les commu- nications de l'armée de Bohême,et que la bataille ainsi livrée

aurait eu par elle-même des conséquences que, dans le fait,
Napoléon n'a cherché à atteindre qu'en dirigeant plus tard Vandamme sur Kuhlm .
Quoiqu'ilensoit,l'armée de Bohême étaitbattue;malheu- reusement ce succès fut contrebalancé par les défaites de Mac- donald sur la Katsbach et d'Oudinot à Grossbeeren .
Commejel'aidéjàfaitobserver,Napoléon auraitmieux fait de rester un peu plus longtemps vis-à-vis de Blücher ; cependant en s'éloignant de l'armée de Silésie il avait laissé à Macdonald desinstructionstrèsnettessurlaconduiteàtenir,etcemaréchal avait tous les moyens de remplir avec succès la tâche qui lui était assignée .
Mais ilavait commis des fautes inexplicables de la part d'un h o m m e qui depuis vingt ans faisait la guerre à la tête des troupes françaises.D'abord,dans lesinstructionscependant siclairesde Napoléon,iln'avait vu que la lettre sans chercher à en saisir l'esprit.
Rejeter Blücher sur Jauer, puis s'établir défensivement sur le Bober,tel était l'ordre qu'il avait reçu.
Il était bien clair d'après cela que la marche sur Jauer n'était
que secondaire,puisque même en cas de succès,l'armée fran-
çaise devait revenir en arrière, et par suite que ce qui importait avant tout c'était de tenir Blücher en échec.
Dès lors,les circonstances favorables à l'offensive ayant dis- parues par suite des faux mouvements du 3o corps, et par l'ar- r i v é e d u m a u v a i s t e m p s , r i e n n ' o b l i g e a i t à a t t a q u e r B l ü c h e r . Il suffisait de le surveiller,et les pluies étaient aussi défavorables à son offensive qu'à la nôtre.
Il est bien certain que si notre armée avait été bien établie sur le Bober,de Lovenberg à Bunzlau,Blücher n'en aurait pas eu raison,et tout ce qu'il y avait d'essentiel dans la mission de Macdonald étaitrempli.
Ensuite,après avoir,malgré tout,décidé l'offensive,ill'exécuta d'une manière déplorable, sans lier ses divers corps, en les fai- sant cheminer en deux colonnes séparées par un profond ravin,- ce qui permit à Blücher d'accabler l'une d'elles, et en détachant deux divisions à deux lieues du champ de bataille,ce qui amena la destruction de l'une de ces divisions.
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Il est difficile de comprendre qu'un h o m m e qui avait vingt ans d'expérience ait pu prendre de pareilles dispositions.
Le maréchal Macdonald était cependant un digne militaire
aussi honorable par son caractère qu'intrépide sur le champ de
b a t a i l l e ; m a i s , c o m m e l a p l u p a r t d e s e s c a m a r a d e s , il é t a i t m a l
pénétré des principes fondamentaux de lagrande guerre,et,s'il
avait de grandes qualités pour exécuter les ordres sous les
yeux du chef,ilmanquait de celles qui sont indispensables au cheflui-même.
C'est un de ces exemples qui montrent que les qualités du commandementtiennentessentiellementàlanature,etquel'étude et l'expérience n'y servent à rien. Macdonald avait livré la bataille de la Katzbach comme celle de la Trebbia, 15 ans plus tôt; tout ce qui s'était passé dans l'intervalle n'avait servi à rien pouréclairersonesprit.Ilétaitrestél'hommefaitpour obéiret non pas pour commander .
« Ilavait,ditMarmont,cetteactivitémalheureusedecertains
h o m m e s qui se laissent absorber dans les circonstances les plus importantes par les détails les plus minutieux . A l'armée il écri- vait lui-m ê m e les lettres relatives au service. Cette seule circon-
stancelefaitconnaître.»Dans cesconditions,onnepeutadresser à Napoléon qu'un seul reproche: c'est d'avoir choisi un tel homme pour commander une de ses armées.
Ce n'est pas que l'idée d'une offensive sur Berlin fût absolu-
ment mauvaise en elle-même ;siNapoléon tenaitvraimentà ren-
trer au plus vite dans la capitale de la Prusse, il pouvait y con- duire lui-m ê m e une armée considérable ; mais alors il fallait être
prêt à céder le terrain sur les autres parties du théâtre des opé- rations .
Il est permis de s'étonner que Napoléon n'ait pas été convaincu que,disposant en somme de forces notablement inférieures à ses
adversaires,ilnedevaitpasprendrel'offensivepartoutàlafois. Il ne pouvait arriver à les vaincre qu'à la condition de se portersuccessivement contreleursarméesséparées.C'estlàune
des conditions essentielles de l'emploi des lignes intérieures,car il est clair qu'en cherchant à en utiliser les avantages,on ne
Nous pensons qu'il en est autrement de la défaite de
Grossbeeren, et qu'elle était implicitement comprise dans les instructions qu'Oudinot avait reçues.

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peut être fort partout en même temps. Or Napoléon tenant à avoir sous la main sa masse centrale pour la porter soit contre l'armée de Silésie,soitcontre cellede Bohême,Oudinot ne devait
avoir que des forces insuffisantes et,par suite,l'offensive devait lui être interdite.Nous pensons donc que Napoléon est vraiment responsable de la défaite de Grossbeeren, d'autant plus qu'en dehors des raisons que nous venons d'en donner,l'offensive une fois résolue aurait pu être combinée dans des conditions beau- coup plus avantageuses,à la condition d'être seulement retardée.
C o m m e on l'a vu ,Napoléon voulait en effet y faire participer
la division Girard et le corps de Davout venant de Magdebourg
etde Hambourg.Or,iln'estpas possible de porter son attention
sur les dispositions arrêtées par Napoléon pour la marche con-
centriquesur Berlin,d'Oudinot,de Girard etde Davout,sans être confondu.Croirait-on que l'homme qui a prescrit ces mou-
vements est celui qui a écrit qu'une armée ne doit avoir qu'une ligned'opérations;quec'estunprincipequin'admetpasd'excep- tion,que toutejonction de corps d'armée doit s'exécuter loin de l'ennemi et non pas en sa présence; que c'est lui aussi qui a tant critiqué les généraux français de la guerre de Sept ans,les inva- sions de la Bohême de Frédéric,les opérations de Jourdan et de Moreau en Allemagne en 1796,etcelles de Wurmser et d'Alvinzi à la m ê m e époque , enfin celles des généraux français en 1799 qui
ont amené les défaites de la Trebbia de Novi et de Genola, pour avoir violé ces préceptes 1?
N'est-il pas manifeste que ce qu'il reprochait à ces divers généraux,ilvenait de lefaire lui-même,et,malheureusement pournous,cedevaitêtrel'occasion d'une nouvelleconfirmation des principes auxquels il semblait tant tenir.
Et,d'ailleurs,ilfaut reconnaître que rien ne l'obligeait à s'en écarter,etqu'aucontraireilétaittrèssimplede s'yconformer. Pour cela il convenait de prescrire à Oudinot de rester d'abord dans l'expectative,de manoeuvrer en présence de l'ennemi pour l'occuper,mais en évitant la bataille et sans se compromettre, pendant que,d'une part,Napoléon lui-même opérait soit contre l'armée de Silésie,soitcontre celle de Bohême,et que,d'autre
1 Je rappelle ici les principaux exemples que j'ai cités en étudiant jadis les Maximes de Napoléon que je viens de rappeler (2o et 3o maxime).
1

part, Davout se rapprochait de l'Elbe moyen en remontant ce fleuve. A cet effet ce maréchal pouvait marcher avec toutes ses troupes par la rive droite jusqu'à Schwerin pour attirer l'attention de l'ennemi,puis passer brusquement le fleuve avec les deux tiers de ses troupes,en ne laissant en avant de Hambourg que les forces strictement nécessaires à la défense de cette place qui, à ce moment,ne pouvait être menacée par des forces considéra- bles.Avec le gros de ses forces, il aurait remonté l'Elbe par la
rive gauche jusqu'à Magdebourg, rallié la division Girard et ensuitemarché au-devant d'Oudinot qui,pendant lesjours pré- cédents,aurait manœuvré de manière à attirer l'attention de l'en- nemi du côté opposé.Une fois la jonction faite,l'armée française du Nord,forte de près de 100,000 hommes ,avec un chef comme Davout,pouvaitrechercherlabataille,carelleavaitde grandes chances de la gagner,même sans que Napoléon aitamené lui- m ê m e quelque renfort.
Nous trouvons donc que,siNapoléon n'est pour rien dans la défaitedelaKatzbach,c'estsurluiquedoitretomberlarespon- sabilité de cellede Grossbeeren.Dans lefait,lesprévisionspes- simistes de Marmont s'étaient réalisées.Pendant que Napoléon avait gagné une grande bataille, ses lieutenants en avaient perdu deux.Mais nous pensons qu'on aurait bien tort d'en conclure que le système d'opérations par lignes intérieures est défectueux en lui-m ê m e ; seulement il exige certaines conditions auxquelles Napoléon n'a pas satisfait. Il a pris l'offensive sur plusieurs points, tandis qu'en opérant en lignes intérieures, on ne doit attaquerquesurun seulpointàchaquemoment.Ilfautremar- quer d'ailleurs qu'en ce qui concerne les opérations particulières d'Oudinot combinées avec celles de Girard et de Davout, ce n'étaient pas les Français qui avaient les lignes intérieures, mais leurs adversaires,et cela fut une des causes de succès de ces derniers,en permettant à Bernadotte,après avoir battu Oudinot, de se rejeter sur Girard avec des forces supérieures. Aussi,
malgré les tristes résultats obtenus, nous prétendons que Napo- léon avait toutes les chances pour lui, s'il avait mieux appliqué ses propres principes et que Macdonald n'eût pas commis de sigrosses fautes.
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Qu'on suppose en effet l'Empereur prescrivant à Oudinot l'expectative,etappelantDavout surMagdebourg,pendantque

lui-m ê m e opérait en Silésie, et ensuite Macdonald appréciant mieux son rôle et évitant de se diviser, pendant que Napoléon
revenait sur Dresde, il n'en fallait pas davantage pour éviter Grossbeeren et la Katzbach .
Dès lors, le système des lignes intérieures portait tous ses fruits, et s'il en a été autrement ce n'est pas parce que les prin-
cipes étaient mauvais , mais parce que l'exécution a été défec- tueuse.
Au surplus, on peut encore remarquer que les critiques que Marmont adressait aux dispositions générales de Napoléon repo-
saient non pas sur la valeur des principes,mais sur celle des hommes chargés de jouer un rôle capital dans leur application. Et,à ce point de vue,ilfaut convenir que le duc de Raguse avait raison,car Oudinot n'était pas plus capable que Macdonald de commander une grande armée.Jomini,discutant la même situation a soutenu de son côté qu'il avait manqué à Napoléon deux hommes capables d'opérer loin de lui.Mais cette observa- tion ne nous semble pas exacte,car,ces deux hommes ,Napoléon lesavait;c'étaientDavoutetSaint-Cyr;seulementiln'a pas su les mettre à leur place.
L'un,Davout,disgracié depuis la campagne de Russie par suite de la jalousie de Berthier, s'est trouvé relégué en dehors du théâtre principal des opérations et n'a joué aucun rôle pendant toute la campagne. L'autre, Saint-Cyr, a, sans aucun doute, rendu de grands services autour de Dresde, mais il aurait été bien mieux placé vis-à-vis de l'armée de Silésie, opposant son calme imperturbable à l'ardeur de Blücher.Ce qu'il faut conclure de ces observations? Ce n'est certes pas que la pratique des lignes intérieures soit mauvaise,mais seulement qu'en dehors de certainesconditionsdontilfauttenircomptepourlacombinaison
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Dès lors la victoire de Dresde était obtenue sans compensation ; de plus, l'Empereur avait tout le loisir d'en tirer les consé- quences qu'elle comportait, car ce n'est que pour réparer les défaites de ses lieutenants qu'il en a été détourné.Par suite,une fois l'armée de Bohème bien battue,ilrestaitlibre,même en ren- forçant Macdonald d'une vingtaine de millehommes,de rallier Oudinot et Davout avec la garde et d'entrer à Berlin avec
120,000 hommes ,tout en en laissant encore 100,000 aux envi- rons de Dresde .

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des mouvements dans leur ensemble,ilestnécessaire que legéné- ralissime dispose de deux ou trois hommes sur lesquels il puisse compter en son absence. Mais quel que soit le système d'opéra- tions que l'on adopte, il en sera toujours de m è m e dès que l'on
a à diriger des armées fortes de plusieurs centaines de mille hommes,et,d'ailleurs d'une manière générale, on ne saurait trop répéter que la guerre n'est pas une science abstraite, que lesprincipesnevalentrienpareux-mêmes,maisseulement par la manière dont ils sont appliqués, et que , pour qu'une opération soit heureuse,il ne suffit pas qu'elle soitjuste dans sa concep- tion,mais ilfaut surtout qu'elle soit conduite par des hommes capables de la comprendre et de l'exécuter.
Quoiqu'ilensoit,ilestcertainquelavictoiredeDresdecom- pensait largement les défaites de Macdonald et d'Oudinot, et, comme lesarmées ennemies restaient séparées,Napoléon pouvait espérerréparerlesdéfaitesdeseslieutenants,lorsqueledésastre de Kuhlm vint définitivement faire pencher la balance du côté de ses adversaires .
Aussi ne doit-on pas s'étonner que les causes de ce désastre
Enréalité,Kuhlm estlenoeuddelapremièrepartiedelacam-
pagne;carsi,aulieud'essuyercedésastre,Napoléon,appuyant Vandamme,eût achevé la défaite de l'armée de Bohême,les échecs de Grossbeeren et de la Katzbach n'auraient eu que peu de
conséquence.Alors même que Macdonald eûtétérejetéjusque sur
Dresde , cela n'empêchait pas la désorganisation de la principale
armée de la Coalition.L'Empereur se trouvait avoir atteint le but
que Saint-Cyr et Marmont voulaient lui voir poursuivre, mais dans des conditions bien plus avantageuses que s'ilavait cherché
àpénétrerlui-même enBohême,car,ayantgagnélabatailletout près de Dresde,ilaurait obtenu un grand succès sans s'éloigner de ses ressources ; dès lors une fois débarrassé de l'armée de
Bohême,ilavaitlemoyendesejeterrapidement surl'armée de Silésieousurl'arméeduNordsoitparDresde,soitpar Torgau;
tandisqueledésastredeKuhlm,venants'ajouterauxdéfaitesde Grossbeeren et de la Katzbach, allait annihiler complètement, matériellementetmoralement,touslesavantagesdelavictoirede Dresde.C'estdoncbienl'événementdécisifde cettepériode des hostilités.

aient été l'ocasion de nombreuses discussions de la part des écri- vains militaires.
Tous ne sont pas du m ê m e avis au sujet de la responsabilité à encourir.
Il s'agit en somme de faire une véritable enquête, et nous croyons qu'il ne peut y avoir de doute sur les conclusions aux-
quelles elle doit conduire,pourvu que l'on ne commence pas par admettre comme un dogme l'infaillibilité de Napoléon.
D'abordilestunfaitmanifeste,c'estque lacause immédiate
du désastre de Vandamme réside dans son isolement. La pre-
mière question à résoudre est donc de rechercher d'où provenait cet isolement.
Or le mouvement du 1er corps était ordonné par Napoléon qui
enmême tempsn'avaitprescritàaucunautrecorpsdel'appuyer.
Il ne peut y avoir d'hésitation à ce sujet en ce qui concerne les corps de droite de l'armée française, le 6o et le 2o, qui n'étaient pas dans la zone d'opération de Vandamme.La question ne mérite d'être examinée que pour les corps de Mortier et de Saint- Cyr qui étaient placés de telle sorte qu'ils auraient pu appuyer le 1er corps s'ils avaient eu quelques raisons de le faire.
Mais Mortier était à Pirna comme un en-cas et avec l'ordre formel d'attendre des ordres ; en ne bougeant pas, il s'est tenu dans les limites de ses instructions.
Saint-Cyravaitbiend'abord,le28,étédirigéversVandamme, mais,par suite du mouvement transversal de Barclay de Tolly, N a p o l é o n l ' a v a i t r a m e n é d u c ô t é d e M a r m o n t , e t , l e 2 9 e n c o r e , il lui prescrivait d'être en mesure de soutenir ce dernier et sans lui parlerdeVandamme.
Le chef du 14 corps n'avait donc aucune raison de se relier au1er,aucunordreneleluiprescrivait.Mais,dira-t-on,Mortieret Saint-Cyr, sans avoir reçu d'ordres,pouvaient bien prendre sur euxd'appuyerVandamme.Sansdoutenousestimonsqu'unchefde corps d'armée a de grands droits à l'initiative, mais pour que cette initiatives'exerced'unemanièrejudicieuse,ilfautqu'ellesoitmo- tivée,surtoutquand on apour chefun homme comme Napoléon.
Or,une seule chose pouvait amener Saint-Cyr ou Mortier à appuyer Vandamme sans en avoir reçu l'ordre, c'était d'avoir des raisons de croire qu'il pouvait avoir besoin d'eux. Mais aucun renseignement ne pouvait leur donner cette pensée.
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En ce qui concerne le premier,on peut dire encore,et c'est le principalgriefdontonveutchargerSaint-Cyr,quec'estluiquia laissééchapperKleist.Maisill'avaitsuivile29,étaitrestéencon- tactavecluijusqu'ausoir,etilrepritsonmouvementlelendemain dèsqu'ileneutl'ordre.Quevoulait-onqu'ilfitdeplus?Letalonner d'un peu plus près le 29 en appuyant à gauche , c'était possible ; mais les instructions de Napoléon l'appelaient du côté opposé,il est naturel qu'avant de s'en écarter, il en ait demandé de nou- velles, et, s'il ne les a pas reçues en temps utile, c'est que Napo- léon était trop loin de ses troupes pour pouvoir les diriger sui- vant les circonstances. En s'en éloignant, il n'avait donné le commandement supérieur à personne. Or un chef de corps ne voit que ce qu'il a devant lui, son initiative est donc forcément limitée. Ce n'est pas à lui de combiner les mouvements d'en- semble, et Saint-Cyr n'avait aucune raison de croire que Napo- léon avait mis Vandamme dans une situation telle qu'il pouvait être entouré par l'armée ennemie. D'ailleurs, puisque Napoléon luiavaitprescritd'appuyerMarmont,siVandamme avaitbesoin d'un soutien,c'était à Mortier et non pas à lui de le fournir 1.
1 Je ne reprocherai pas à M. Thiers d'avoir partagé,au sujet de Kuhlm, l'avis des détracteurs de Saint-Cyr ; il suffit d'avoir lu sa critique pour voir qu'elleestdebonnefoi;surcepoint,commesurpresquetouteslespartiesde laguerrede1813,lejugementdeThiersestfausséparcetteidéepréconçue que Napoléon n'a pas pu commettre de fautes militaires.
Mais si l'appréciation de Thiers, quoique erronée, est respectable,je n'en dirai pas autant de celle que l'on trouve dans les Mémoires de Marbot. Les faits y sont présentés sous un jour tellement faux que l'on peut se demander si l'auteur a péché seulement par ignorance. Mais il ne faut pas s'étonner de cet essai de dénigrement ; il est tout naturel que l'homme qui ne vou-
lait pas de Spartiate dans sa famille n'ait rien compris à l'élévation du carac- tère de Saint-Cyr. Il faudra d'autres documents pour entacher la mémoire de ce grand homme de guerre.
Cependant les reproches qui lui ont été adressés au sujet de Kuhlm ont en- coretrouvérécemmentunéchodanslesécritsdugénéralThoumas.«<Onsait, dit-il (Transformations de l'Armée française, t. Ier, p . 177 ), qu'ayant reçu l'ordre de se joindre à Vandamme, Saint-Cyr fit le mouvement avec une
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Dans les instructions que Napoléon envoie à ses lieutenants, non seulement il ne prescrit pas d'appuyer Vandamme,mais il représente la situation de ce général c o m m e excellente et c o m m e ayant jeté l'épouvante dans l'armée russe. Ni Saint-Cyr ni Mor-
tiernepouvaientdonccroirequeVandamme eûtbesoindeleur soutien.

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Je conclus donc en disant qu'il n'y a qu'un coupable dans l'affairede Kuhlm,et que ce coupable c'est Napoléon.C'est lui qui,violant ses propres principes, a prescrit à Vandamme de tourner l'armée ennemie, en le séparant du gros de l'armée. C'est lui qui a prescrit à Mortier d'attendre des ordres à Pirna , à Saint-Cyr de se diriger du côté de Marmont et non pas de celui de Vandamme .C'est lui qui,en revenant à Dresde, sans donner le commandement supérieur à aucun de ses lieutenants,a aban-
donné chacun de ses corps d'armée à lui-m ê m e , sans qu'aucun d'eux ait les renseignements suffisants pour modifier suivant les circonstances les instructions qu'il avait reçues.
Quant à l'influence des lignes intérieures dans cette circon-
stance,ilest manifeste que,comme pour les opérations sur Ber-
lin,silesprincipesont étéviolés,c'est du côté de Napoléon et non pas de celui de ses adversaires.
Et si l'on demande comment cet h o m m e ,d'un génie militaire si supérieuretd'une expérience siconsommée,apu selaisseren- traîner à de pareilles erreurs,je répondrai que cela tient avant tout à ce qu'il avait mal apprécié la situation dans son ensemble.
Après avoir douté de la victoire le soir du 27,ill'avait cru le lendemain plus décisive qu'elle ne l'était.
extrêmelenteuretne rejoignitpasle1ercorps.»Voilàcomment lesesprits
superficiels écrivent l'histoire, sans se donner la peine, sur des sujets aussi
graves, d'y regarder de près ; autrement le général Thoumas aurait vu que non seulement Saint-Cyr n'avait pas reçu l'ordre de se joindre à Vandamme,
mais qu'au contraire,ilavaitétédirigé du côtéopposé.L'auteurdont jeparle se contente de s'appuyer sur l'opinion du duc de Fezensac qui a peu de valeur, etquandcedernier,aprèsavoirrenduSaint-CyrresponsabledeKuhlm,ajoute que d'une manière générale, le maréchal négligeait la partie morale dans les opérations militaires, on ne sait comment qualifier cette appréciation,car si quelqu'un a jamais tenu compte des causes morales,c'est bien Saint-Cyr.
Sans doute il existe une cause très particulière,qui a retenu
Napoléon àDresde,c'estledésirderéparerlesdéfaitesdeGross- beeren et de la Katzbach ; mais s'il avait cru en m ê m e temps sa
présence nécessaire aux frontières de la Bohême, il aurait ajourné ses projets d'offensive contre Blücher ou sur Berlin, en se disant qu'en agissant autrement il courait le risque de lâcher la proie pour l'ombre . C'est ce qui a eu lieu en réalité, mais Napoléon ne s'est laissé entraîner à une pareille faute, que parce qu'il se méprenait sur l'état moral de ses adversaires.

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Il croyait ses adversaires démoralisés comme au lendemain d'Austerlitz,d'Iéna ou de Friedland,etqu'après lesavoirpoussés d e v a n t l u i a v e c l e g r o s d e s e s f o r c e s , il s u f f i r a i t d ' u n c o r p s c o m m e celui de Vandamme , apparaissant sur leurs derrières, pour transformer leur retraite en déroute. Or là était son erreur. Le désir de vengeance des Russes n'était pas encore assouvi par les
malheurs de notre retraite,et les Allemands, les Prussiens sur-
tout,avaientjuréd'obtenirl'indépendancedeleurpays.Voilàce
que Napoléon, n'envisageant que la force brutale, n'avait pas
compris , et c'est ainsi qu'il a été conduit à se départir des prin-
cipes militaires qu'il a toujours considérés c o m m e les plus essen-
tiels;car,en somme,lemouvement qu'ilaprescrità Vandamme
c'est le même que ceux que jadis Wurmser et Alvinzi voulaient
exécuter contre lui, c'est celui que Loudon a tenté à Liegnitz
contreFrédéric,queFrédériclui-même aexécutéàMaxen,etsi,
tout en en connaissant mieux qu'aucun autre le danger,Napo-
léon s'y est laissé entraîner, c'est que se méprenant sur l'état
m o r a l d e s e s a d v e r s a i r e s , il a p e n s é q u e t o u t l u i é t a i t p e r m i s , e t
qu'il a pu croire que les mêmes mouvements qui,exécutés jadis
par ses adversaires,avaient été pour eux l'occasion de défaites,
prescrits par lui-même,lui procureraient au contraire de nou-
veaux triomphes. Et c'est ainsi que les causes morales et géné-
ralesengendrentlescausesmilitairesetparticulières,etledevoir
de l'historien,qui cherche dans l'étude des événements un ensei- gnement,est de montrer comment elles se relient les unes aux
autres,car silesunes sont bien les causes premières,les autres sont en réalité seules les causes immédiates et effectives.
Celles qui ont amené la défaite de la Katzbach sont les seules dont ilne soitpas responsable,etilfautremarquer que,malgré
lagravitédecettedéfaite,ellen'étaitpasparelle-même décisive. Elle n'a eu une grande influence sur l'ensemble des opérations qu'en retenant Napoléon à Dresde et en le détournant de la tâche
bien autrement importante qu'il avait à remplir pour achever la défaite de l'armée de Bohême.
5
En résumant les considérations que nous venons de présenter, nous dirons que l'insuccès des manoeuvres de Napoléon pendant la période qui s'étend du 15 au 30 août, a pour cause une série defautesdontlesprincipalesluisontimputables.
A. G.

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Quant à Grossbeeren, il faut en attribuer la cause première aux dispositions d'ensemble de Napoléon,et il en est de même de celles qui ont amené le désastre de Kulm .
Mais en terminant, nous tenons à redire qu'à notre avis ce serait une grande erreur que de conclure de l'insuccès de toutes ces manœuvres que la pratique des lignes intérieures qui carac- térise le système d'opérations que Napoléon voulait suivre est mauvais enlui-même.Au contraire,l'étudeattentivedesévéne- ments,l'analyse des causes qui ont amené les défaites de l'armée française,montrent que l'emploi de ce système donnait à Napo- léon de grands avantages, et que s'il eût tenu compte des condi- tions essentielles qu'il exige, et notamment s'il se fût gardé de prendre l'offensive sur plusieurs points à la fois, et qu'en m ê m e temps il eût évité,dans l'exécution,des fautes qui n'en étaient nullement la conséquence, il aurait trouvé dans la séparation des armées ennemies l'occasion d'aussi beaux triomphes qu'en 1796.
Les opérations de la période précédente sont loin d'avoir per- mis à Napoléon de prendre le dessus. La victoire de Dresde est largement compensée par les défaites de Grossbeeren ,de la Katz- bach et de Kulm 1.
Ses forces commencent à s'épuiser,iln'a plus de réserve.Les
ressources de ses ennemis continuent,au contraire, leur déve-
loppement;en outre,leur moral s'élève avec leur confiance dans le succès final.
Cependant Napoléon est loin de désespérer. Dès le 30 août, dans la matinée,ne connaissant pas encore le désastre de Van- damme, qui avait lieu ce même jour, comptant au contraire sur un brillant succès de ce côté,croyant d'ailleurs Macdonald
1C'estparerreurqueKulmaétéécritavecunhdanslespagesprécédentes.
III.
Du 1er au 25 septembre.
1° Précis des opérations.

Il avait examiné et comparé les avantages et les inconvénients d'une offensive sur Prague ou sur Berlin, et s'était prononcé résolument pour cette dernière,trouvant l'autre trop excentrique parrapportà l'Elbemoyen,qui est savraie base d'opérations. D'après ces idées,il avait pris le parti d'appuyer Oudinot avec la garde et une partie de la réserve de cavalerie, tandis que les corps de Vandamme , de Saint-Cyr, de Marmont et de Victor, formant ensemble une armée de plus de 100,000 hommes,au- raientétéopposés,souslecommandementsupérieurdeMurat,à l'armée de Bohême,et que Macdonald se retireraitjusqu'à Baut- zen sic'étaitnécessaire;puis,après avoir battu Bernadotte,il comptait rallier Marmont, rappelé à son tour sur la droite,et tomber avec ce corps et la garde dans le flanc droit de Blücher que Macdonald contiendrait de front.
Méditantsurceprojet,iln'avaitpasencoredonnélesordresà exécuter pour le réaliser, lorsqu'il reçut les nouvelles lui annon- çantledésastredeKulm,enmême tempsqu'ilapprenaitque Macdonald était obligé d'accentuer sa retraite.
Ilsemblequel'Empereur futatterréparlanouvelledeladé-
faitedeVandamme,etilhésitaàs'éloignerrésolumentdeDresde
c o m m e il en avait eu l'intention ; cependant il persista à réunir
une forte réserve sur la rive droite de l'Elbe, à Hoyerswerda ; mais au lieu de la destiner d'une manière formelle à marcher sur
Berlin,ilse réserva de l'employer tout aussi bien à secourir Macdonald,si Blücher devenait trop pressant,ou même de la ramener sur Dresde si l'armée de Bohême débouchait des mon-
tagnes.
E n a t t e n d a n t , il j u g e a b o n d e r e m p l a c e r à l a t ê t e d e l ' a r m é e d u
Nord ,Oudinot par Ney ; il prescrivit à ce dernier d'être le 6 à Baruth,àtroisjoursdeBerlin,luiannonçantque lemêmejour- un corps serait à Luckau pour l'appuyer. Afin d'être en mesure
Il sentait bien qu'il était le vrai coupable , et il devait le reconnaître quel- ques jours plus tard devant Saint-Cyr qu'il n'a jamais eu l'idée d'en rendre responsable. D'après quelques écrivains,dont Ségur, il aurait fait brûler cer- taineslettresportantlapreuvedesordresdonnésàVandamme.
- 67―
capable de tenir sur le Bober, il s'était demandé quel était le
meilleur parti à prendre dans la situation générale de ses affaires.
1

de réaliser ces projets,Napoléon voulait porter sur Hoyerswerda la garde, Marmont et la moitié de la réserve de cavalerie.
Avec ces dispositions ilresterait sur la rive gauche de l'Elbe,
Saint-Cyr et Victor aux débouchés des montagnes , tandis que Poniatowski et Kellermann se tiendraient sur la droite, entre
l'Elbe et Macdonald , et que le 1er corps se reformerait à Dresde sous les ordres du comte de Lobau que Napoléon avait choisi
pour remplacer Vandamme.Si,pendant que Napoléon opérerait contre l'armée de Silésie ou contre l'armée du Nord , l'armée de
Bohême, profitant du succès de Kulm,essayait de pénétrer de nouveau en Saxe, Saint-Cyr et Victor devaient se replier sur Dresde;et,comme lesdéfensesdecettepositionavaientétéper- fectionnées depuis la bataille, les redoutes portées de 5 à 8 et armées d'artillerie de position,ces deux maréchaux devaient être en mesure d'y résister à toutes les attaques de l'ennemi,avec l'appui du 1ercorps reconstitué.
D'après ces idées,Napoléon, le 2 septembre,dirigea sur Kœ- nigsbruck,dans la direction d'Hoyerswerda, la cavalerie de la garde avec deux divisions d'infanterie de la jeune garde . Il se proposait,le 3,de les faire suivre du reste de la garde et,un peu plus tard,de Marmont,lorsqu'il reçut de nouvelles dépêches de Macdonald lui annonçant que, poussé vivement par Blücher,il avait dû se replier sur Gorlitz, et que sans doute il serait obligé decontinuersaretraitejusqu'àBautzen,peut-êtremême jusqu'à Dresde.
Au reçu de ces dépêches,Napoléon changea de nouveau ses dispositions.
Pendant que ses troupes marchent, il donne des instructions précisespourladéfensedeDresde,soitquel'ennemiattaquepar la rive gauche ou par la rive droite ; en outre il prévient Ney qu'il va attaquer Blücher, et qu'après la bataille ilmarchera sur Berlin en grande hâte,et il lui donne toujours rendez-vous à Baruth ; enfin il quitte Dresde le 3 au soir, et après avoir couché à Harta sur la route de Bautzen , il arriva dans cette ville dans la
68 -
En présence des demandes de secours de Macdonald,ilpensa qu'au lieu de manoeuvrer sur sa gauche , il fallait avant tout l'appuyer directement.
En conséquence,ildirigeasurBautzentoutesagarde;lecorps de Marmont devait suivre dans la même direction.

matinée du 4. Il y trouva Macdonald qui,conformément à ses craintes, avait été obligé d'abandonner la Neisse après le Bober
et de revenir jusque sur la Spree. La cavalerie de la garde et celle de Latour-Maubourg seules étaient arrivées avec Murat ;
cependant Napoléon voulut reprendre de suite l'offensive et pousser Blücher avec la plus grande vigueur. Il avait pris ses précautions pour dissimuler son arrivée ; mais l'hostilité des
populations permit à Blücher d'être prévenu du mouvement des renforts que Napoléon avait mis en marche sur Bautzen,et le commandant de l'armée de Silésie,au lieu de continuer résolu-
ment sa marche , ne s'était avancé au delà de Gorlitz qu'avec prudence;etquand,dans l'après-midi du 4,Murat déboucha de Bautzen,ilne trouva devant lui que quelques avant-gardes.Ilen eut facilement raison. Mais Blücher, averti par cette irruption que Napoléon était proche, fidèle au plan convenu à Trachen- berg, prit ses mesures pour se dérober à l'attaque. Aussi le len- demain 5 septembre,l'Empereur, à la tête de son avant-garde, putfacilementrentreràGorlitz;maisvoyantBlücherluiéchap- perdenouveau,etcraignantde s'éloignerinutilementdeDresde e t d e N e y , il a r r ê t a l a m a r c h e d e s e s t r o u p e s , j u g e a n t p r é f é r a b l e de laisser les corps de Macdonald prendre sur la Neisse le repos dontilsavaientbesoin.
Il se proposait de rester de sa personne quelques jours à Goer-
litzpour y ranimer ces troupes par sa présence,lorsque,dans la
soirée du 5, une dépêche de Dresde,lui annonçant une nouvelle
apparition de l'armée de Bohème sur la route de Peterswalde, le ramena à Bautzen.
Le lendemain,des dépêches plus précises de Saint-Cyr le firent revenir sur Dresde, où ildirige la garde etLatour-Maubourg.
E n s ' y r e n d a n t l e 6 a u s o i r , il p r e s c r i t à M a c d o n a l d , e n c a s d ' u n e nouvelle attaque de Blücher,de revenir sur Bautzen et de s'y é t a b l i r s o l i d e m e n t ; e n m ê m e t e m p s , il n e r e n o n c e p a s à l ' o p é r a - t i o n s u r B e r l i n , il c o m p t e q u ' e l l e n e s e r a q u ' a j o u r n é e , e t il p o u s s e Marmont sur Koenigsbruck dans la direction d'Hoyerswerda ;de làce maréchal,en attendant de marcher vers le Nord,servira à relier Macdonald à Ney ; mais Napoléon néglige de prévenir ce
dernier qu'il ne doit plus compter d'être appuyé très prochaine-
Arrivé à Dresde,Napoléon rejoint,le7,Saint-Cyr qui voudrait
69
ment.

- 70 -
attaquer en Bohême,croyant que la grande armée est divisée,et cette conjecture était exacte .
E n effet, le gros des Autrichiens a repassé sur la rive droite de l'Elbe dès que les souverains ont appris le mouvement de NapoléoncontreBlücher,tandisqueKlenaurestaitàCommotau et à Chemnitz pour se refaire, et que les Russes de Wittgenstein et les Prussiens de Kleist exécutaient une forte démonstration dans la direction de Dresde.Sans les Autrichiens,ces derniers avaient été assez forts pour obliger Saint-Cyr à reculer ; mais celui-ci,persuadé qu'ilsétaientseuls,auraitvouluqueNapoléon profitât de leur isolement pour les attaquer.L'Empereur,moins convaincu que son lieutenant,revient à Dresde, attendant, pour prendre un parti,de nouveaux renseignements et l'arrivée de la garde dont en tout cas la présence était nécessaire pour repren→ dre l'offensive.
Le 8,Napoléon rejoint de nouveau Saint-Cyr avec la garde. Les Russes et les Prussiens avaient accentué leur mouvement et
Saint-Cyr avait reculé devant eux jusqu'à la Muglitz ; mais cer- tain d'être secouru au besoin par la garde,il reprend brusque-
ment l'offensive avec l'assentiment de Napoléon et refoule ses adversaires .
Néanmoins ,Napoléon restait incertain sur les projets de l'ar-
mée de Bohême,lorsqu'ilreçutdemauvaisesnouvellesluiappre- nant la défaite de Dennewitz .
Ney était arrivé le 3 à Wittenberg; son armée n'avait plus que 52,000 hommes au lieu de 65,000 qu'elle comptait à la reprise des hostilités. Le maréchal veut aller par Juterbock à Baruth, où Napoléon lui a donné rendez-vous. S'étant mis en mouve- ment le5 septembre,ilavaitatteintlemêmejourSeyda,après avoir battu Tauenzien qui formait la gauche de Bernadotte,à Zahne.Le6,ilreprendsamarchesurJuterbock,le4 corpsen tête,puisle7",enfinle12 avecOudinot.L'arméefrançaise,for- mant une colonne allongée, allait donc exécuter une marche de flanc en présence de l'armée ennemie forte de 80,000 hommes et dont le gros se trouvait sur sa gauche, tandis que le corps de Tauenzien était établi en avant de Juterbock.Vers midi,Bertrand se heurte contre ce dernier et l'action s'engage de suite à la
sortiede Dennewitz.
La divisionitalienneetcelledu général Morand,dirigées par

Neylui-même,commencèrentparfairequelques progrès,mais furent bientôt arrêtées par Bülow,apparaissant sur leur gauche, tandis que Reynier et Oudinot étaient encore loin.
Réduit à 15,000 h o m m e s contre 40,000 ,le 4o corps fait néan- moins bonne contenance et tient ferme pendant deux heures jus- qu'à l'arrivée du 7 corps. Reynier place aussitôt son corps d'arméeenpotencepourfairefaceàBülow.Cedernier allaitêtre lui m ê m e bientôt soutenu par les Russes et les Suédois qui appro- chaient du champ de bataille; mais Oudinot y arriva en même temps qu'eux et prit aussitôt ses dispositions pour soutenir les Saxons de Reynier qui étaient sérieusement menacés.Le combat paraissait rétabli de ce côté lorsque le 4e corps, affaibli par une longue lutte et assailli par les Prussiens de Tauenzien et de Bülow ,
fut obligé de céder le terrain en appuyant à droite de Dennewitz. Pour couvrir ce village,Ney prescrivit à Reynier et à Oudinot d'exécuter avec une partie de leurs forces un mouvement de
gauche à droite.
Aussitôtcemouvement commencé,les Saxons qu'Oudinot ne
soutenait plus, vivement attaqués, commencèrent à reculer et bientôt se laissèrent mettre en déroute .
Une affreuseconfusion s'ensuivitdans touslescorps;labataille étaitperdue,elleeutdesconséquencesdésastreuses;lesBavarois et les Saxons ,qui jusqu'à ce moment s'étaient assez bien compor- tés,se mirent à déserter en masse et bientôt l'armée, qui avait perdu 6,000 à 7,000 hommes pendant la bataille,setrouva dimi- nuéede20,000hommes.
LaroutedeWittenbergnousétaitinterdite;Neyse replia sur Torgauoùilarriva,le8,avecunearméeréduiteà32,000hommes. Voilàcequ'appritNapoléon,le8ausoir,àDohna où ilavait établi son quartier général .
Cettedéfaite,venantaprèslaKatzbach etaprès Kulm,n'était pas de nature à améliorer la situation de l'armée française. Elle ouvrait à l'armée de Bernadotte l'accès du bas Elbe etpouvait lui permettre de passer sur la rive gauche pour combiner de plus près avec l'armée de Bohême des opérations sur les communica- tions de l'armée française avec le Rhin. Napoléon en reçut la nouvelle formelle à Pirna dans la soirée du 8.
Il resta impassible devant ce nouveau coup de la fortune;
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72
M a i s t o u t e n s o n g e a n t à l ' a v e n i r , il i m p o r t a i t s u r t o u t d e p o u r -
voir aux nécessités du présent.La défaite de Dennewitz eut pour
résultat d'amener Napoléon à renoncer au moins pour lemoment à ses projets d'offensive sur Berlin ; N e y fut seulement établi sur l'Elbe entre Torgau et Wittenberg avec l'ordre de surveiller les passages du fleuve.
E n m ê m e temps ,subissant sans doute l'influence de Saint-Cyr , qui aurait toujours voulu prendre l'offensive en Bohême, et se rendant bien compte qu'il ne pouvait rétablir ses affaires qu'en gagnant une grande bataille,Napoléon se montrait disposé à la rechercher de ce côté.
Maisaufond,commençantàbienserendrecomptedusystème de guerre que les Alliés avaient adopté contre lui, il ne croyait guère amener Schwarzenberg à accepter la lutte et, en cédant aux sollicitationsde Saint-Cyr,ils'avança,le9etle10,avecles seuls corps qui se trouvaient déjà sur le terrain . O n refoula faci- lementKleistetWittgenstein;Saint-Cyr,marchantàdroitesurle Geyersberg,auraitvoulutraverserlamontagneettomberdansle
flanc des colonnes ennemies qui se retiraient par la route de Peterswalde.
néanmoins , tout en montrant dans cette circonstance la fermeté
de son caractère,ilne pouvait s'empêcher de penser à la gravité de sa situation;aussi sans désespérer encore de l'issuede lalutte
qu'ilavaitentreprise,ilfitécrirelesoirmême parM.deBassano une lettre chiffrée au duc de Feltre,ministre de la guerre, pour l'inviter à mettre les places du Rhin en état de défense et à y réunir de grands approvisionnements.
Il avait directement sous la main le 14e corps et le 1er à peu
près réorganisé qui, avec trois divisions de jeune garde sous Mortier,formaient ensemble une soixantaine de mille hommes.
Lerestedelagarde,avecLatour-Maubourg,étaitprèsdeDresde, et Marmont,qu'il rappela d'Hoyerswerda au premier avis de la défaite de Dennewitz , allait y arriver rapidement ; Victor était à droite sur la route de Freyberg. C'était encore environ 60,000 hommes quel'onpouvaitfaireconcourirrapidementàlabataille; Napoléon disposait donc de 120,000 hommes pour la livrer.
Mais ayant constaté qu'il faudrait 24 heures pour frayer un passage praticable à l'artillerie, Napoléon crut devoir renoncer à cette opération.

Aprèsavoirparcourutoutlepays,dans lajournée du 11,et avoir recommandé au maréchal Saint-Cyr, à qui il donna le com- mandement supérieur des corps 1 et14,de contenirleplus long- temps possiblel'ennemi au delà des montagnes, avec l'aide de Victor qui doit garder les routes de Dippoldiswalde1 et de Frey- berg,ilrevint,le 12,à Dresde où il put se livrer à de graves réflexions sur la tournure des événements .
D e p u i s b i e n t ô t u n m o i s q u e l a c a m p a g n e é t a i t c o m m e n c é e , il
n'avaitpas,àbeaucoupprès,améliorésasituation.Ilavaitbien
lui-m ê m e gagné une grande bataille,mais ses lieutenants s'étaient
fait battre partout. Grossbeeren, la Katzbach, Kulm avaient
annulé tous les avantages de Dresde .Depuis le 1er septembre , il
n'y avait eu d'important que la défaite de Dennewitz qui n'avait
été compensée par aucun succès.Tous lesmouvements que Napo- léon avait fait exécuter à Marmont et à la garde en les portant
d'abord sur Bautzen,Hoyerswerda,pour les ramener ensuite sur Dresde,avaient été complètement inutiles.
Blücher,Wittgenstein,Kleists'étaientdérobés successivement sans attendre leur choc. Ces allées et venues n'avaient d'autre
résultat que de fatiguer les troupes, qui s'affaiblissaient physi- quement et moralement de jour en jour.
En outre, la désertion des corps allemands s'ajoutant aux pertes du champ de bataille avait notablement réduit les effec-
tifs.Ney n'avait plus que 32,000 hommes au lieu de 65,000 que son armée comptait à la reprise des hostilités. Macdonald n'en
avait plus que 50,000 au lieu de 70,000. Les autres corps, sur- tout le 1er, avaient fait également des pertes sérieuses. En somme,au milieu de septembre,Napoléon n'avaitpas beaucoup p l u s d e 2 6 0 , 0 0 0 h o m m e s , e n c o m p t a n t le c o r p s d e D a v o u t , q u i , e n raison de son isolement, ne faisait rien d'utile.
Ses forces s'étaient affaiblies de plus de 100,000 hommes et il n'avait que peu de renforts à attendre.
D u côté des Alliés, les pertes produites par les combats , les fatigues et les maladies étaient aussi considérables que celles des armées françaises, mais elles étaient réparées par l'arrivée de
1 Dippoldiswalde et non Dippodiswalde comme ila été écrit à tort dans les pages précédentes.
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74 -
nombreuses réserves ; les Autrichiens et les Prussiens avaient achevé leurs préparatifs,et bientôt une nouvelle armée russe formée en Pologne allait arriver sur le théâtre des opérations.
Les chances de succès qui, à la reprise des hostilités, étaient trèssérieusespourNapoléon,s'étaientdoncfortamoindries.
Cependant l'insuccès de ses premières opérations n'avait pas détourné sa pensée de la direction de Berlin; il voulait toujours setransporterversleNord,et,danscebut,sanssonger à éva- cuer Dresde,ilavait décidé,le 12 septembre,c'est-à-dire le jour m ê m e de son retour dans cette capitale, que tous les services généraux de l'armée seraient établis à Torgau. Cette place est déclarée le dépôt central de l'armée,et le comte de Narbonne en estnommé gouverneur.Tous lescorps d'armée,saufle 13o,la cavalerie,l'artillerie etle génie doivent y avoir un dépôt;les régiments de marche ou bataillons provisoires qui y arriveront doivent y être fondus et reconstitués par corps d'armée, puis dirigés vers l'armée d'après des ordres qui seront donnés en temps utile. Le but de ces dispositions était de permettre à Napoléon de s'appuyer sur Torgau en se dirigeant vers le Nord . Son projet était alors de marcher avec la garde à la suite de Mar- montetderallierNey,débouchant de Torgau,pour se porter avec luicontre Bernadotte.
Mais pendant qu'il avait ramené la garde sur la gauche de l'Elbe,Blücher avait repris l'offensive contre Macdonald etl'avait rejeté de nouveau sur la Sprée. Bientôt même, en refoulant Poniatowski de Zittau sur Rimburg, il avait menacé la droite
du maréchal et celui-ci avait dû abandonner Bautzen pour se replier sur Harta. Cette circonstance arrête encore une fois le mouvement de Napoléon vers le Nord . Il voudrait cependant l i v r e r u n e g r a n d e b a t a i l l e , il l a c h e r c h e ; m a i s v o y a n t s e s a d v e r sairessedérobertouteslesfoisqu'ilveutlessaisir,ilresteincer- tainsurceluiqu'ilfautattaquer,etenfait,iln'attaquepersonne. Quant à abandonner l'Elbe,ily songe moins que jamais,ils'ap- plique au contraire à y rendre son installation plus solide en res- serrant sa position autour de Dresde.
Macdonald,obligéd'abandonnerlaSpree,futétablideStolpen à Radeberg ayant à sa droite Poniatowski qui avait dû se replier en même temps que lui;ilsprésentaient ensemble une force de 60,000 hommes vis-à-vis de Blücher; de l'autre côté de l'Elbe,

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aux défilés des montagnes ,se trouvaient toujours Saint-Cyr avec
les corps 1 et 14 et, plus à droite, Victor, de Dippoldiswalde à
Freyberg.C'étaitencore une force de plus de 50,000 hommes
chargée de surveiller les mouvements de l'armée de Bohême et de la contenir.
Entre les deux se tenaient, à Dresde et à Pirna, les 40,000
hommes de la garde prêts à soutenir l'un ou l'autre suivant les circonstances .
En outre, Napoléon, qui avait déjà des ponts sur l'Elbe à
Koenigstein, en fitjeter un autre à Pirna, de manière que, au
besoin, Saint-Cyr et Macdonald puissent s'appuyer mutuelle-
ment. Avec ces dispositions, il pouvait concentrer rapidement 120,000 hommes sur l'une ou l'autre rive de l'Elbe.
L'Empereur était ainsi résolu à attendre que l'un de ses adver saires vînt se mettre à sa portée pour tomber sur lui avec la masse principale de ses forces.
Dans cette situation, la question des subsistances était une grosse difficulté pour les troupes réunies autour de Dresde. Le
corps de Saint-Cyr souffrait du manque de vivres depuis plu- sieurs jours et le maréchal s'en était plaint à diverses reprises. Des approvisionnements considérables,venant de Hambourg par l'Elbe, se trouvaient à Torgau ;mais depuis la bataille de Denne- witz la voie fluviale n'était pas sûre.Afin de la protéger tout en reliant la position de Macdonald à celle de Ney , Napoléon , pour compléter les dispositions que nous venons d'indiquer, établit à Grossenhayn les 30,000 hommes de Marmont et de Latour- Maubourg,qui,enmême temps,couvraientlepont de Meissen. Ces précautions n'étaient pas inutiles,car ce ne fut que grâce à l'intervention d'une division de Latour-Maubourg, qu'un convoi partide Torgau etattaqué,le15,près de Strehla,par un déta- chementducorpsdeTauenzien,putcontinuersarouteetarriver à Dresde .
Les approvisionnements pouvaient encore parvenir à l'armée
par la route de Leipzig à Dresde , mais cette voie était devenue
encore moins sûre que celle de l'Elbe,par suite des nombreux
partisans qui avaient fait irruption dans tout le pays compris entre l'Elbe et la Saale.
Il y avait bien à Leipzig quelques milliers d'hommes compre- nant des détachements de toutes armes allant du Rhin à l'armée;

ils étaient formés en bataillons et escadrons de marche sous les
ordres du général Margaron ,mais étaient insuffisants pour s'op- poser aux partisans qui interceptaient les communications,enle- vant les convois et ramassant les isolés.Deux corps volants, no- tamment,sortisdeBohême opéraientavecsuccèsentrelaMulde et la Saale sous les ordres du colonel Mensdorf et du général saxon Thielman.Ils devaient être bientôt soutenus par un corps de cosaques sous les ordres du général Platoff.Pour en nettoyer le pays, Napoléon jugea nécessaire de diriger sur Leipzig le gé- néral Lefebvre-Desnouettes avec la division de cavalerie de la garde que ce général commandait.
Ce général devait de plus avoir provisoirement sous ses ordres
deux brigades de cavalerie de Latour-Maubourg,2,000 hommes
d'infanterie fournis par le général Margaron et la division de
cavalerie de Lorge,du 3o corps de cavalerie,qui faisait partie de l'armée du maréchal Ney.
Quant à cette armée , on a vu qu'à la suite de la défaite de
Dennewitz,elleétaitrevenuesurTorgauréduiteà32,000hommes
fort démoralisés.Napoléon jugeant convenable de la réorganiser
avait prescrit la dissolution du 12e corps qui, sous les ordres
d'Oudinot,comprenait deux divisions françaises et une division. bavaroise.
Les deux divisions françaises furent fondues en une seule qui fut commandée par le général Guilleminot et donnée au 7o corps.
On laissa aux Bavarois la mission d'escorter les parcs. Mais NeyeutdeplussoussesordresladivisionpolonaiseDombrowski, qui,aprèss'êtreorganiséeenWestphalie,s'étaitportéesurMag- debourg à la reprise des hostilités,puis à Wittenberg.Avec ces troupes comptant environ 36,000 hommes,Ney était chargé de surveiller l'Elbe au-dessous de Torgau et d'en disputer le pas- sage à l'armée du Nord aussi longtemps que possible.
Ainsi, à part le corps de Davout qui était toujours isolé sur le
bas Elbe et celui d'Augereau qui s'organisait à Wurtzbourg,Na-
poléon avait son armée de Dresde àTorgau et à Leipzig,répartie
en plusieurs masses s'appuyant les unes sur les autres et pouvant se soutenir mutuellement. 160,000 hommes autour de Dresde,
36,000 de Torgau à Wittenberg,30,000 à Grossenhayn,10,000 àLeipzig telleétaitlarépartitiondesforcesfrançaisesversle milieu de septembre.
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Tandis que Napoléon arrêtait à Dresde toutes ces dispositions, les Alliés ne restaient pas inactifs. Blücher, après avoir chassé Macdonald de Bautzen,sans pousser aucune attaque à fond,ne cessaitdeleharceler;enoutre,étanttoutprèsdel'Elbe,ilpou- vait communiquer avec l'armée de Bohème par le défilé de Schandau.
Celle-ci était maintenant réunie sur la rive gauche de l'Elbe.
Les Autrichiens qui,au commencement du mois,avaient passé sur la rive droite, pendant que Napoléon marchait contre Blü- cher,étaient revenus à Toeplitz.
Sûrs de leur appui,Wittgenstein et Kleist n'avaient pas hésité à se reporter en avant et,dès le 14,c'est-à-dire le surlendemain
du retour de Napoléon à Dresde,ils avaient attaqué Saint-Cyr et Lobau.
Napoléon avait prescrit d'élever des ouvrages de fortifications pour appuyer la défense,mais ces ouvrages n'étaient pas encore construits. Les 1er et 140 corps furent donc obligés encore une fois de reculer.
Napoléon ,instruit de ces événements le soir m ê m e ,partit pour Pirna le15 aumatin;c'estcejour-làqu'ilyfitjeterun pont.Son intentionétaitderefoulerde nouveau l'arméedeBohême,puis de repasser rapidement l'Elbe pour attaquer Blücher.
Avec ces idées,ilfaitpousser l'ennemi le15 de Gieshübel sur Peterswalde etle16 surKulm,tandisqueladroiterevenaitsur leGeyersberg.
Le jour suivant, Napoléon peut constater qu'il a plus de 120,000hommesdevantlui;ils'arrêteetmême déjàramènesa garde sur Pirna,mais de sa personne ilse montre encore vis-à- vis de l'armée de Bohême et il ne revient à Pirna que le 18, après avoir laissé des instructions précises au sujet de la retraite des corps 1 et 14, qui devra commencer le surlendemain, en défendantleterrainpiedàpied.
D a n s l e m ê m e t e m p s il p r e s c r i v a i t à A u g e r e a u d e s e p o r t e r d e Wurtzbourg sur la Saale (17) pour chasser les partisans et pro- téger les derrières de l'armée. A Pirna, Napoléon prépare son mouvement contre Blücher. Le 18 au matin la position de ses troupes sur la rive droite est la suivante : à droite, Poniatowski
est en arrière de Stolpen,couvrant le débouché de Pirna;les corps de Macdonald sont à Bischofswerda,Harta et Schmiedel-

feld;MarmontestàGrossenhayn.Vis-à-visdecesforcessetrouve l'armée de Silésie,qui s'étend de Camenz à Neustadt, se reliant par sa gauche au corps autrichien de Bubna qui occupe Hohens- tein et par sa droite à l'armée du Nord qui, à la suite de la ba- tailledeDennewitz,s'étaitétendueverslesudjusquàElsterwerda.
Dans l'après-midi du 18,Blücher pousse en avant de sa droite une nombreuse cavalerie,etMacdonald,craignantd'êtrecoupé de Dresde,croit nécessaire d'exécuter un nouveau mouvement rétro-
grade,il fait savoir qu'il pourrait être obligé de se retirer sur Weissig.
Cependant le 19 au matin , la jeune garde passe à Pirna sur la rive droite,se reliant à Poniatowski.C'est le commencement de l'offensive que Napoléon avait projetée contre l'armée de Silésie. Maisletemps,qui devintaffreuxdanscettejournéeetlelende- main,amena encore une fois l'Empereur à ajourner l'exécution de ses projets.Il se proposait de reprendre l'offensive le22,mais ayantreçu,le21,des dépêches de Ney quiluidisaitque Berna- dotte passait l'Elbe à Acken et à Roslau,ilfut amené encore une fois à changer ses dispositions.
Les renseignements de Ney étaient inexacts,l'armée de Berna- datte qui s'étendait sur une quarantaine de lieues des environs de Magdebourg jusqu'au delà de Torgau ,avait bien construit des ponts à Roslau et à Acken ,élevé des retranchements à l'embou- chure de la Mulde et jeté quelques partis sur la rive gauche ; mais aucune force sérieuse n'avait traversé le fleuve. Cependant les dépèches de Ney amenèrent Napoléon à transformer l'offensive qu'il avait projetée en une simple reconnaissance,dans le but de savoir si Blücher ne filaitpas par sa droite pour appuyer le mou- vement de Bernadotte.Cette reconnaissance eut lieu le 23 avec les troupes de Macdonald qui trouva encore devant lui toute l'ar- mée de Silésie,mais cette dernière ne devait plus y rester long- temps.
Le moment des grandes déterminations était venu chez les Alliés. Leurs succès répétés, l'impuissance véritable de Napo- léon,l'arrivée de nombreux renforts,le soulèvement de l'Alle- magne entre l'Elbe et le Rhin avaient singulièrement élevé leur situation matérielle et morale.Déjà très supérieurs en nombre à leursadversairesdepuisle1erseptembre,l'arrivéedel'arméede
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Pologne sous Benningsen allait encore augmenter leurs forces de 50,000 hommes.
Étant donné les procédés que leur adversaire employait contre
eux depuis quinze jours,ils auraient pu se proposer de le cerner dans Dresde.
Il est probable qu'ils n'auraient pas réussi et qu'en présence d'une pareille menace le lion se serait réveillé et qu'il aurait réussiàsefrayerunpassage soitparunerive,soitpar l'autre. C'eût été en tout cas un moyen de faire évacuer Dresde,car Na- poléon privé de vivres n'aurait pas pu y rester longtemps.Mais les Alliés avaient d'autres vues; décidés à une bataille décisive, ce n'était pas à Dresde qu'ils voulaient la livrer.Ilsn'avaient pas perdu de vue leur premier projet consistant à marcher sur Leip- zig.Depuis la bataille de Dennewitz,Bernadotte étaittellement supérieur aux forces qui lui étaient directement opposées qu'il ne pouvait pas manquer de réussir à passer l'Elbe entre Wittenberg etMagdebourg,pour s'avancerdu Nord sur Leipzig,tandis que
l'armée de Bohême débouchant par Chemnitz et Zwickau y mar- cherait de son côté.
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Cette armée,après avoir passé l'Oder aux environs de Breslau arriva le 13 septembre à Liegnitz et le 17 sur le Bober ;le 22 elle se trouvait entre Gorlitz et Zittau,de sorte que si Blücher eût été
attaqué ilaurait pu en être rapidement soutenu.
Les Alliés, pensant Napoléon suffisamment affaibli, étaient ré-
solus à en finir par une bataille générale et ils n'attendaient que
l'entrée en ligne de Benningsen pour entreprendre des opéra- tions décisives.
D'ailleurs,pour augmenter encore les chances de succès de cette opération, on voulait y faire concourir l'armée de Silésie. D'après les projets de l'état-major de Schwarzenberg,cette armée serait venue rejoindre l'armée de Bohême par le défilé de Zittau, et elle aurait été remplacée devant Dresde par Benningsen.On pense bien que Blücher ne demandait pas mieux que d'arriver à une bataille générale,et que l'idée de réunir presque toutes les forces de laCoalition à Leipzig,en menaçant les communications de Napoléon,était faite pour le séduire;mais illui convenait
peu de perdre son indépendance en marchant avec le généralis- sime.Ilfitobserverque l'arméeduNord,livréeàelle-même, n'était pas assez forte,que d'ailleurs Bernadotte manquait d'en-

train, et que si l'on voulait être sûr de le voir arriver sur Leipzig, ilfallaitluiadjoindrelui,Blücher,etqu'alorson seraitcertain de les voir tous les deux au rendez-vous ; que d'ailleurs, si l'ar- mée de Bohême elle-même avait besoin d'être renforcée, elle n'avait qu'à appeler à elle Benningsen,car dans une opération comme cellequel'onallaitentreprendre,où l'onallaitjouerson va-tout,ilfallaitavoir le plus de monde possible sur le théâtre principal de la bataille,et qu'il était absolument inutile de laisser une force importante sur la rive droite de l'Elbe.
Les propositions de Blücher furent admises par l'état-major des souverains,et pour les mettre à exécution,on décida que Ben- ningsen viendrait rejoindre l'armée de Bohême par le défilé de Zittau;que pendant que ce mouvement s'exécuterait,et pour le couvrir,Blücher resterait vis-à-vis de Dresde ;qu'ensuite il des- cendrait rapidement le fleuve pour le passer entre Torgau et Wittenberg, tandis que Bernadotte passerait au delà de cette place;qu'en même temps Schwarzenberg,appuyé par Benning- sen,déboucherait de Bohême en Saxe,que tout le monde mar- cherait sur Leipzig,et que, dès que l'on serait assez rapproché les uns des autres pour être sûr de s'appuyer mutuellement,on rechercherait Napoléon pour engager contre lui une bataille générale.
Tel est le plan qui fut adopté dans les conseils de la Coalition,
au milieu de septembre,et dont l'exécution commença sans tar-
der.Benningsen,venant de Silésie,pénétra dans les gorges de
Zittau,tandis que Blücher restait à Bautzen pour le couvrir.Il
déboucha à Leitmeritz,en Bohême,le26 septembre;aussitôt
Blücher,dont la présence vis-à-vis de Dresde n'était plus néces- saire,semiten mouvement verslebas Elbe,tandis que Schwar-
zenberg mettait son armée en marche de Toeplitz sur Commotau . Quant à Napoléon,il a renoncé à toute opération sur la rive d r o i t e ; s o n a t t e n t i o n e s t a t t i r é e s u r l e b a s E l b e ; il s a i t q u e B e r - nadotte n'a pas encore traversé le fleuve,mais Ney persiste à lui
signaler des préparatifs de passage.
L'Empereur resserre encore davantage sa position autour de
Dresde , en évacuant presque complètement la rive droite, et
attendant,pour prendre un parti,que les desseins de ses adver- saires se dévoilent.
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En somme,pendant cette période du 1er au 25 septembre,la situation de Napoléon,déjà précaire au lendemain de Kulm, n'avait fait qu'empirer.La défaite de Dennewitz n'avait été com- pensée par aucun succès ; ses allées et venues autour de Dresde n'avaient fait qu'user ses troupes sans amener aucun résultat.
LesAlliés,au contraire,ontfaittoutcequ'ilsvoulaient.Nom-
breux et confiants dans l'issue de la campagne , ils seront prêts à
affronter la lutte décisive,ils la préparent à leur gré.Mais leur
décision n'empêche pas leur prudence ; leur but est toujours de
ne s'engager à fond que lorsqu'ils seront réunis ; ils savent
qu'avec un adversaire comme Napoléon ils auront bien des diffi-
cultés à vaincre pour réussir,qu'il s'en faut que tout soit fini.
Et en effet,au 25 septembre ils n'en sont encore qu'au prélude
des dernières opérations de la campagne qui doivent aboutir à la bataille de Leipzig.
Les dispositions que prend Napoléon le 30 août au matin ,alors qu'il ne connaît pas toute la gravité de la défaite de Macdonald , et qu'au lieu de s'attendre au désastre de Kulm il compte que
le mouvement de Vandamme va précipiter la retraite de l'armée d e B o h ê m e , et la t r a n s f o r m e r e n d é r o u t e , s o n t s a n s a u c u n d o u t e fortbien conçues.Se croyant d'une part débarrassé pour un cer- tain temps de la principale armée des Alliés, pensant en m ê m e temps que Macdonald est en mesure de tenir tête à Blücher, ou tout au moins de se retirer devant lui,en défendant le terrain pied à pied,il était tout naturel de songer avant tout à opérer
vers le Nord en renforçant Oudinot,de manière à être en mesure de reprendre de ce côté une énergique offensive.
L'Empereur pouvait d'ailleurs se dire qu'alors même que Macdonald serait obligé de se retirer jusqu'à Dresde, il n'en résulterait aucun dommage sérieux , puisque la retraite de Schwarzenberg,qu'il supposait de plus en plus accentuée,nous rendait complètement maîtres du pays compris entre l'Elbe et
la Saale,et qu'en cas d'une nouvelle tentative de l'armée de Bohême,Vandamme,Saint-Cyr,Marmont etVictorseraientsuf- fisants pour la contenir tout le temps nécessaire.
Mais en apprenant coup sur coup la retraite précipitée et A.G. G
.
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2° Observations critiques.

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désordonnée de Macdonald,et le désastre de Vandamme ,Napo- léon fut nécessairement amené à modifier ses projets.
Au lieu d'avoir une sorte de sécurité dans deux directions sur
trois, il pouvait craindre maintenant une attaque sérieuse sur chacune d'elles.Voulant être prêt à résister à la première qui se présenterait, il choisit admirablement une position centrale à Hoyerswerda,d'oùilpouvait,suivantlescirconstances,secourir Macdonald en retraite de Gorlitz sur Bautzen en deux jours, dans le même temps revenir sur Dresde,si c'était nécessaire,ou encore marcher sur Luckau pour rallier l'armée d'Oudinot et se porter avec elle sur Berlin .
On ne peut donc que louer l'Empereur d'avoir pris le parti de réunir dans cette portion centrale : Marmont , la cavalerie de Latour-Maubourg et la garde, c'est-à-dire une masse de 70,000 hommes ,qui devait produire partout où elle se porterait une supériorité décisive.
Mais, après avoir désigné Ney pour remplacer Oudinot, il
semble qu'il n'était pas prudent de le diriger sur Baruth avant
de savoir si c'était lui que l'Empereur commencerait par ren- forcer.
Et,en effet,les nouvelles de plus en plus mauvaises qui arri- vaient de l'armée de Macdonald amenèrent Napoléon à l'appuyer de sa réserve.
Il est certain que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire; mais il semble que ce n'était pas une raison pour abandonner l'attaque que,de Hoyerswerda,on pouvait exécuter dans le flanc droit de Blücher,et qu'il n'était pas absolument nécessaire de porter tous les renforts droit sur Bautzen.L'arrivée de Napoléon et de deux divisions de jeune garde auraient suffi certainement à arrêter la retraite,et l'Empereur pouvait disposer du reste de ses renforts pour manoeuvrer par sa gauche,conformément à ses premières intentions.
E n outre, après avoir pris toutes les précautions pour cacher son départ de Dresde,il en perdit le bénéfice en faisant attaquer dès le milieu du 4 septembre,en avant de Bautzen,par la cava-
lerie de Murat, avant l'arrivée des renforts d'infanterie.C'était attirer l'attention de Blücher sur l'imminence d'un prochain re- tour offensif,avant d'être en mesure de l'exécuter.N'eût-il pas été préférable de rester plus longtemps à Dresde,de se montrer


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même sur la rive gauche de IElbe,etde ne partir pour Bautzen que 24 heures plus tard,en s'y faisant précéder par Murat.Alors on avait le moyen de prendre brusquement l'offensive le 5,à la pointe du jour,et malgré la résolution de Blücher d'éviter la bataille contre Napoléon,il ne lui eût peut-être pas été facile d'échapper à ses coups.Dans tous les cas,on avait le moyen de le suivre l'épée dans les reins,et de le rejeter en quelques jours au delà du Bober.
En agissant autrement,Napoléon a montré qu'il n'avait pas encorepénétréleprincipemême dusystèmed'opérationsqueles Alliés avaient adopté,et qu'il comptait plus sur la fougue de Blücher que sur sa prudence .
En constatant que ce dernier se dérobait, Napoléon dut éprouver une véritable déception.Mais,était-ce une raison pour renoncer à le suivre ? Puisque l'Empereur songeait toujours à
reprendre son mouvement sur Berlin,n'était-il pas convenable de commencer par rejeter Blücher jusque sur la Katzbach avant de marcher vers le Nord ?
Nous dirons,en outre,que sa résolution de ramener sa masse centrale à Dresde,dès qu'il apprit la nouvelle apparition de l'armée de Bohême aux débouchés des montagnes,est encore bien autrement regrettable.
Ilsembledoncque,danscettecirconstance,l'Empereurn'apas
tiré tout le parti possible des forces qu'il avait réunies sur la rive droite de l'Elbe,dans levoisinage de Bautzen.
S'il faut en croire Thiers,en revenant sur Dresde,Napoléon ne croyait guère à une nouvelle attaque sérieuse de l'armée de Bohème.Mais alors,quevient-ily faire?L'Empereur commen- çait à ce moment la série des hésitations,qui malheureusement devaient caractériser ses opérations pendant tout le mois de sep- tembre,etqu'ilestbiendifficiled'expliquerd'unemanièresatis- f a i s a n t e ; c a r il s e m b l e q u e , d a n s l e s c o n d i t i o n s o ù il s e t r o u v a i t , e û t -il é t é c e r t a i n d ' u n r e t o u r o f f e n s i f d e l ' a r m é e d e B o h ê m e , il
n'en était pas moins convenable de continuer ses opérations sur la rive droite de l'Elbe.Or,en mettant de l'habileté dans l'exé- c u t i o n , il e s t f o r t p r o b a b l e q u ' i l a u r a i t r é u s s i . L e m o u v e m e n t p a r lequel Blücher s'étaitdérobé,le4,devait suffireà éclairerNapo- léon sur les projets de son adversaire.Dès lors,ilnous semble qu'il convenait d'essayer de l'attirerà soi,en commençant par

reculer un peu,et en se tenant prèt à l'attaquer avec la dernière vigueur.On pouvait,par exemple,s'établir en avant de Bautzen, de Löbau à Weissenberg,en réunissant sur la gauche Marmont etunepartiedelagarde.On pouvaitmême engagerostensible- ment quelques troupes sur la route de Dresde, en les choisissant de préférence parmi les plus fatiguées de Macdonald,et en les tenant prêtes à faire demi-tour au premier signal.
Pendant que ces mouvements s'exécutaient,Napoléon pouvait revenir de sa personne à Dresde pour arrêter les dernières dis- positions à prendre de ce côté,et surtout pour s'y montrer.Dès qu'il était prévenu d'un nouveau retour offensif de Blücher,il partait de manière à l'attaquer le jour suivant,à la pointe du jour.Abordé par 100,000 hommes,Blücher était mené battant pendant plusieurs jours,rejeté au delà de la Katzbach,et Napo- léon pouvait ensuite rallier Ney pour opérer contre Bernadotte.
Si ce dernier acceptait la bataille sur la route de Berlin,il étaitsûrde laperdre;s'ilessayait de passer l'Elbe,entreWit- tenberg etMagdebourg,ceque,livréàlui-même,ilauraitsans douteévitéavecleplusgrand soin,Napoléon,utilisantlesponts de Wittenberg et de Torgau , pouvait l'atteindre sur la rive gauche avant qu'il ait réussi à joindre Schwarzenberg.
Mais pour conduire résolument de pareilles opérations,ilétait nécessaire de prévoir ce qui pouvait se passer du côté de Dresde,
et d'ètre bien fixé sur ce qu'il convenait de faire dans les diverses circonstances.
La conduite à tenir dépendait avant tout de l'état de la place de Dresde.Cette place,avec l'appui des corps 2 et 14,soutenus par le 1er qui s'y réorganisait,était-elle capable de résister pen dant une quinzaine de jours aux attaques de l'armée de Bohème ? Si oui,on pouvait prendre le parti d'y rester pendant que le grosdel'arméeopéreraitentrel'Elbeetl'Oder.Sinon,oumême s'il y avait seulement doute à ce sujet,on devait se résoudre à évacuer cette position.
Dès que Schwarzenberg serait devenu trop pressant,Saint-Cyr passait aussi sur la rive droite, détruisant les ponts et défendant le passage du fleuve.
Ilpouvait ensuite soit se relier à Macdonald,soit à Napoléon, enmarchantsurTorgau.L'Empereur pouvaitdonc,sansdanger, s'engager à fond contre Blücher et contre Bernadotte.C'était la
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seulemanièrederétablirsesaffaires.Au contraire,enabandon-
nantl'arméedeSilésiepourreveniràDresde,ilavaitpeud'avan-
tages à espérer,et,en effet,iln'exécute aucune opérationimpor- tante aux frontières de Bohême .
Il résiste aux sollicitations du maréchal Saint-Cyr, qui vou- drait l'entraîner en Bohême et, sur ce point, nous trouvons qu'il avait raison.Outre qu'il n'était rien moins que certain d'y gagner une grande bataille, un pareil mouvement l'aurait entraîné trop loin du théâtre d'opérations qu'il avait préparé.
Puis,après avoir battu successivement l'armée de Silésie et celledu Nord,ilpouvait revenir surl'armée de Bohême,soit parDresde,soitparTorgau.
Grâce aux ponts que nous avions seuls sur l'Elbe, il n'est pas admissible que Blücher ait pu revenir à temps pour appuyer Schwarzenberg,car ileût été fortement secoué et contenu,d'ail- leurs, par les forces que l'on aurait laissées devant lui. Nous. croyons donc que Napoléon , même après Kulm , pouvait encore se tirer d'affaire à la condition d'opérer rapidement et résolument.Ce qui s'est passé ne suffitpas pour soutenir le con- traire puisque,dans aucun cas,Napoléon n'a attaqué d'une ma- nière sérieuse et que, chaque fois,après avoir pris le contact d'un de ses adversaires, il l'abandonne sans lui avoir causé le moindre dommage.Dans tous les cas,ce qui est certain c'est qu'il n'y avait pas d'autre procédé à suivre pour pratiquer avec
succès le système des lignes intérieures.
Il est manifeste en effet que ,dans l'emploi de ce système d'opé-
rations, s'ilfaut éviter d'attaquer partout à la fois comme avait fait Napoléon pendant la première période des hostilités, non seulement on doit toujours attaquer quelque part, mais il est nécessaire de pousser ses attaques à fond ; ce n'est qu'à cette condition que l'on peut tirer profit des manœuvres que l'on exé- cute.Si,au contraire, on se contente de s'opposer aux diverses
attaques de l'ennemi sans l'affaiblir par une bataille,on ne fait que fatiguer ses propres troupes sans obtenir aucun résultat
Nous pensons donc que Napoléon avait de bons motifs de net pas chercher de ce côté un succès décisif;mais toutes les rai- sons qui devaient l'en éloigner devaient l'amener à pousser à
fond sur Blücher et à le refouler jusque sur l'Oder, pour se rabattre ensuite sur Berlin.

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utile.Or c'estjustement ce système de navettes sans résultat que Napoléon a commencé à pratiquer au début de septembre,et dans lequel il devait persister pendant plus de trois semaines, malgré l'avortement de toutes ses tentatives.
Aussi il n'y a qu'un seul événement important pendant cette période:c'estladéfaitedeNey à Dennewitz.Malgrélesfautes q u e l ' o n p e u t i m p u t e r à c e m a r é c h a l , il e s t c e r t a i n q u e N a p o l é o n est l'auteur principal de cette nouvelle défaite.
Il aurait dû éviter de lancer le prince de La Moskowa sans appui sur la route de Berlin,car ilne suffisait pas de le substi- substituer à Oudinot pour donner à l'armée française la supério- rité qui lui avait manqué à Grossbeeren.Napoléon savait bien que Ney,si brillant sur le champ de bataille,n'avait pas les qualités nécessaires à un chef d'armée.
Onpeutdire,ilestvrai,qu'ilavaitl'intentiond'appuyerNey; maisilauraitdû luiprescrireformellementde ne pasaccepter
la bataille avant l'arrivée des renforts qui lui étaient annoncés, tandis qu'il lui a donné rendez-vous sur un point où le maréchal ne pouvait arriver qu'après avoir déjà battu l'ennemi, et alors qu'ilavaitdéjàrenoncélui-même àyportersaréserve.
Cette défaite aggravait encore la situation, car Ney n'allait même plus être capable de contenir Bernadotte.Napoléon s'en rendait compte mieux que personne, cependant il reçut l'an- nonce de ce nouveau malheur avec leplusgrand calme,sans ré- criminer contre son lieutenant, se contentant de mettre en relief les fautes qu'ilavait commises sur lechamp de bataille par une critique aussi claire que juste et précise, mais sans le moindre mouvement d'humeur eten attribuant ces fautes aux difficultésde l'art de la guerre dont les principes, disait-il, étaient loin d'être connus.
C'est à Pirna,où il était rentré le 8 au soir, revenant des fron- tièresde Bohême,qu'ilput exposer sesobservations en présence d e M u r a t , d e B e r t h i e r e t d e S a i n t -C y r , e t b i e n t ô t é l a r g i s s a n t l e sujet,ce fut l'occasion de ce célèbre entretien sur les principes de l'artdelaguerre,quecedernierarapportédans sesMémoires, et où Napoléon se laissa aller à traiter le sujet avec une entière liberté d'esprit et à un point de vue purement théorique,comme sises propres intérêts n'étaientpas en jeu au moment même et n'avaient pas dépendu de l'application de ces principes.Napo-

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léon soutenaitque,s'ilen avaitle temps,ilferait un livredans lequel il démontrerait les principes d'une manière si précise
qu'ils seraient à la portée de tous les militaires, et qu'on pour- rait apprendre la guerre comme on apprend une science quel- conque. Murat et Berthier se contentaient d'écouter, et pour cause ;mais Saint-Cyr était de taille à soutenir la controverse.Il n'hésita donc pas à dire que,sans doute,la composition d'un tel livre était fort à désirer, mais que,pour lui, il avait toujours douté que quelqu'un pût faire un pareil travail, reconnaissant toutefois que, si c'était possible, aucun n'avait plus de droits que Napoléon à y prétendre. Il ajouta d'ailleurs qu'à son avis la pratique non plus n'était pas suffisante pour acquérir cette science;que,notamment,lesgénéraux de laRévolution,amis ou ennemis, n'avaient guère appris par l'expérience et que lui, Napoléon, en particulier, avait fait son chef-d'œuvre en 1796. L'Empereur reconnut que c'était vrai, ajoutant que parmi les grands capitaines,Turenne seul s'était perfectionné avec l'âge.
Pour nous qui cherchons surtout à nous rendre compte de la v a l e u r d e s p r i n c i p e s d e l ' a r t d e l a g u e r r e , il e s t c e r t a i n q u e r i e n n'est plus intéressant que cet échange d'idées entre deux mili- taires aussi expérimentés que les deux interlocuteurs.Il est en même temps curieux de voir qu'après vingt ans de guerre,ils soient arrivés à se faire des idées en apparence complètement opposées.
Mais,si l'on y réfléchit,on est amené à se dire que leur con- tradiction provenait de ce qu'ils ne parlaient pas de la m ê m e chose. Napoléon parlait des principes, Saint-Cyr de leur appli- cation;le premier de la conception des opérations,le second de
leur exécution et,dans le fait,ils avaient raison tous les deux, chacun à son point de vue.
Lesprincipesexistent,comme leprétendaitNapoléon,etdoi- vent servir de base à toutes les combinaisons ;mais leur applica- tion est difficile, et c'est ce qui exige les aptitudes naturelles auxquelles rien ne peut suppléer,comme le soutenait Saint-Cyr. Ils se seraient entendus s'ils avaient davantage creusé le sujet,
ou s'ils avaient eu un intermédiaire comme Jomini,qui n'était supérieur ni m ê m e égal à beaucoup près à l'un ni à l'autre comme général,mais qui avait réfléchi plus qu'aucun des deux sur la théorie de la guerre.Par ce temps de luttes incessantes on

n'avait pas le loisir de s'appesantir sur les doctrines ; chacun ne pouvait qu'utiliser pour le mieux les facultés qu'il avait reçues de la nature ou le fruit de son expérience.De sorte qu'à notre avis les opinions de Napoléon et de Saint-Cyr n'étaient opposées qu'en apparence. On peut ajouter que les événements qui se déroulaient au moment même auraient donné beau jeu à Saint- Cyr,si,après avoir rappelé la campagne de 1796,la bienséance lui avait permis de la comparer à celle de 1813. Il n'a sûrement pas manqué de faire cette comparaison en lui-même,mais il se serait d'autant mieux gardé d'y faire la moindre allusion que Napoléon dissertait avec autant d'affabilité que de naturel, se montrant,dit le maréchal,aussi calme que s'il s'était agi de la Chine, et cependant tout cela était dit à l'occasion de la défaite de Dennewitz.
Il faut admirer sans aucun doute cette élévation d'esprit de Napoléon; mais malheureusement, tandis qu'il jugeait d'une manière si lumineuse les opérations des autres, il ne paraissait pas disposé à rien faire pour échapper aux dangers dont lui- même étaitmenacé.
Aprèscomme avantDennewitz,ilvoulutappuyersesopéra- tions sur laplace de Dresde,et,ayant faitune nouvelle tentative i n f r u c t u e u s e c o n t r e l ' a r m é e d e B o h ê m e , il n e t r o u v a r i e n d e m i e u x à faire que de resserrer sa position autour de cette place. On doit reconnaître que la position d'observation qu'il prend au mi- lieu du mois de septembre était admirablement choisie,mais il est clair qu'il ne pouvait en tirer profit qu'à la condition d'être résolu à en sortir à bref délai pour se ruer avec toutes ses forces contre l'un de ses adversaires .
Au contraire,l'Empereur paraît disposé à rester indéfiniment dans cette position,se contentant de se montrer tantôt d'un côté, tantôt de l'autre,mais sans prononcer nulle part aucune attaque. sérieuse.I observe, il médite,il combine chaque jour de nou- veaux plans,mais n'en exécute aucun.
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O n est confondu en pensant qu'une pareille détermination ait. pu entrer un instant dans l'esprit de Napoléon.N'est-ce pas lui qui a écrit que la victoire est aux armées qui manœuvrent; que la force d'une armée est dans sa vitesse autant que dans sa masse. Et malgré les brillants succès que lui avait procurés tant de fois l'application de ces principes,le voilà amené à les renier. Il en

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était donc arrivé à croire que tout ce qui était interdit aux autres. lui était permis,et il ne pouvait entrer dans son esprit que ses adversaires aient pu profiter des leçons qu'il leur avait données. On comprend que l'impuissance des mouvements de navette qu'il exécutait depuis 15 jours l'en ait dégoûté ; mais ce n'était sûrement pas en se confinant dans une position fortifiée autour
de Dresde qu'il retrouverait la victoire.
Même aprèsDennewitz,nouscroyonsquelemieuxétaitencore
de prendre l'offensive sur la rive droite de l'Elbe, dans le but d'attaquer successivement l'armée de Silésie et l'armée du Nord ;
alors Ney, rejeté sur l'Elbe, aurait rejoint Napoléon marchant sur Berlin en débouchant de Torgau au moment voulu.
Mais cette opération était surtout opportune et m ê m e indis- pensable à la suite du dernier mouvement que Napoléon avait exécuté aux défilés de la Bohême du 15 au 17 septembre.Après
yêtrevenuàtroisreprises,iln'avaitpu qu'yconstatersonim- puissance.Ses forces s'épuisaient par ces allées et venues inu- tiles; il ne pouvait plus sortir de la situation dans laquelle il s'était mis qu'en prenant une résolution énergique.Dès ce mo- ment il est certain qu'il aurait dû songer à se rapprocher du Rhin ;mais ilpouvait lefaire en conservant d'abord une attitude offensive, et pour cela il suffisait de déboucher en masse de Dresde par la rive droite et de bousculer Blücher,ce qui était possible m ê m e en le supposant soutenu par l'armée de Pologne de Benningsen ;car Napoléon pouvait les attaquer avec plus de 130,000 hommes . Ce résultat obtenu, il convenait de pousser une cinquantaine de mille hommes sur l'Oder pour dégager les places de Glogau , de Custrin et de Stettin et en ramener les gar- nisons sur l'Elbe.En même temps on évacuait Dresde,mais en revanche on occupait Berlin, et toute l'armée française eût été réunie sur la rive droite de l'Elbe entre Torgau et Wittenberg , en mesure de continuer sur Magdebourg si c'eût été nécessaire ; m a i s il e s t b i e n p o s s i b l e q u ' e n n e v o y a n t d a n s l ' o p é r a t i o n q u e j e viens d'indiquer qu'une mesure de sécurité, on ait trouvé le
m o y e n d'obtenir de grands succès capables de rétablir complè tement nos affaires.L'opération n'était d'ailleurs pas exempte de difficultés,et ilest nécessaire de s'y arrêter pour voir com- ment ilétaitpossibledelessurmonter.
Napoléon débouchant de Dresde avec les corps de Macdonald

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renforcés de Marmont,de Poniatowski,de la garde et des 1er et 4e corps de cavalerie, laissait d'abord dans la capitale de la Saxe, Saint-Cyr avec les 1er et 14 corps et la cavalerie de Pajol .
En même temps Victor,resté depuis la bataille de Dresde aux environs de Freyberg,étaitrappelé à Meissen sur l'Elbe.Quand Blücher eut été refoulé au delà de Bautzen et de Gorlitz , Ponia-
towski reprenait sa position de Zittau pour relier Napoléon à Saint-Cyr par le sud,tandis que Victor,porté sur Hoyerswerda, assurait la m ê m e liaison par le nord de la route principale de l'armée. Napoléon,continuant son mouvement,rejetait ensuite Blücher au delà de la Katzbach .Une fois ce résultat obtenu ,Mac- donald,avecles5 et11ecorpsetlacavaleriedeSébastiani,était porté sur Glogau,puis sur Custrin pour dégager ces places eten recueillir les garnisons,ainsi que celle de Stettin; tandis que Napoléon,revenant sur Goerlitz avec la garde,laissait Marmont en observation vis-à-vis de Blücher , avec les 3e et 6e corps et la cavalerie de Latour-Maubourg,en lui prescrivant,en cas de né- cessité,de se replier dans la direction de Torgau.
Tous ces mouvements étaient faciles à exécuter, si l'on ne
considère que les forces que Napoléon pouvait rencontrer en
marchant,comme jeviensde ledire,de l'Elbesurl'Oder;mais
pour embrasser l'opération sous toutes ses faces et en apprécier
lesdifficultés,ilfautse demander ce qui pouvait se passer sur
l'Elbe pendant que Napoléon s'en éloignait. Il n'y aurait laissé
que Saint-Cyr avec 35,000 hommes à Dresde,Ney avec un pareil
nombre entre Torgau etWittenberg,pouvant être au besoin sou- tenus par Victor.
Or, ces forces avaient devant elles l'armée de Bohême et celle
du Nord, qui pouvaient les attaquer soit par la rive droite,soit par la rive gauche de l'Elbe.
Quatre cas étaient à considérer suivant que ces deux armées attaqueraientpar lamême rive(droiteou gauche)del'Elbeou par des rives différentes :
1o Si elles opéraient toutes les deux par la rive gauche,Saint- Cyr et Ney, passaient sur la rive droite, attiraient à eux les forces qui auraient pu être laissées en observation à Leipzig et
quiauraientcomprislecorpsdeMargaron,ladivisionde Dom- browski et la division de cavalerie Lorge,sous les ordres supé-

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r i e u r s d u d u c d e P a d o u e . P u i s S a i n t -C y r é v a c u e D r e s d e e t r a l l i e Ney en descendant l'Elbe.Leur réunion aurait formé une armée de 80,000 hommes que Victor et Poniatowski pouvaient porter à 110,000 hommes .Une pareille force était en mesure de tenir en échec l'armée de Bohème et celle du Nord,en attendant le retour de Napoléon , grâce à l'appui qu'elle pouvait trouver dans les places de Torgau et de Wittenberg.
20 Si Bernadotte opère seul sur la rive gauche, l'armée de Bohême passant sur la rive droite au-dessus de Dresde,de ma- nière à couper Napoléon de Saint Cyr,ce dernier débouche sur la rive gauche et rallie Ney et les troupes de Leipzig pour atta- quer l'armée du Nord ; après l'avoir battu ils reviennent par Wittenberg au-devant de Napoléon,qui ralliede son côté Ponia- towski et Victor.
3. Si les deux armées alliées opéraient d'une manière inverse,
c'est-à-dire Bernadotte par la rive droite et Schwarzenberg par
la rive gauche,ce qui était plus rapide en raison de leurs posi-
tions initiales,Saint-Cyr évacue Dresde en sortant par la rive
droite et rallie Ney et Victor pour livrer bataille à l'armée du
Nord ; ensuite la jonction avec Napoléon est facile sur la route de Berlin.
En somme ,ces trois éventualités ne présentaient pas de bien grandes dificultés, mais la quatrième pouvait être plus dange-
4o Bernadotte et Schwarzenberg opérant simultanément par
la rive droite de manière à se réunir entre Napoléon et l'Elbe,
Saint-Cyr et Ney ne sont pas assez forts pour empêcher ce mou-
v e m e n t , et s'ils v o u l a i e n t s e r é u n i r p o u r a t t a q u e r B e r n a d o t t e , ils
risqueraient d'être pris sans ressources entre les deux armées
ennemies. Dans ce cas, tandis que Ney harcèlera l'armée du
Nord en s'appuyant sur Torgau,Saint-Cyr,évacuant toujours
Dresde,descendra l'Elbe par la rive gauche,ralliera Ney et le
duc de Padoue à hauteur de Torgau,et tous ensemble débouche-
ront de Wittenberg pour marcher au-devant de Napoléon par
Berlin,en prenant leurs communications sur Magdebourg;pen-
dant ce temps l'Empereur, ayant rallié Poniatowski et Victor,
marche aussi sur Berlin en descendant l'Oder par la rive gauche avec toutes ses forces.
Ainsi,dans cette éventualité qui nous parait la plus redou-
reuse .

table,lesforcesfrançaises,aprèsavoirrecueillilesgarnisonsde l'Oder,sont encore en mesure de revenir toutes réunies sur
Magdebourg ; car dans tous les cas Marmont et Macdonald doi- vent se rallier à Napoléon sur la route de Berlin.
En résumant cette discussion,je dirai qu'en vue des éventua- lités possibles on devait arrêter les dispositions suivantes :
Si l'armée du Nord et l'armée de Bohême opéraient par des côtés différents de l'Elbe, Saint-Cyr et Ney se réunissaient pour attaquer la première en se dérobant à la seconde, puis mar- chaient au-devant de Napoléon.
Si les deux armées ennemies opèrent du m ê m e côté et que ce soit sur la rive gauche,on leur souhaite bon voyage et on se tient prêt à rallier Napoléon ; si c'est sur la rive droite, on des- cend la rive gauche et l'on va au-devant de Napoléon par Wit- tenberg et Berlin.
La condition essentielle de toutes ces manoeuvres était l'aban- don éventuel de Dresde,qu'il fallait être prêt à évacuer au pre- mier mouvement dangereux de l'armée de Bohème ,afin d'éviter d'y être bloqué.
J'ajouterai que,pour compléter les dispositions à prendre, Napoléon,renonçant à ses communications par Leipzig, devait attirer sur Magdebourg tous les renforts qu'il pouvait appeler à lui, et notamment la partie principale du corps de Davout et aussi celui d'Augereau ; de sorte qu'en se rapprochant de cette grande place il y aurait trouvé un renfort de 50,000 hommes .
Telle est,croyons-nous,la solution complète du problème que Napoléon avait à résoudre vers le milieu du mois de septembre pour se dégager de l'étreinte dont il était menacé, et pour se reporter sur le Rhin , tout en recueillant les garnisons qu'il avait laissées sur l'Oder, et qui, dans ces places dont il ne pouvait plus se rapprocher que momentanément,ne pouvaient plus lui être utiles.Or, nous pensons que les Coalisés n'étaient pas en mesure d'empêcher le succès de cette opération, parce que Napo- léon avaittous lespassages de l'Elbe etde l'Oder,etpar suite les moyens de se dérober en cas de besoin à des forces supérieures.
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Il convenait de se dire d'ailleurs que plus on attendrait,plus on aurait de difficultés à vaincre , en raison de l'accroissement inces- santdesforcesdelaCoalitionetdu soulèvementdel'Allemagne,

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tandis que nos ressources s'épuisaient de jour en jour ; mais nous croyons que,pendant lemois de septembre,Napoléon avait encore toutes les chances pour lui.
A la suite de l'opération que nous venons d'indiquer, il se serait retrouvé entre Berlin et Magdebourg à la tête de 300,000 hommes et l'on ne sait le parti qu'il aurait pu tirer d'une pareille situation.
Toutefois, comme l'Allemagne tout entière se soulevait der- rièrelui,nous sommes d'avis que tout en cherchant l'occasion d'une bataille avantageuse , il fallait surtout songer à se rappro-
cher du Rhin.Nous croyons qu'à ce moment des opérations,la campagne était perdue pour nous ; elle n'aurait pu tourner à notre avantage que pendant la première période si l'on avait évitéGrossbeeren,laKatzbachetKulm.
Aprèscesdéfaites,lemieux étaitderenonceràl'Allemagne; mais si,non contents de ce résultat,nos ennemis avaient voulu nous suivre sur leRhin,nous ne mettons pas en doute que Napo- léon, replié sur lui-même et ayant l'appui de la France, leur aurait fait payer cher leur audacieuse témérité .
Il suffisait pour cela que l'Empereur fût amené à faire quelques concessions en modérant ses exigences. Les difficultés qu'il venait de rencontrer depuis la reprise des hostilités auraient dû l'yconduires'ilavaitétécapabledequelquesagesse.
Malheureusement,ilétait encore loin d'entrer dans cette voie et il ne devait s'y engager que lorsqu'il n'aurait plus les moyens desoutenirsesdroits.Au milieu de septembre,ilétaitencore résolu à ne rien céder de ses exigences et,n'ayant pu obtenir de succèsdécisifscontresesennemis,s'iltenaitnéanmoinsàresterà Dresde,c'étaitsansdoutemoinsenraisondesavantagesmilitaires qu'il croyait trouver dans l'occupation de cette position,que pour affirmer sa puissance et défier, pour ainsi dire, ses adversaires en leur montrant qu'ils n'étaient pas capables de l'en chasser .
Il est d'ailleurs plus que probable que les Alliés,n'ayant pas encoreprisdécidément ledessus,s'ilsavaientvuNapoléondis- poséàrevenirsurleRhin,luiauraientfaitunpontd'or,etqu'ils lui auraient accordé une paix satisfaisant les aspirations légi- times de la France,en lui reconnaissant non seulement ses fron- tières naturelles du Rhin et des Alpes, mais même quelques beaux apanages en Italie et en Allemagne .

Il subissait la domination de sa nature intraitable et était ainsi amené à commettre une faute militaire capitale.
Cette manière de procéder convenait surtout,en 1813,vis-à-vis de la résolution des Alliés de se dérober à Napoléon lui-m ê m e et d'attaquer ses lieutenants; le mieux était de riposter par les moyens inverses en prescrivant aux maréchaux de céder là où l'Empereurn'étaitpas,tandisqu'ilprononcerait une vigoureuse offensive avec sa masse principale. Dans de telles conditions,
c'était un grand avantage que d'avoir des communications sûres
et faciles,permettant de se dérober aux uns pour réunir rapide- ment contre d'autres des forces considérables,
Or,il est certain que Napoléon, en s'établissant sur l'Elbe, étaitbienpénétréde cetavantage.
Comme nousl'avonsfaitremarquer,non seulement ce fleuve était une base d'opérations où il avait réuni tous les moyens de vivre et de combattre ; mais grâce aux places fortes qu'il possé- d a i t t o u t e s , il p o u v a i t a i s é m e n t p a s s e r d ' u n e r i v e à l ' a u t r e . T o r - gau,Wittenberg,Magdebourg étaient des positions dont la pos- session lui était précieuse à ce double point de vue.
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Mais en abordant lerôlede Dresde dans cettecampagne,nous touchons au point délicat des opérations de Napoléon,à celui sur lequel ils'est trompé d'une manière assez grave pour que toutes sesmanœuvres enfussentfrappéesd'impuissance.Celatientàce quelerôledeDresde,telqueNapoléonl'avaitcompris,se trou- vait relié intimement à la pratique du système d'opérations par lignes intérieures qu'il voulait suivre.Ilfaut remarquer,en effet, que ce système d'opérations repose avant tout sur une grande mobilité.Ainsi que je l'ai déjà dit, s'il est nécessaire de n'atta- quer que sur un seul point à la fois,ilne l'est pas moins,sur la direction que l'on a choisie, de pousser son attaque à fond, et pour que le succès que l'on peut en attendre ne soit compensé par aucune défaite, il faut, dans les autres directions, être prèt à céder le terrain .
Afin de donner à ses opérations toute l'ampleur qu'il proje- tait,Napoléon jugea que ces trois places étaient insuffisantes,et ilvoulut créer aux deux extrémités de son échiquier stratégique, à D r e s d e et à H a m b o u r g , d e u x n o u v e l l e s p o s i t i o n s fortifiées . M a i s il est clair qu'en raison m ê m e de leur improvisation ces places ne

pouvaientposséderlespropriétésdes ouvrages permanents.La propriété principale de la fortification permanente est de per- mettredetenirunepositionimportanteavecpeudemonde;plus elle est forte,moins elle exige de troupes pour être défendue et i n v e r s e m e n t . Il e n r é s u l t e q u e , t a n d i s q u e N a p o l é o n p o u v a i t t e n i r M a g d e b o u r g e t T o r g a u a v e c d e s g a r n i s o n s r e s t r e i n t e s , il n e p o u - vait garder Dresde et Hambourg qu'avec de gros corps d'armée.
Et encore n'était-il pas sûr que cela fût suffisant; car c'est la crainte de voir Dresde enlevé à Saint-Cyr à la fin d'août qui une
premièrefoisl'avaitempêchéderejeterBlücherjusquesurl'Oder et d'exécuter sa manœuvre par Koenigstein, et c'est la même
inquiétude qui,le 5 septembre,l'empêchait de donner suite à son projet d'opération sur la rive droite de l'Elbe.De sorte qu'en s'attachant à conserver Dresde à tout prix, mais sans pousser aucune attaque sérieuse, non seulement il ne tirait aucun avan- tage de cette position,mais c'étaitla cause même de son impuis- sance.De plus,devant sa résistance presque passive, ses adver- saires auraient pu se proposer de le cerner. C'est sans doute ce qui serait arrivé avec tout autre général qui aurait pris une sem- blable attitude, car depuis la bataille de Dennewitz la moitié de l'armée de Bernadotte suffisait pour couvrir Berlin et, par l'ar- rivée de Benningsen, les Alliés auraient pu réunir 300,000 hommes autour de Dresde et y trouver la solution qu'ils ont recherchée à Leipzig.
Sans compter que l'armée enveloppante,touten avançant,peut se fortifier de manière à permettre aux corps attaqués de résister en attendant l'appui des corps voisins.L'avantage de posséder un pont à Dresde n'aurait pas suffi à compenser ces inconvénients,car lesAlliésenauraienteuégalementenamontetenavaldelaplace.
Dans ces conditions,iln'y aurait donc eu qu'une mesure de salut,c'étaitde sefairejour avant que l'investissement fût ter-
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Quant aux lignes intérieures, elles n'ont plus rien à faire dans
de pareilles circonstances, ou plutôt elles perdent tous leurs avantages pour ne présenter que des inconvénients. Comme
M.deMoltkedevaitl'expliquerplustard,pour entirerparti,il faut que l'armée qui s'en sert ait de l'espace devant elle, de manière à battre une fraction de l'ennemi avant l'arrivée du
reste;tandis qu'une fois investi, on est à peu près sûr de les avoir toutes ensemble sur les bras.

miné;carl'insuffisancedesvivres ne permettait pas d'y rester longtemps,etc'étaitassurémentunegravefautequedeselaisser acculer à une pareille nécessité.Autrement Napoléon aurait pu être cerné comme Frédéric à Bunzelwitz, avec cette différence que le roi de Prusse ne l'avait pas fait exprès et qu'il ne s'était retiré dans ce camp que pour éviter un désastre,tandis que rien neforçaitNapoléon à rester à Dresde,si ce n'est son orgueil indomptable.Mais au point de vue purement militaire, il com-
mettait une faute capitale.
A cette époque,la théorie des pivots stratégiques,dont l'appli-
cation nous a été sifuneste en 1870,n'étaitpas encore faite. Cen'estqueplustardquelegénéralRogniatdevaitluidonner naissance et que le général Brialmont l'a complétée et perfec-
tionnée avec tant de complaisance.Napoléon a réfuté lui-même les théories du général Rogniat.
« Ce système de fortification,dit-il,semble tracé par un offi- cier de hussards.» Et plus loin :« Ce serait un mauvais parti que de s'enfermer dans un camp retranché sur les derrières de l'envahisseur; on courrait risque d'y être forcé ou d'y être au moins bloqué et réduit à se faire jour l'épée à la main pour se procurer du pain et des vivres ».
M a i s q u a n d N a p o l é o n é c r i v i t c e s l i g n e s il é t a i t à S a i n t e -H é l è n e , bien revenu de ses idées de domination européenne et affranchi d e s e s p a s s i o n s p o l i t i q u e s ; il j u g e a i t e n v é r i t a b l e h o m m e d e guerre.Sans doute ilse rendait compte de l'influencefuneste qu'avait eue la place de Dresde en 1813,car ce qu'il proscrivait par les lignes que nous venons de citer,c'étaitjustement ce qu'il avaitfaitlui-même.Maiscequine manque pasd'originalitéc'est que d'autres n'ayant pas analysé les causes de la défaite de l'ar- mée française,ont trouvé dans ces événements lajustificationde lathéoriedespivotsstratégiques,etc'estnotamment cequ'aes- sayé de faire le général Brialmont dans un de ses derniers ou- vrages 1.
1VoirLesRégionsfortifiées,p.14etsuivantes.
J'ai déjà dit plusieurs fois dans mes écrits que la théorie des pivots straté- giquesétait,àmonavis,laplusgrandeerreurmilitairedestempsmodernes; aussi ai-je pris le parti de ne jamais manquer une occasion de la combattre.
C'est pour cela que j'ai publié il y a un peu plus de deux ans la brochure intitulée Fallait-ilquitterMetzen1870?etc'estpourcelaégalementque
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« L'utilité des places à camp retranché,dit-il, ressort claire- ment du rôle que joua Dresde dans la campagne d'automne de 1813. C o m m e cette place renfermait d'énormes approvisionne- ments et qu'elle occupait un point stratégique d'une grande im- portance, Napoléon ordonna de la mettre en état de défense. Grâce à cette place improvisée, il put opérer avec des forces notablement inférieures à celles de l'ennemi,contre trois armées commandées par Bernadotte,Blücher et Schwarzenberg ».
Pour répondre à ces observations je dirai d'abord que l'impor- tance de la position de Dresde provenait surtout du rôle que Napoléon lui avait assigné,en raison des opérations qu'il vou- laitentreprendre,mais qu'en somme ellen'était pas absolument indispensableàlaconduitedelaguerre.Sansdouteilétaitdési- rable de l'occuper afin de surveiller les débouchés de la Bohême, d'avoir près de ces débouchés un passage assuré sur l'Elbe et de pouvoir y réunir des approvisionnements et des hôpitaux .
Mais pour remplir ce rôle,un camp retranché n'était pas né- c e s s a i r e , il a u r a i t f a l l u u n e b o n n e p l a c e c a p a b l e d e r é s i s t e r à u n e attaque sérieuse et de dimension restreinte.
Les camps retranchés destinés à appuyer les armées d'une manière prolongée sont toujours mauvais,alors même qu'ils sont organisés au moyen de la fortification permanente,car ilarrive presque toujours qu'au lieu de faciliter les mouvements des ar-
mées ils ne servent qu'à les immobiliser. Mais ils sont surtout
dangereux lorsqu'ils sont formés d'ouvrages du moment ,parce qu'alors non seulement les armées sont tentées d'y rester,mais
de plus on ne peut conserver la position qu'à la condition d'y laisser des forces considérables.
En 1813,Napoléon ne pouvant faire de Dresde une véritable place forte,n'aurait pas dû chercher à s'y attacher d'une manière prolongée; ilaurait dû être toujours prêt à l'évacuer dès que la tournure des événements l'amenait à porter dans une autre région ses principales opérations.Son erreur a été de vouloir conserver cette position malgré tout et alors m ê m e qu'il n'en tirait plus aucunservice,etc'étaitlecasaumilieudu moisdeseptembre, car non seulement elle ne lui a plus été d'aucune utilité pour pro-
j'ai cru utile d'étudier le rôle de Dresde en 1813 avec tous les développements nécessaires.
A.G. 7
97

Il faut remarquer d'ailleurs que Napoléon en organisant les
défenses de Dresde n'avait pas au début l'intention d'en faire un
pivot stratégique.Dans une note du 28 juin,après avoir exposé comment ilentend l'organisationde cesouvrages,ilajoute:
<«< Tout cela fini, il paraît évident qu'on pourrait regarder Dresde comme une place forte,non pas en abandonnant l'Elbe,
mais tant que l'armée serait en avant de ce fleuve. Il n'y aurait ni troupes légères,ni corps de cavalerie,ni partis ennemis qui pourraient forcer ces fortifications.J'aurais alors une place pour recevoir les dépôts, les hôpitaux,les magasins,les voitures de toute espèce » .
Il est certain que dans ces limites Dresde ne pouvait rendre que de grands services;malheureusement,Napoléon s'est laissé aller à lui en demander bien d'autres qu'elle ne pouvait pas lui rendre.
Cependant,d'aprèslegénéralBrialmont,lapositiondeDresde auraitpermisàNapoléondelutterlongtempscontredesforcessu- périeures.Maisquelaétélecaractèreetlerésultatdecesopéra- tions? L'impuissance et l'épuisement de l'armée française,même avant qu'elle ait livré la bataille décisive.D'ailleurs,les observa- tions de M. Brialmont à ce sujet reposent sur des données pas- sablement inexactes. En n'attribuant à Napoléon que 330,000 h o m m e s il lui fait tort d'au moins 50,000 h o m m e s . Je sais qu'il y a plusieurs manières d'évaluer les forces d'une armée suivant que l'on compte l'effectif total ou seulement les présents. Le chiffre de 425,000 hommes donné par Camille Rousset et qui diffère peu des états de situation de Berthier, est sans doute supérieur à la réalité.Thiers dit 387,000.
L'important est d'apprécier les armées en présence en se met- tant au m ê m e point de vue et en cherchant seulement l'exactitude à quelques millehommes près.D'après laplupart des écrivains, on peut admettre en chiffre rond que Napoléon avait 400,000 hommes contre500,000hommes,etcen'étaitpasunedispropor- tion effrayante.Frédéric a conduit la guerre de Sept ans sur le m ê m e théâtre d'opérations dans des conditions d'infériorité bien
a u t r e m e n t s e n s i b l e s a u p o i n t d e v u e n u m é r i q u e . Il n e s e m b l e d o n e
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noncer une offensive sérieuse, soit sur une rive, soit sur l'autre
de l'Elbe, mais il n'y avait m ê m e plus les subsistances nécessaires à la nourriture de son armée.

pas que la possession de Dresde ait rendu à Napoléon de réels services et, en constatant les résultats, on est conduit à penser, au contraire, qu'il aurait mieux fait de chercher d'autres appuis. Le général Brialmont compare encore le rôle de Dresde, en1813, à Vérone en 1796. Il oublie sans doute que Napoléon leur a demandé des services opposés. En Italie, il n'a pas manqué, en effet, d'évacuer Vérone à la première attaque de Wurmser et cela fut la condition de la victoire de Castiglione; tandis qu'en s'attachant à Dresde et en y laissant jusqu'à la fin 30,000 hommes, il a été conduit à Leipzig. Si ensuite, en 1796, Napoléon a conservé Vérone, c'est qu'il n'était plus menacé sur ses derrières; au moment d'Arcole et de Rivoli , il luttait en avant de la place et, dès lors, il n'avait plus aucune raison de l'évacuer. Dans ces conditions, non seulement la place n'eût pas été un danger, mais elle pouvait rendre de réels services à la condition toutefois de n'en pas faire un pivot stratégique, c'est-à-dire de ne pas s'y attacher avec des forces importantes; autrement, malgré la valeur de la fortification, elle aurait été aussi nuisible qu'avec celle qui existait.

Voilà à quelle conclusion conduit l'étude de la campagne de 1813 et si en France on avait approfondi les causes de la défaite de l'armée française, on n'aurait pas laissé s'introduire dans notre pays les doctrines qui nous ont été si funestes en 1870. Car, après tout, le rôle qu'a demandé Bazaine à Metz,en 1870, a bien des rapports avec celui que Napoléon voulait faire jouer à Dresde en 1813 ; et quand on se rappelle les résultats de la campagne de Saxe, on n'a pas besoin d'avoir recours à la trahison pour expliquer la ruine de l'armée du Rhin. Elle a capitulé comme avait fait Kléber à Mayence, Masséna à Gênes, Saint- Cyr à Dresde et comme aurait pu faire autour de cette place le gros de l'armée française si elle eût eu à sa tête un chef de moins de prestige que Napoléon, et que les Alliés l'y eussent attaqué au lieu d'aller chercher la décision dans les plaines de Leipzig.

En assignant à Dresde, place improvisée, un rôle dont les places permanentes sont seules capables, Napoléon avait donc trouvé le moyen de paralyser toutes ses opérations. En voulant conserver cette position malgré l'imperfection de ses défenses, il s'était attaché un boulet qui lui ôtait la liberté de mouvement indispensable à ses manoeuvres .Craignant toujours d'être rappelé à Dresde, il n'avait exécuté aucune attaque sérieuse capable de l'en éloigner.

99 -
Le rôle de Dresde, en 1813, loin d'être un appui pour la théorie des pivots stratégiques, en est, au contraire, la condamnation formelle . Cela n'empêche pas l'utilité des places fortes, et les inconvénients de Dresde auraient disparu si, au lieu d'ouvrages imprévus, on y avait eu des ouvrages permanents.

100
Or, Napoléon ne semble pas avoir été convaincu que l'insuccès de toutes ses manoeuvres provenait de ce qu'aucune d'elles n'avait été poussée à fond; autrement, il aurait compris rapidement que le vice fondamental de sa situation résidait dans le rôle qu'il avait attribué à Dresde, et qu'en s'y attachant, il perdait tout le bénéfice de l'emploi des lignes intérieures. Au lieu de battre successivement les armées qui lui étaient opposées en accentuant leur séparation, il les laissait manoeuvrer à leur gré et combiner leurs opérations avec d'autant plus de sécurité qu'elles se rapprochaient davantage l'une de l'autre. En outre, en leur laissant l'initiative de tous leurs mouvements, il élevait leur moral en développant chez eux cette idée que ce n'était plus lui qui conduisait la guerre, mais qu'il était obligé de la subir comme eux-mêmes voulaient la faire. Ainsi pénétrés de leur supériorité, sachant jusqu'à quel point Napoléon s'était affaibli depuis un mois, ils en étaient arrivés à ne plus redouter une bataille générale et même à la rechercher.

L'entrée en ligne de l'armée que Benningsen amenait de la Pologne les conduisit à entreprendre des opérations décisives en prenant pour objectif Leipzig sur les derrières de Napoléon. L'Empereur, de son côté, était loin de vouloir éviter la lutte ; depuis plus de 15 jours, il sentait bien qu'une grande bataille était la seule manière de rétablir ses affaires, mais il avait laissé échapper toutes les bonnes occasions. Du 20 au 25, il était encore temps de se jeter sur l'armée de Silésie ; ce qui est inconcevable, c'est qu'après avoir acquis, par la reconnaissance du 23, lacertitude que Blücher était toujours sur la rive droite, vis-à-vis de Dresde, au lieu d'attaquer il ne trouva rien de mieux à faire que de resserrer encore davantage sa position autour de Dresde, en faisant passer la plus grande partie de ses troupes sur la rive gauche de l'Elbe.

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Il semble que, pour prendre cette résolution, il n'était pas nécessaire de reconnaître la présence de Blücher sur la rive droite, car si l'on eût constaté son absence ce n'eût été qu'une raison de plus de passer de l'autre côté.Au contraire, en
le trouvant toujours devant soi, il était encore temps de l'attaquer avec des forces considérables et de le bousculer dans des conditions qui auraient suffi à rétablir nos affaires.

On se demande quel avantage Napoléon pouvait attendre de sa persévérante inaction. Plus on y pense, moins on trouve l'explication d'une pareille détermination , car c'est la contradiction de tous les principes qu'il avait appliqués dans la première partie de sa carrière militaire, et qu'il devait développer avec tant de force plus tard. L'activité, les résolutions énergiques étaient maintenant du côté de l'ennemi .Et deux jours après que Napoléon avait reconnu la position de Blücher, celui-ci la quittait sans être vu pour descendre l'Elbe, pendant que l'armée de Bohême s'engageait sur les routes qui conduisent à Leipzig par Commotau et Carlsbad. La seconde période de la campagne était terminée, et on est bien obligé de convenir que l'on est loin d'y retrouver le Napoléon d'Austerlitz, d'Iéna, de Friedland. Tandis que dans la période précédente la brillante victoire de Dresde avait été compensée par les défaites de Grossbeeren, de la Katzbach et de Kulm, cette fois toutes les opérations sont à l'avantage des adversaires de Napoléon.

A part Dennewitz, il n'a pas perdu de grande bataille, mais il n'a obtenu aucun résultat si ce n'est celui de l'affaiblissement matériel et moral de son armée. Voilà où l'avait conduit l'adoption d'un plan de campagne juste dans son idée générale, mais qui fut vicié dans son application par une erreur grave au sujet du rôle de Dresde. Car on peut dire que, jusqu'au dernier moment, Napoléon avait le moyen d'obtenir encore de brillants succès, à la condition de consentir à l'abandon au moins éventuel de cette position. Qu'on suppose, en effet, qu'à la suite de sa reconnaissance contre Blücher et après avoir reconnu sa présence, il ait pris le parti de l'attaquer ; ayant fait ses préparatifs le 23, il pouvait déboucher le 24 avec l'armée de Macdonald soutenu de Marmont, de la garde et d'une nombreuse cavalerie. La défaite de Blücher n'était pas douteuse et les troupes fran-

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La défaite de Blücher n'était pas douteuse et les troupes françaises ayant tout leur élan pouvaient pousser leur adversaire au loin l'épée dans les reins. Et alors que serait devenu Schwar-zenberg en route pour Leipzig ? Quant à Bernadotte il est plus que probable qu'il eût évité de s'y engager. Le 24 septembre, Napoléon avait donc encore le moyen de profiter de la séparation de ses ennemis pour les battre l'un après l'autre. Il suffisait pour cela de se rappeler comment avaient été obtenus jadis les triomphes de Castiglione et de Rivoli, tandis que Napoléon a semblé poussé, par une tournure d'esprit difficile à expliquer, à renier les principes qui lui avaient donné tant de victoires. Il continue à combiner et à observer, mais ne fait rien qui soit capable de troubler les projets de ses ennemis .

Nous ne sommes plus au temps de Marengo et d'Austerlitz. Ce n'est plus Napoléon qui choisit son champ de bataille.
Il ira là où ses ennemis ont résolu de l'amener ; quant à eux, ils y arriveront en marchant sur ses communications, comme lui-même faisait jadis à Marengo, à Ulm et à Iéna. Il y a toutefois une différence essentielle, c'est que Napoléon, pour se porter sur les communications de ses adversaires en 1800,1805 et 1806, ne les tournait que d'un seul côté, avec toutes ses forces bien liées ensemble, tandis qu'en 1813 les Alliés marchèrent sur Leipzig avec deux masses d'abord distantes de cinquante lieues. Avec ces procédés, ils visaient non seulement les communications de l'ennemi, mais aussi son enveloppement. En revanche, ils laissaient à Napoléon une dernière chance, c'était d'atteindre une de leurs masses avant sa jonction avec l'autre et de réussir à les battre successivement. Mais c'est son dernier atout; de lui seul il peut espérer encore le gain de la partie, car s'il laisse ses adversaires se réunir, l'issue de la lutte n'est pas douteuse. Avec 150,000 hommes de moins, un moral qui s'affaiblit tandis que celui des Alliés est exalté, la partie sera perdue, sinon le premier jour de la lutte, du moins le second.

C'est le 25 septembre que Blücher commence le mouvement qui doit le porter des abords de Dresde aux environs de Wittenberg où il se propose de passer l'Elbe. Pour dissimuler son départ, il laisse vis-à-vis de Dresde le corps russe de Tcherbatow et le corps autrichien de Bubna, forts ensemble de 18,000 hommes, et fait attaquer les avant-postes de Macdonald et de Marmont par Sacken qui formait sa droite, tandis que York, Langeron et Saint-Priest passent derrière pour descendre l'Elster noir; Sacken doit les rejoindre les jours suivants. De son côté Bernadotte se disposait à replier sa gauche, qui depuis quelque temps s'étendait jusqu'au delà de Torgau, et à passer le fleuve avec le gros de ses forces à Roslau et à Acken, tout en serrant de près la place de Wittenberg par la rive droite.

En même temps l'armée de Bohême, remplacée sur les routes de Toeplitz à Dresde par Benningsen, descend l'Eger, dans le but de se diriger ensuite sur Leipzig par les deux routes de Commotau à Chemnitz et de Carlsbad à Zwickau. Pendant plusieurs jours ces mouvements restèrent ignorés de Napoléon. Du côté de Blücher les résultats de la reconnaissance du 23 lui avaient laissé la conviction que l'armée de Silésie était encore devant Dresde pour un certain temps ,et d'autre part les engagements fréquents que Lefebvre-Desnoëttes avait sur les routes de la Bohême, ne l'avaient pas complètement renseigné sur ce qui se trouvait derrière les partisans que ce général avait à combattre.Toutefois,les dépêches de Ney avaient attiré son attention sur le bas Elbe, et en même temps l'inaction de l'armée de Bohême aux défilés de Peterswalde et de Dippoldiswalde, l'avaient amené à supposer que cette armée devait marcher par sa gauche dans la direction de la Saale. Aussi,au moment même où ses adversaires commençaient leurs mouvements, ayant renoncé lui-même à toute opération sérieuse sur la rive droite de l'Elbe, il avait rappelé le gros de ses troupes sur la rive gauche. De l'autre côté il ne laisse plus que Macdonald avec le 11e corps et la cavalerie de Sébastiani (2e corps). Les corps de Souham (3e) et de Lauriston (5e) sont ramenés sur Dresde, celui de Poniatowski est envoyé sur Waldheim pour appuyer au besoin Victor ainsi que Lefebvre-Desnoëttes. Le duc de Padoue avec une partie de sa cavalerie et la division Dombrowski est dirigé sur Leipzig pour prendre le commandement de toutes les forces réunies entre la Mulde et la Saale, qui comprenaient déjà, outre la cavalerie de Lefebvre, un certain nombre de bataillons et escadrons de marche d'une force d'environ 8,000 hommes, sous le général Margaron.

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IV. Du 25 septembre au 15 octobre.

1° Précis des opérations.

adversaires commençaient leurs mouvements,ayant renoncé lui- même àtouteopérationsérieusesurlarivedroitedel'Elbe,il avait rappelé le gros de ses troupes sur la rive gauche . De l'autre côté il ne laisse plus que Macdonald avec le 11o corps et la cava- lerie de Sébastiani (2o corps).Les corps de Souham (3o)etde Lauriston (5 ) sont ramenés sur Dresde,celui de Poniatowski est envoyé sur Waldheim pour appuyer au besoin Victor ainsi que Lefebvre-Desnoëttes. Le duc de Padoue avec une partie de sa cavalerie et la division Dombrowski est dirigé sur Leipzig pour prendre le commandement de toutes les forces réunies entre la Mulde et la Saale,qui comprenaient déjà,outre la cavalerie de Lefebvre,un certain nombre de bataillons et escadrons de marche d'une force d'environ 8,000 hommes, sous le général Margaron .
Une autre division de 10,000 hommes de toutes armes,venant d'Erfurt,sous le général Lefol,devait y arriver incessamment.
E n f i n , il a p p e l a e n c o r e s u r L e i p z i g A u g e r e a u , à q u i il a v a i t donné l'ordre le 17 septembre de se porter de Wurzbourg sur la Saale avec la division Semelé et une division de dragons arri- vant d'Espagne,présentant ensemble une force de 12,000 hom- mes .Augereau marchant par le défilé de Kösen et Lutzen,devait arriver vers le 10 octobre sur l'Elster.
Quant à Marmont et à Latour-Maubourg ils sont rappelés éga-
lement le25sur Meissenetmême continuent,le26 etle27,sur
W u r t z e n , d ' o ù ils s e r o n t e n m e s u r e d ' a p p u y e r N e y s u r T o r g a u o u le duc de Padoue sur Leipzig.
Bientôtlesmouvements de l'arméede Bohême sedessinentplus
nettement.Lefebvre-Desnoëttesqui,lesjours précédents,avait
nettoyé le pays de la Mulde à la Saale en refoulant les partisans de Thielman et du colonel Mensdorf,fut attaqué à son tour le 26
à Altenburg par des forces supérieures.Ces forces comprenaient la cavalerie de Platow qui arrivait par Chemnitz , soutenue par l'infanterie autrichienne de Klenau. Ils avaient assailli Lefebvre de front,tandis que Thielmann revenant de la Saale le prenait par
derrière, et la cavalerie française avait dû se retirer sur Weis- senfels après avoir subi des pertes sérieuses.
On nesavaitpasaujustecequ'ilyavaitderrièrePlatow,mais son succès menaçait de nouveau les communications de l'armée par Leipzig.Dès que Napoléon en eut connaissance il accentua
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le mouvement de ses troupes. Marmont est porté sur Leipzig pour renforcer le duc de Padoue qui, sur la demande de Ney , lui avait renvoyé Dombrowski ; Poniatowski et Lauriston sont dirigés sur Frohburg et Waldheim.Poniatowski,qui était le plus avancé du côte de l'ouest, marcha aussitôt sur Frohburg, y attaqua Platow le jour m ê m e 30 septembre et le rejeta sur la frontière de Bohême après lui avoir fait perdre un millier d'hommes .
Cependant tous les renseignements confirmaient le mouvement g é n é r a l d e l ' a r m é e d e B o h ê m e . A u s s i , le 2 o c t o b r e , p o u r a s s u r e r l'unité de commandement de toutes les forces chargées de sur- veiller les débouchés,Napoléon place Murat à la tête des trois c o r p s , 2 , 5 e t 8 , a u x q u e l s il j o i n t l e s 4 e e t 5 e c o r p s d e c a v a l e r i e . Le premier, composé de deux divisions de chasseurs et lanciers. polonais,marchait sous les ordres de Kellermann avec Ponia- towski depuis le commencement de la campagne . Le second n'était pas encore complètement constitué. Il devait comprendre
trois divisions,mais la division de cavalerie légère Subervie et la division de dragons Lhéritier étaient seules rendues sur le
théâtre des opérations;la troisième division était celle qui,sous
les ordres du général Milhaud, allait arriver avec Augereau.
Pajol qui,depuis l'ouverture des hostilités,commandait la cava-
l e r i e d e G o u v i o n - S a i n t -C y r , f u t m i s à l a t ê t e d e c e n o u v e a u c o r p s ;
il arriva le 5 octobre à Mitweyda où se trouvaient les divisions Subervie et Lhéritier1.
Mais pendant que Napoléon prend ainsi ses mesures pour s'op- poser à l'armée de Bohême,Blücher a exécuté son mouvement sur la rive droite de l'Elbe.
S'étant préalablement dérobé,le 25 et le 26,ilétait arrivé le 30 septembre devant Torgau.Ily remplaça le corps de Tauen- zien qui alla rejoindre l'armée du Nord dont le gros se trouvait vers Roslau et Acken.Ayant fait amener des bateaux à Elster le 1er octobre, Blücher fitjeter un pont le 2 au soir et passa l'Elbe
1 Les escadrons du général Milhaud appartenaient aux mêmes régiments que ceux des divisions Subervie et Lhéritier. L'organisation du 5o corps de cavalerie ne devait être définitive qu'après la réunion des escadrons appar- tenant aux mêmes régiments.

dans la nuit du 2 au 3. York tenait la tête et était suivi par Lan- geronetparSacken.
Il fallait enlever la position de Wartenburg où se trouvait établi le 4 corps français ; mais ce corps ne disposait que de 12,000 hommes,tandis que Blücher en avait 60,000.
Malgré son infériorité numérique le 4e corps opposa une résis- tanceopiniâtre,surtoutladivisionMorandquitintfermependant six heures et ne céda le terrain qu'après avoir fait perdre à l'en- nemi plusieurs milliers d'hommes . Enfin,débordé sur sa droite, le 4o corps fut obligé de se retirer sur Kemberg , village au sud de Wittenberg, afin de se rapprocher de Reynier et de Dom- browski établis le long de la Mulde,entre Dessau et Düben. En même temps l'armée du Nord commençait à passer l'Elbe de Roslau à Barby et sa gauche était déjà en force à Dessau.A la suite de ces opérations Ney, qui n'avait pas en tout plus de 35,000 hommes,se trouvait donc entre Wittenberg et Düben, menacé par Blücher sur sa droite,par Bernadotte sur sa gauche, qui l'un et l'autre avaient 60,000 h o m m e s . Il se mit dès le 4 en retraite sur Bitterfeld,après avoir faitappel au concours de Mar- mont qu'il savait à Leipzig et avoir rendu compte à Napoléon de ce qui venait de se passer.
Marmont s'était empressé de répondre à l'appel de son col- lègue et le 5 arriva à Eilenbourg avec le 6o corps et la cavalerie
de Latour-Maubourg, tandis que Ney, continuant sa retraite, s'était porté de Bitterfeld sur Delitsch.
Cependant les deux généraux alliés conviennent de se réunir sur la Mulde et de marcher ensuite sur Leipzig ;mais avant d'en- treprendre cette marche ils tiennent à établir de solides têtes de pont à Wartenbourg et à Roslau.
Q u a n t à N a p o l é o n il r e ç u t , d a n s l a n u i t d u 4 a u 5 , l e s d é p ê c h e s qui lui faisaient connaître le passage de Blücher et celui de Ber- nadotte, ainsi que le résultat du combat de Wartenburg. Ces mouvements coïncidant avec ceux de l'armée de Bohême lui
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Ensemble ils n'auraient encore présenté qu'une force de 60,000 hommes;heureusement Bernadotteetmême Blücherne s'avançaient qu'avec une extrême prudence.
Le 5,l'armée de Silésie n'a pas encore dépassé Lubast sur la route de Düben,et Gräfenhaynchen sur celle de Bitterfeld;l'ar- mée du Nord est toujours entre Dessau et Acken .

firent comprendre sur-le-champ que le but des Alliés était de réunir toutes leurs forces sur ses derrières aux environs de Leip-
zig. Dès lors il se propose avant tout d'empêcher cette jonction et,considérant d'une part que l'armée de Bohême ne semble pas encore en forces au débouché des montagnes,tandis que l'armée de Silésie est tout entière sur la rive gauche de l'Elbe, il prend ses dispositions pour renforcer Ney rapidement. A cet effet il prescrità Souham de marcher de suite de Meissen sur Torgau et ilfaitconnaîtreàNeyqueMarmont,Latour-MaubourgetSouham sont sous ses ordres. Ney aura ainsi près de 80,000 hommes avec lesquels il devra tenir tête aux forces qu'il a devant lui et même s'efforcer de les rejeter sur l'Elbe. En même temps une partie de la garde est dirigée sur Meissen ; Saint-Cyr doit se rapprocher de Dresde qu'il fera occuper par deux divisions.Le 6 octobre, Napoléon prescrit au reste de la garde d'aller à Meis- sen et à Macdonald de suivre avec Sébastiani dès qu'il aura été relevé par Saint-Cyr.
Enfin ilrenouvelle à Augereau l'ordre de marcher sur Leipzig. Avec ces dispositions,Napoléon aura donc ses forces réparties en trois masses :Ney avec 80,000 hommes sera opposé aux ar- mées de Silésie et du Nord ;Murat observera l'armée de Bohême avecles40,000hommes dontildispose,sanscompterlesforces
qu'a le duc de Padoue à Leipzig et celles qui doivent bientôt y arrivervenant de laSaale.Ces forces,pouvant appuyer Murat en
cinq ou six jours,lui donneraient 70,000 hommes , et Napoléon compte que ce sera suffisant pour tenir tête à l'armée de Bohême
ou au moins retarder sa marche, pendant qu'il livrera bataille a u x a r m é e s d e Silésie et d u N o r d .
P o u r c e t t e b a t a i l l e , il a s o u s l a m a i n l e s 6 0 , 0 0 0 h o m m e s d e l a garde,de Macdonald et de Sébastiani,avec lesquels il pense rallierNey.Illespousse dansla directiondeWurtzen;de làil
pourra,suivantlescirconstances,lesportersurLeipzigoudansla direction de Wittenberg.Cela dépendra des progrès de Blücher. Si Ney et Marmont ont réussi à tenir tête à leurs adversaires,
Napoléon les ralliera sur la Mulde ; il reprendra avec eux une énergique offensive,et,prévoyant que l'armée de Silésie pourra essayer de se dérober en repassant l'Elbe, il songe à se porter lui-même surlarivedroite,soitparTorgau,soitparWittenberg, pour l'obliger à accepter la bataille.
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Si,au contraire,les maréchaux opposés à Blücher et à Berna- dotte ont été obligés de reculer devant eux,alors Napoléon por- tera sa réserve sur Leipzig pour y livrer la bataille.
Quant à Saint-Cyr,qui a toujours sous ses ordres les corps 1 et 14 réduits à 30,000 hommes,Napoléon est incertain sur ce qu'ildoitenfaire.Le6,aumatin,ilal'intentiondeleslaisserà Dresde ; mais le soir, en apprenant que l'armée de B o h ê m e a fait d e n o u v e a u x p r o g r è s , il e s t a m e n é à e n v i s a g e r l ' h y p o t h è s e d ' u n e bataille générale,et, voulant y faire concourir Saint-Cyr,illui prescrit de préparer l'évacuation de Dresde.Causant la nuit sui-
vanteaveccemaréchal,ilparaîtmême décidéaubesoinàse retirer sur la Saale.
Il est hors de doute que cette perspective d'une bataille géné- rale a été envisagée par Napoléon.On en trouve notamment la trace dans une lettre écrite à Berthier le 7 octobre,au matin ;
mais ils'en faut qu'il la désire.« Retenez les Autrichiens le plus que vous pourrez,écrit-il à Murat,presque au même moment, pour que je puisse battre Blücher et les Suédois avant l'arrivée
du corps de Schwarzenberg.» Napoléon ne considère donc la b a t a i l l e g é n é r a l e q u e c o m m e u n p i s a l l e r ; il n e s ' y r é s i g n e r a q u e quand toutes ses manoeuvres tendant à battre ses adversaires avant leur jonction auroni avorté,et il est si peu résolu à la livrer,qu'en l'entrevoyant il songe en même temps à l'éviter en se portant sur la Saale.
C'est avec ces idées qu'après avoir donné tous les ordres
nécessaires pour assurer l'exécution des dispositions que nous
venons d'indiquer,Napoléon lui-même quitte Dresde dans la
matinée du 7 ;ils'arrête quelques heures à Meissen,et continue
l'après-midi jusqu'à Seerhausen,à quelques lieues d'Oschatz,sur laroutedeWurtzen.
Là il apprend de Ney que les armées de Silésie et du Nord ont fait peu de progrès depuis deux jours, qu'elles ont à peine dépassé Düben,et,de Murat,que l'armée de Bohême n'a encore que son avant-garde à Altenburg. Dès lors, Leipzig n'est pas immédiatement menacé et l'Empereur prend résolument le parti de se porter sur Blücher en descendant la Mulde.D'ailleurs,Ney et Marmont s'étaient mal entendus ensemble et,tandis que le premier était revenu sur la Mulde,entre Eilenbourg et Wurtzen, le second s'était reporté sur Leipzig.Afin de les appuyer en les
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soudant,Napoléon réunit la garde et Macdonald à Wurtzen,où ilarrivele8au matin.Dans lajournée ses idéesseprécisent;
Blücher et Bernadotte sont toujours des deux côtés de la Mulde , ils paraissent mal concentrés ; ce sont eux décidément qu'il va attaquer.Dans la nuit du 8 au 9 ildonne tous les ordres de mou- vement pour reporter ses forces en avant.
Au centre,Ney marchera sur Eilenbourg par les deux rives de la Mulde,et continuera ensuite sur Düben, avec Souham,
Dombrowski et Reynier ; à droite, Bertrand se dirigera sur Mockrehna,Macdonald l'appuiera ; à gauche,Marmont prendra la direction de Düben ; la garde descendra la Mulde à la suite de Ney.Napoléon a sous la main 140,000 hommes ,avec lesquels il veut pousser Blücher sur l'Elbe,passer le fleuve à sa suite en dégageant Wittenberg , et détruire les ponts de l'ennemi , de
manière que,quand ilreviendra ensuite sur l'armée de Bohême, il n'ait pas à craindre le retour rapide des armées de Silésie et
du Nord.En même temps qu'il se dispose à marcher contre l'ar- mée de Silésie,ilrenouvelle à Murat l'ordre de défendre le ter-
rain pied à pied en se retirant sur Leipzig,où iltrouvera bientôt plus de 25,000 hommes de renfort.Napoléon compte bien qu'a- vant qu'il ait été obligé de l'évacuer,lui-même en aura fini avec Blücher et Bernadotte ,et qu'il pourra se retourner contre Schwar- zenberg.
Le 9,au matin, Napoléon n'envisage donc plus l'hypothèse d'unebataillegénérale,ilespère trouverlemoyen de battreses adversaires l'un après l'autre. C o m m e conséquence de ces dispo- sitions et pour les compléter,ilprescrit à Saint-Cyr de suspendre l'évacuation de Dresde et d'y rester avec ses deux corps.Pré- voyant qu'après avoir poursuivi Blücher sur la rive droite il pourra être avantageux de revenir contre l'armée de Bohême par D r e s d e , il t i e n t à r e s t e r m a î t r e d e c e p a s s a g e d e l ' E l b e . A i n s i , tandis que deux jours auparavant il jugeait la situation assez
difficile pour envisager l'éventualité d'une retraite sur la Saale, maintenant croyant tenir l'ennemi dans une fausse position,il pense m ê m e ne pas avoir besoin de toutes ses forces pour le terrasser.Son imagination s'enflamme,etilaune telleconfiance dans ses manœuvres,qu'il espère y trouver le moyen d'en finir
d'un seul coup. Enfin,depuis un mois qu'il attend l'occasion, ses adversaires viennent de se livrer!
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Ainsi qu'on vient de le voir,la première partie de son plan
consiste à se porter contre Blücher et contre Bernadotte ; mais
pendant qu'il dispose tout pour les attaquer, ceux-ci ont déjà résolu de se dérober à ses coups.
Comme nous l'avons dit,ils ne s'étaient avancés au delà de l'Elbe qu'avec une extrême prudence.Quoiqu'ils aient résolu de se porter sur Leipzig,le gros de l'armée du Nord n'était encore le 8 octobre qu'à Radegast, et l'armée de Silésie n'avait pas encore passé laMulde.Dans cettejournée,York était à Bitter- feld, Langeron à Duben, où se trouvait Blücher, et Sacken à Mockrehna, entre Torgau et Eilenburg.Mais le jour même ayant appris que Napoléon avait quitté Dresde pour marcher contre eux ,ils avaient pris le parti de se soustraire à son atteinte.
Pour le général en chef de l'armée du Nord ,il n'avait pas été
besoin de beaucoup de raisons pour le convaincre de la nécessité
de la retraite.Connaissant son terrible adversaire pour avoir
servi sous ses ordres,il n'était nullement pressé de se mesurer
aveclui;mais iln'en étaitpas de même du chef de l'armée de Silésie.
Cependant les nouvelles qu'il reçut de l'approche de Napoléon , ralliant Ney avec plus de 100,000 hommes ,le firent réfléchir. D'ailleurs Bernadotte tenaitabsolument às'éloigneret,sicapable
que fût Blücher de soutenir le choc avec lesdeux armées réunies, il ne pouvait songer à l'essayer, réduit à ses propres forces. Tandis que,le 7 septembre,on avait combiné une marche sur Leipzig,onprit,lelendemain,lepartidesedéroberàNapoléon.
Il voit déjà Blücher essayant vainement d'atteindre le bas Oder comme au lendemain d'Iéna,et les Autrichiens rentrant péniblement en Bohême,avec 150,000 hommes sur leur flanc. Certes, il était loin, en formant ces beaux projets, de penser qu'il était plus près de la roche Tarpéiennne que du Capitole, et
cependant huit jours plus tard il se trouvait sur le champ de bataille de Leipzig.
Prêt à tous les sacrifices pour assurer l'indépendance de son pays,Blücher savait qu'il n'y arriverait qu'à la suite de luttes sanglantes, et comme il avait confiance en ses troupes autant
qu'en lui-même,ilne demandait qu'à hâter le moment de la bataille décisive.

Bernadotte, en insistant sur la nécessité de ce mouvement, avait émis l'avis que,pour l'exécuter,les deux armées du Nord et de Silésie pouvaient repasser l'Elbe ou bien se porter ensemble sur la Saale, en restant sur la rive gauche du fleuve.Le premier parti paraissait plus prudent, mais Blücher ne voulut pas s'y arrêter,parceque,enrepassantl'Elbe,on abandonnaitl'armée de Bohême que l'on savait en mouvement sur Leipzig par le Sud ; après avoir concédé à son collègue qu'il convenait d'éviter le choc de Napoléon, tant qu'on était encore à 30 lieues de Schwarzenberg,ilacceptade s'ydérobernon pas en repassant l'Elbe,mais en se portant sur la Saale.C'étaitlàune grave réso- lution,car,en la mettant à exécution,on abandonnait complète- ment la route de Berlin et ses communications ; mais , en re- vanche,étant en pays ami, on trouverait certainement partout les moyens de vivre, et en même temps,tout en échappant à Napoléon,on ne s'éloignerait pas de l'armée de Bohème,qu'au pis aller l'on pourrait sans doute rejoindre en remontant la
SaaleparHalleetMerseburg,et,pour peu que celle-ci,enmême
temps, marchât par sa gauche, on avait de grandes chances
d'opérerlajonction,sinon àLeipzigcomme onl'avaitprojeté, du moins entre l'Elster et la Saale,dans les environs de Lutzen.
Tel fut donc le parti auquel s'arrêtèrent les chefs des armées du Nord et de Silésie,au moment même où Napoléon se disposait à descendre la Mulde pour attaquer Blücher.
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Cependant,le 9 au matin,toute l'armée de Silésie était encore sur la rive droite de la Mulde,de Bitterfeld à Mockrehna.Le
mouvement de retraite devait commencer le jour même ;mais Langeron devait tenir à Düben jusqu'à l'arrivée de Sacken qui, tout en se retirant,devait faire une démonstration sur Eilenburg pour masquer sa retraite. L'après-midi, Langeron fut attaqué vigoureusement par Ney qui descendait la Mulde venant d'Eilen- burg,etlechassa de Düben;enmême temps,Sébastianiet
Bertrand se heurtèrent à Sacken qui,vivement mené et coupé de Duben,fut obligé de faire un détour par le Nord pour se rap- procher de la Mulde.
A la gauche de l'armée française,Marmont s'était approché de Düben, tandis qu'à la droite Macdonald était aux environs de Mockrehna et que Napoléon, avec la garde, arrivait à Eilen- burg.

Le lendemain, 10 octobre le mouvement continua de part et d'autre, l'armée de Silésie passant la Mulde à Bitterfeld, à Jes- snitzetàRaguhn,tandisquelegrosdel'arméefrançaises'avan- çait sur la rive droite et en talonnant seulement quelques arrière- gardesennemies.Marmontseul restaitsurlarivegauche près de Düben avec Latour-Maubourg ,tandis que Napoléon y arrivait avec la garde.En somme, à la suite de ces deux journées, l'armée de Silésie,n'ayant éprouvé que de faibles pertes,avait réussi à se couvrir de la Mulde et à se réunir à l'armée du Nord dontlegrossetrouvaitàZerbigetRadegast.
Napoléon était obligé de reconnaître que ses adversaires s'étaient encore une fois dérobés ; mais il n'était nullement fixé
sur la direction qu'ils étaient décidés à suivre.Il ne savait m ê m e
pas au juste si Blücher avait passé la Mulde avec toutes ses forces.En outre, en se réunissant sur la rive gauche de cette rivière,était-ce afin de repasser l'Elbe plus à leur aise à Acken et à Roslau, ou bien voulaient-ils rester sur la rive gauche de l'Elbe afin de se joindre par la Saale à Schwarzenberg ? C o m m e , lejourmême,àDüben,ilreçutdes dépêchesde Muratqui lui apprenaient que l'armée de Bohême avait faitde nouveaux pro-
g r è s s u r L e i p z i g , il f u t a m e n é n a t u r e l l e m e n t à r a t t a c h e r c e m o u - vement à celui de Blücher.
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Envisageant toutes les éventualités, Napoléon, après son
arrivée à Düben,dans l'après-midi du 10, s'arrête à l'idée de
continuer son mouvement vers l'Elbe par la rive droite de la
Mulde;maiscen'estpasdanslemême butdanstouslescas.S'il
peut joindre Blücher,sur l'une ou l'autre rive de l'Elbe,il lui livrera bataille et le poursuivra sur la route de Berlin pour se
rabattreensuitesurl'arméedeBohême soitparTorgau,soitpar Dresde.C'estlà sa première idée,celle qu'il avait conçue dès le 6; mais, si Blücher reste sur la rive gauche sans avoir été battu,alors on ne peut plus empêcher sa jonction avec Schwar- zenberg.Dans ce cas,Napoléon passera sur la rive droite pour y attirer la guerre en se portant sur les communications de l'en-
nemi.Ily trouvera d'abord sa propre sécurité en se dérobant à son tour aux masses réunies de laCoalition,et,afin d'assurer en mêmetempscelledeMurat,illuiprescrit,quand ilseraobligé
de quitter Leipzig, de se retirer sur Torgau après avoir rallié le duc de Padoue etAugereau.Une foistouteslesforcesfrançaises

réunies sur la rive droite,on pourra profiter d'une circonstance
favorablepourrevenirsurprendrel'ennemisurlarivegauchepar un des quatre ponts que l'on possède de Dresde à Magdebourg. Cette détermination prouve bien que Napoléon ne recherchait pas la bataille générale, car s'il l'eût désirée, ce n'est pas la
présence des armées du Nord et de Silésie sur la rive gauche de l'Elbe qui aurait dû l'en éloigner; c'eût été, au contraire, un m o y e n certain de l'obtenir en y restant lui-m ê m e .
Avec ces idées, le mouvement de Napoléon sur l'Elbe est donc à double fin.Il ne sait pas au juste ce que font ses adversaires, mais il estime que la continuation du mouvement sur l'Elbe est
ce qui convient dans tous les cas.
D'ailleurs, tout en entrevoyant la seconde hypothèse, c'est
plutôt la première qui attire son attention.Ilpousse donc,le11 au matin,Reynier et Dombrowski sur Wittenberg,Bertrand sur Wartenburg pour détruire les ponts de l'ennemi; Souham;est dirigé sur Dessau pour surveiller le confluent de la Mulde et de l'Elbe ; Macdonald doit suivre en prenant la direction de Witten-
berg ; la garde est en avant de Düben ,prête à les appuyer,tandis que Marmont observera la gauche de la Mulde et la direction de
Leipzig.
Mais,justement,des deux hypothèses que Napoléon avait
envisagées,ses adversaires s'étaient arrêtés à celle qu'il considé- rait comme la moins probable.Après s'être réunis sur la gauche de la Mulde,ilsétaient décidés à ne pas repasser l'Elbe;en
même temps,ilsjugèrent à propos de ne pas s'attarder en pré- sence de Napoléon,et,dès le11,ilsse mirent en mouvement vers la Saale,Blücher prenant la direction de Halle,Bernadotte celle d'Alsleben,ne laissant au confluent de la Mulde et de l'Elbe que le seul corps de Tauenzien pour les couvrir et garder les ponts de Roslau et d'Acken aussi longtemps que possible.
Aussi les corps français,poussés vers l'Elbe,tout en rencon- trant partout des arrière-gardes, purent s'avancer sans avoir à vaincre de grandes résistances,tandis que,de Düben,Marmont put constater le mouvement de l'armée de Silésie vers la Saale.
D'autre part,dans la soirée du 11 , Napoléon reçut une dépêche de Murat qui lui apprenait que,le 10,il avait eu un brillant engagement contre les Russes et que l'armée de Bohême parais-
sait plutôt en retraite. A. G.
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*8

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Le 7,Wittgenstein fit occuper Altenburg ; Klenau approchait de Penig; le jour suivant, Schwarzenberg était à Chemnitz. Murat observait cesmouvements,maisiln'avaitencorerienfait pour s'y opposer.Ilse trouvait avec le gros de ses forces vers Flöha, à peu de distance de Chemnitz, mais ne couvrait pas Leipzig sur la route que suivaient les Autrichiens et encore moins sur celle où marchait Wittgenstein .Stimulé par Napoléon , ilseporta,le8,surlaMuldeàRochlitz.Ilsetrouvaitainsientre les deux grandes colonnes de l'armée de Bohême , pouvant encore être prévenu sur Leipzig par Wittgenstein qui,le lende- main,débouchait d'Altenburg dans la direction de Borna.
Murat, pour s'opposer à ce mouvement,se porta,le 9,sur Frohbourg et,le10,surBorna.Iltrouva cettedernièrevilledéjà occupée par les Russes ; mais il les attaqua avec les corps 2 et 8 et sa cavalerie, et les rejeta vers le sud après leur avoir fait perdre 2,000 ou 3,000 hommes.
Le même jour, Augereau, débouchant de Naumburg, avait
rencontré Thielman et Liechtenstein sur la route de Weissenfels,
les avait fait charger par les dragons d'Espagne , qui les avaient rejetés sur Zeitz avec une perte de 2,000 hommes .
En recevant ces divers renseignements dans la soirée du 11, Napoléon ne se rendit pas très bien compte de la situation de ses adversaires ni de leurs projets. Marmont lui avait fait connaître lemouvement deBlücherdansladirectiondeHalle,maisilne voyait pas clairement la position de Bernadotte.
<<Quel fil embrouillé que tout ceci,disait-il,en causant la nuit suivante avec ce maréchal ', moi seul je puis le débrouiller et encore aurai-je bien de la peine !»
Et, en effet, il ne devait pas y réussir.
' C'est dans cette conversation qu'abordant divers sujets, il fut amené à faire la distinction entre l'homme d'honneur et l'homme de conscience et que,
comme s'ilavait prévu ce qui devait arriver l'année suivante,ildit à Mar-
Cette armée, après avoir marché très lentement, était enfin arrivée,le 6,aux débouchés de la Bohême,les Autrichiens par la route de Chemnitz,les Russes et les Prussiens par celle de Zwickau,tandisque Colloredo etBenningsen restaientvis-à-visde Dresde et qu'à l'extrême gauche la division légère Liechtenstein se portait sur la Saale avec Thielman .

Ilétaitlivré à ses méditations,lorsque le12,vers 10 heures du
matin,ilreçoit une nouvelle dépêche de Murat lui annonçant que les dispositions de l'armée de Bohême s'étaient subitement trans-
formées ; que , tandis que le 11 au matin elle paraissait en retraite,l'après-midi elle avait,au contraire,repris résolument sa marche en avant sur les deux routes de Chemnitz et de Swic-
kau,etque devant des forces très supérieures aux siennes,Murat avait été obligé de se retirer dans la direction de Leipzig.
D'autre part, les renseignements qu'il a reçus de Ney lui ont
fait croire que l'armée du Nord est revenue sur la rive droite de
l'Elbe; c'est sur cette hypothèse qu'il va baser ses détermina- tions .
Napoléon considère que si Blücher marche par Halle,tandis
que Schwarzenberg s'avance sur Leipzig, c'est afin de combiner
leurs opérations en se rapprochant l'un de l'autre ; mais que Bernadotte s'étant mis hors de cause en repassant l'Elbe,ilest
en mesure avec les forces dont il dispose de battre les deux autres,d'autant plus que,quoiqu'ils cherchent à se rapprocher , leur jonction n'est pas encore faite. Il renonce donc à passer sur la rive droite avec le gros de son armée , et il prend ses dis- positions pour la ramener sur Leipzig, espérant y arriver avant
que Murat ait été obligé de l'évacuer et y trouver le moyen de battre ses deux adversaires successivement en attaquant le pre- mier avant l'arrivée du second .
Mais tandis qu'il se dispose à revenir sur Leipzig,droit contre l'arméedeBohême,illaisseencoresescorpslesplusavancéssur l'Elbe pour détruire les ponts, de manière à être bien sûr que Bernadotte ne reviendra pas sur lui pendant la bataille qu'il va livrer.En prenantlepartidemarchersurLeipzig,Napoléonest donc loin de rechercher la bataille générale qu'il n'a jamais vou -
lue,c'est,au contraire,parce qu'il croit qu'un de ses adversaires ne pourra pas y assister.Cette manière de voir est très claire dans la lettre que l'Empereur écrit au duc de Bassano,le12,à
4 heures de l'après-midi : « On m'assure,dit-il,que le prince
mont:«Vous,parexemple,sivouscroyezque lesalut du paysvouscom- mande de m'abandonner et que vous le fassiez,vous seriez un homme de conscienceetnonunhommed'honneur.»(MémoiresduducdeRaguse.)
115 -

royal et toute l'armée de Berlin ont repassé sur la rive droite.Je
recevrai avant minuit confirmation de cette nouvelle,et alors,
m'étant débarrassé ainsi de 40,000 à 50,000 ennemis , je m e
ploieraiavectoutemon arméesurLeipzigetlivreraibatailleà
l'ennemi.» Si,avant la concentration,Murat était obligé d'aban-
donner Leipzig, le champ de bataille serait changé, mais la
bataille aurait toujours lieu, parce que dans son ensemble la situation serait la m ê m e .
Avec ces idées,Napoléon ne se croit pas pressé d'exécuter le m o u v e m e n t q u ' i l a c o n ç u . A v a n t d e d o n n e r s e s o r d r e s , il v e u t avoir des renseignements précis sur la situation de Murat ; toute- fois,avant de les avoir reçus,il prescrit à Marmont,qu'il avait porté dans la matinée sur Doelitzsch afin d'observer Blücher,de se rapprocher de Leipzig pour se mettre à la disposition du roi de Naples . Mais ce qui lui importe surtout c'est de détruire les ponts de l'Elbe. Aussi il y emploie encore toute la journée du 12,et m ê m e ayant appris dans la nuit suivante que Murat qui a reçu s e s r e n f o r t s p o u r r a t e n i r à L e i p z i g j u s q u ' a u 1 4 a u s o i r , il d o n n e encoredesordresdanslemême sens,le13,à1heuredumatin.
La veille,Ney,avecle3ecorps,avaitenlevéDessau aprèsun
brillant combat. Reynier,Sébastiani,Dombrowski,débouchant
de Wittenberg,ont refoulé l'ennemi,qu'ils ont rencontré sur les
routes de Zerbst et de Brandebourg ; Macdonald s'est approché
de Wittenberg. L'Empereur veut que ce dernier passe aussi sur larivedroitele13 sic'estnécessaire,quel'ons'emparedesponts
de Roslau et d'Acken , et qu'on les détruise avec le concours de Ney,quiagiraparlarivegauche.
Les corps français arrivent en effet dans la journée à Roslau et vis-à-vis d'Acken ; mais ,tandis qu'ils exécutent les ordres que Napoléon leur a envoyés à 1 heure du matin, c'est-à-dire une heure après avoir reçu la réponse de Murat,à 4 heures tout est changé.Le parti est décidément pris de marcher sur Leipzig.La garde,Latour-Maubourg,Bertrand,doivent partir de suite pour Düben ; les corps portés au delà de l'Elbe doivent y arriver le lendemain ; tout le monde continuera ensuite sur Leipzig, où Napoléon arrivera lui-même le 14. Mais,en attendant,Marmont est rappelé au nord-ouest de la ville pour observer Blücher et, au besoin,le contenir sur la route de Halle.
C'est la nouvelle de la défection de la Bavière qui amène
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Napoléon à précipiter la solution.Il apprend,en effet,que les Bavarois, ses alliés de la veille, se sont réunis sur l'Inn aux Autrichiens , qu'ils étaient chargés d'observer , et que tous ensemble sont en marche sur le Rhin.Il sait d'ailleurs que toute l'Allemagne est soulevée derrière lui,que son frère Jérôme vient d ' ê t r e c h a s s é d u r o y a u m e d e W e s t p h a l i e . Il n e p e u t p l u s s e s a u - ver que par une grande victoire,ilva la chercher,et le plus tôt seralemieux,et,s'ilnel'obtientpas,ilreviendrasurleRhin.
Le 13,au matin,son parti est donc définitivement pris.Il va exécuter le projet qu'il avait conçu la veille ; mais ayant dirigé déjà une partie de ses forces dans le sens opposé,il lui faudra troisjourspourlesramenersurLeipzig;c'estàpeinesitousses corps y arriveront le 15 .
Pendant ce temps,Blücher et Bernadotte,ce dernier surtout, n'avaient pas été sans éprouver certaines inquiétudes.En voyant l'EmpereurmaîtredelaroutedeBerlin,ilcraintpour sescom- munications, ainsi que pour Tauenzien qui, bousculé par les Français , est isolé sur la rive droite , et il voudrait le rejoindre en entraînant Blücher à sa suite.Mais celui-ci a déjà ouvert des c o m m u n i c a t i o n s a v e c l ' a r m é e d e B o h ê m e p a r M e r s e b o u r g ; il e s t résolu à ne pas revenir sur ses pas,sauf à laisser Bernadotte
livréàlui-même entrelaMuldeetlaSaale.D'ailleurs,bientôtce dernier est délivré de tout souci par la dernière résolution de Napoléon.
Le mouvement rétrograde des corps français commence , en
effet,partoutle13.Ayantportélejourmême uneforteavant-
garde sur Acken,Bernadotte s'en aperçoit.Les renseignements
du lendemain lui confirment la retraite des Français ;dès lors, il ne songe plus à repasser l'Elbe.La route de Berlin n'étant
plus menacée,ilpousse le gros de ses forces à Cothen,entre la
Mulde et la Saale,et se dispose à combiner ses mouvements avec Blücher. Ce dernier,tout en entrant en communication avec
l'armée de Bohême par Mersebourg,ne perd pas de vue l'armée française,et ayant la promesse d'être appuyé par Bernadotte,il se prépare à marcher sur Leipzig, par la rive droite de l'Elster, dès que l'armée de Bohême sera sur le point de s'engager.Mais continuant à se montrer résolument circonspect,il reste encore à Halle toute lajournée du 14,ne voulant pas s'exposer à être

attaqué par Napoléon,avant d'être sûr du concours de Schwar- zenberg.
Quant à Napoléon,ayant donné ses ordres à Düben,le13 au matin , il y restait encore toute la journée .
Il croit d'ailleurs tout à fait l'armée du Nord au delà de l'Elbe, et il pense que la destruction des ponts l'empêchera de revenir p o u r l a b a t a i l l e . Q u a n t à B l ü c h e r , il l e s u p p o s e d u c ô t é d e H a l l e , et le croit très capable d'en déboucher ; mais il estime qu'il suf- fit d e l e f a i r e o b s e r v e r d e l o i n p a r M a r m o n t , à q u i il p r e s c r i t d e choisir une bonne position défensive au nord-ouest de Leipzig, en recommandant à Murat de n'appeler le 6o corps qu'à la der- nière extrémité.
L e 1 4 , a u m a t i n , il s e p r é p a r a i t à q u i t t e r D u b e n , l o r s q u ' i l r e ç u t un rapport de Ney d'après lequel l'armée du Nord ne serait pas. sur la rive droite de l'Elbe,mais bien sur la basse Saale,aux environs de Bernburg. Napoléon n'en continue pas moins sur Leipzig , au risque d'avoir les trois armées de la Coalition sur les
b r a s , e t q u i t t a n t l u i - m ê m e D u b e n à 7 h e u r e s , il a r r i v a à L e i p z i g vers midi.Il y trouva Murat aux prises avec l'avant-garde de l'armée de Bohême.Celle-ci, en effet, depuis plusieurs jours, n'avait pas cessé de marcher vers le Nord ;le gros des Autri- chiens s'avançait d'Altenburg entre la Pleisse et l'Elster, les Prussiens et les Russes à droite de la Pleisse, par Frohburg et Borna,et Klenau à l'extrême droite.Devant cesmasses,fortes de 160,000hommes,Murat,quin'enavaitque40,000,sanscompter Augereau et la garnison de Leipsig,s'était replié lentement et avait pris position au sud de la ville à Wachau et Liebert-Wol-
kwitz,couvert par les 4 et 5o corps de cavalerie,qui avaient à leur tête Kellermann et Pajol.Le 14,la cavalerie russe s'était avancée sur W a c h a u ; Murat l'avait fait charger par la sienne et l'avaitculbutée sur lecorps de Wittgenstein;mais,chargé lui- même parlacavalerieprussienneetparcelledeKlenau,ilavait dû se replier sur son infanterie.Cette action de cavalerie était le prélude de la grande bataille qui allait se livrer le surlendemain.
Napoléon, en arrivant à Leipzig, reçut de Murat tous les ren- seignements sur la situation de l'armée ennemie.
Le lendemain matin,ilmonta à cheval et parcourut le champ de bataille.
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Iltrouvale8ecorps établiàMark-Kleeberg,le2oàWachau,le 5eàLiébert-Wolkwitz,etlesdeux corps de cavalerie un peuen arrièreentreMark-KleebergetWachau.
Il approuva toutes les dispositions prises par Murat et les com- pléta en disposant en seconde ligne ses autres corps qui arri- vaient successivement sur le champ de bataille. C'était d'abord LefoletAugereau quiétaientarrivés,le10etle12,àLeipzigoù se trouvait déjà le duc de Padoue avec Margaron , et ensuite la garde qui, ayant quitté Düben le 13, était arrivée, le 14, à Leipzig avec la cavalerie de Latour-Maubourg .
Ces troupes, sauf celles du duc de Padoue appelées à défendre Leipzig du côté de la route de Lützen, devaient renforcer Murat surlefrontsud.Macdonald avecSébastianidevaientenappuyer la gauche,mais ces deux corps étaient encore à Düben,le 14, et devaient arriver à Taucha seulement le 15 au soir. Leur arrivée
devait porter à environ 125,000 h o m m e s les forces opposées à l'armée de Bohême qui s'avançait avec 160,000.
Entre la garde et Macdonald avait marché le 4o corps qui était arrivé,le soir du 14,à Euterizsch où il fut laissé derrière Mar- mont qui occupait Breitenfeld et Lindenthal. Souham et Dom- browski qui, sous les ordres de Ney, suivaient Macdonald au débouché de Düben,ne devaient arriver sur la Partha que le 16 au matin avec les divisions du 3o corps de cavalerie qui avaient à protéger leur marche du côté de la Saale.Ilsdevaient s'arrêter
vers Mockau et Ploesen; mais Reynier, ne pouvant atteindre Düben avant le 15 au soir, ne devait pas paraître le 16 sur le champ de bataille.
A part ce dernier corps, Napoléon allait donc avoir pour le lendemain toute son armée sous la main, sauf encore Saint-Cyr à qui iln'avait donné aucun ordre de quitter Dresde pour parti- ciper à la bataille.
D'après l'ensemble de ces dispositions, il est clair qu'il son- geaitavanttoutàengagerlabataillecontrel'arméede Bohême.
Marmont seul était opposé à Blücher qui pouvait arriver par la route de Halle.Décidé à.engager lalutte,Napoléon croitavoir le moyen d'obtenir la victoire. Le 14, il fait écrire de Leipzig à Saint-Cyr que tout sera probablement terminé le 15 et le 16, et que dès lors ce maréchal sera promptement dégagé.
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Du côté des Alliés,on avait aussi employé le temps à amener le plus de troupes possible sur le champ de bataille.
L'armée de Bohême qui avait suivi Murat sur Leipzig se trou-
vait,le soir du 15, vis-à-vis des forces françaises sur les deux rives de la Pleisse.
De l'autre côté de Leipzig se trouvait l'armée de Silésie.
Blücher qui avait évité de s'engager avec Napoléon, lorsqu'il n'avait avec lui que l'armée du Nord , sachant que l'armée de Bohême approchait de Leipzig par lesud étaitbien décidé àjouer son rôle dans la grande bataille qui allait se livrer. Il avait envoyé un officier au prince de Schwarzenberg pour le rensei- gner sur sa situation et le prévenir qu'il était prêt à marcher au canon au premier signal.Le 15,ils'étaitavancé jusqu'au village de Schkeuditz et se disposait à entrer en ligne avec ses 60,000 hommes,dès que l'action serait engagée au sud de Leipzig.
Quant à Bernadotte, il était encore assez loin du champ de bataille.Lui etBlücher avaient eu bien du mal à s'entendre pen- dant ces derniers jours. Le commandant de l'armée de Silésie avait réussi cependant à empêcher le prince royal de Suède de repasser sur la rive droite de l'Elbe, et ce dernier, en présence du mouvement de Napoléon de Düben sur Leipzig,s'était décidé àserapprocherdeLeipzig.Ilsetrouvait,lesoirdu 15,entre HalleetLandsberg;maisilnedevaitpas paraître lelendemain surlechamp debataille.
En même temps,une quatrième armée alliée s'en approchait du côté opposé.C'était celle de Benningsen. Cette armée, après avoir remplacé à la fin de septembre l'armée de Bohême en avant de Toeplitz,s'étaitavancée sur les routes de Peterswalde et de Dippoldiswalde.Du 9 au 13 octobre,elleavaitrefoulésur Dresde les troupes de Saint-Cyr, puis s'était mise en marche dans la direction de Leipzig par Nossen et Waldheim où elle arriva le 15.Là,ellereçutl'ordredepressersamarchepourprendrepart àlabataillequiallaitseliver.Elleamenait,comme Bernadotte, près de 60,000 hommes de renforts;ni les uns ni les autres ne
devaientsetrouversurlechamp debataillele16,mais ilspou- vaient y arriver dans l'après-midi du 17 .
En somme, le premier jour de la lutte, Napoléon ne devait avoir affaire qu'aux armées de Bohême et de Silésie.
Vis-à-vis de la première,forte de 160,000 hommes ,ildisposait

de125,000hommes;vis-à-visdelaseconde,qui en comprenait 6 0 , 0 0 0 , s e u l e m e n t d e s 2 0 , 0 0 0 d e M a r m o n t ; e n o u t r e , il a v a i t u n e réserve de 30,000 hommes avec les corps de Bertrand et de Sou- ham et la division Dombrowski, sous les ordres supérieurs de Ney.
Son infériorité numérique était moins grande que lejourde la batailledeDresde.Dans cesconditions,ilétaitpermisd'espérer
la victoire au moins le premier jour de la lutte.Mais à moins de jeter le désordre dans les troupes qu'il allait d'abord combattre , cela ne devait pas suffire pour permettre à Napoléon de prendre définitivement le dessus ; car derrière leurs troupes de première ligne, les Coalisés disposaient de puissantes réserves straté- giques.Or,ilfaut remarquer en même temps que leur moral
s'était singulièrement élevé depuis six semaines. Sans doute, celui de l'armée française était encore excellent, la présence de
Napoléon devait développer dans tous les rangs un dévouement sans bornes et, sur beaucoup de points,un véritable héroïsme. Mais nos adversaires n'étaient pas disposés à se laisser décou- ragerparquelquesrevers.Ilsétaientd'autantmieux résolusà livrer la bataille à fond qu'ils savaient que, s'ils échouaient le premier jour, ils seraient ralliés le jour suivant par 120,000 hommes,dontl'arrivéeleurpermettraitsans doutede reprendre une nouvelle offensive avec une supériorité écrasante pour leur adversaire.
Napoléon ayant renoncé à toute opération sur la rive droite de l'Elbe, en avant de Dresde,ne pouvait prendre de meilleures dis- positions que celles auxquelles il s'est arrêté dans les derniers
jours du mois de septembre pour s'opposer aux mouvements des armées alliées qu'il prévoit sur ses derrières, tant par les routes conduisant de la Bohême sur Leipzig que par l'Elbe moyen au-
dessous de Torgau . Il les complète ensuite d'une manière fort
judicieuse dès que les desseins de ses adversaires sont nettement dévoilés .
En réunissant d'une part plusieurs corps sous Murat, près delafrontièrede Bohême,poussant en même temps Marmont et Souham à l'appui de Ney, il prend les mesures les plus
121 -
2o Observations critiques.

122
capables de retarder les progrès des deux armées de Bohême et de Silésie,et,en dirigeant ensuite sa réserve sur Wurtzen,ilse prépare à attaquer la seconde de ces armées avec des forces
supérieures, de manière à empêcher sa jonction avec la pre- mière.Nous pensons qu'il eût été difficile de mieux faire,et que d'ailleurs rien n'indiquait tout d'abord dans quelle direction au
juste ilconvenait de porter cette réserve.
Rien de mieux donc que le projet de Napoléon de descendre la Muldeavec140,000hommes,d'attaquerlesarmées deSilésieet du Nord partout où illes rencontrera,de les rejeter sur l'Elbe et de passer le fleuve à leur suite pour achever de les détruire. Il espère qu'en même temps Murat pourra contenir l'armée de Bohême en se retirant lentement devant elle, et que lui-même , après s'être débarrassé de la masse du Nord , pourra revenir contre celle du Sud qu'il battra à son tour. Ce plan était bien dans l'esprit des principes de Napoléon, et c'était d'ailleurs le seul que comportait la situation.
Les moyens d'exécution sont également les meilleurs que l'on
pût prendre.Avec une masse principale au centre descendant la
Muldeelle-même,Marmontàgauche,Bertrand et Macdonald à
droite,Napoléon était en mesure de parer à toutes les éventua-
lités qui pouvaient se présenter sur une rive ou sur l'autre de la rivière.
Mais où nous croyons qu'il est permis de ne plus admirer sans réserve,c'estquand Napoléon,trouvantlevidedevantluisurla rive droite de la Mulde,continue néanmoins à pousser de ce côté
le gros des forces qu'il a sous la main ,avec l'intention de passer sur la rive droite de l'Elbe.
S a n s d o u t e , il a s e s r a i s o n s p o u r p r e n d r e c e p a r t i . S i l ' e n n e m i cherchantàluiéchapperpasselui-même surlarivedroite,Napo- léon aura le moyen de le rejoindre au delà du fleuve, en débou- chant de Wittenberg, de manière à l'attaquer et à le battre sur la route de Berlin,et si, au contraire,ilreste sur la rivegauche de
On ne peut encore que l'approuver quand,le 7,ilchoisit défi- nitivement l'armée de Silésie comme but de ses premiers coups,
car Blücher et Bernadotte,qu'on ne pouvait pas empêcher de se
réunir sur la Mulde,étaient capables de malmener Ney et Mar-
mont qui,d'ailleurs, s'entendaient assez mal pour résister à leurs adversaires .

manière à se rapprocher de l'armée de Bohême ,l'Empereur sera en mesure de se soustraire à l'étreinte de toutes les armées
alliées, sauf à reprendre l'offensive ultérieurement dans des con-
ditions favorables.Le dessein de Napoléon a donc son mérite,et
l'on peut m ê m e dire que s'il en avait suivi le développement jus-
qu'au bout, il aurait évité la ruine de son armée ; mais nous
croyonsque,le10etle11,ilyavaitmieux àfaire.Sansêtre
complètement renseigné sur la situation de ses adversaires,
Napoléon,arrivant le10 à Düben,savait par l'interrogatoire des
prisonniers que Blücher défilait devant lui au moins avec une
partiedesesforcespourpasserlaMulde,entreBitterfeldetDes-
sau, et aller rejoindre Bernadotte qui se trouvait déjà de l'autre
c ô t é d e l a r i v i è r e . D a n s c e s c o n d i t i o n s , il n o u s s e m b l e q u ' a u l i e u
d'accepter la jonction de toutes les armées alliées sur Leipzig,
sauf à prendre les mesures pour se soustraire à leur étreinte,
ilétaitpréférabled'essayerd'empêchercettejonction,carilétait
encore temps de s'y opposer.Il suffisait pour cela de manoeuvrer
par la gauche et non par la droite de la Mulde,en cherchant à
refouler les armées de Silésie et du Nord réunies dans l'angle de l'Elbe et de la Saale.
E n présence de cette offensive, que pouvaient faire Blücher et Bernadotte? Ou bien se retirer ensemble sur l'Elbe et se couvrir
123
Pour réaliser ce projet, Napoléon pouvait employer les troupes de Ney qui étaientles plusavancées surlarivedroite,c'est-à-dire Reynier,Bertrand et Souham,à nettoyer de ce côté tout le pays compris entre la Mulde et l'Elbe ; mais en m ê m e temps au lieu de pousserlerestedanslamême direction,ilconvenait,croyons- nous,de prendre les mesures pour déboucher en masse sur la rive gauche le 11. On pouvait profiter des dernières heures de la
journée du 10 pour préparer l'opération,en portant sur Bitterfeld Souham qui formait la gauche de Ney,Marmont et Latour- Maubourg dans la direction de Delitsch,la garde à gauche de Düben et en rapprochant Macdonald de ce dernier point.
Ces dispositions prises,on pouvait, le 11, marcher droit sur l'ennemi,la droite appuyée à la Mulde avec les corps de Sou- ham,de Macdonald,deMarmont etdelagarde,c'est-à-dire avec
plus de 100,000 hommes que Ney aurait pu appuyer lejour sui- vant en passant à son tour la Mulde entre Bitterfeld et Dessau.

dufleuve;maispoursuivisl'épéedanslesreins,ilsn'auraientpas
réussi à passer sur la rive droite sans éprouver de graves dom-
mages.C'eûtétélecasensuitepournousderevenirpar Witten-
berg,afin d'attaquer de nouveau l'ennemi sur la rive droite, en
examinant toutefois s'il fallait y pousser le gros de l'armée, ou
bien s'il n'était pas préférable de n'y porter que les troupes de
Ney avec une nombreuse cavalerie pour harceler seulement l'en- nemi en retraite et détruire tous ses ponts, en reportant le gros
des forces françaises contre l'armée de Bohême qui,restant seule à notre portée,se serait trouvée dans une situation d'autant plus critique qu'elle se serait avancée davantage sur Leipzig.
Blücher et Bernadotte pouvaient aussi se retirer ensemble sur laSaale;dans ce cas,Marmont,débouchant de Delitsch avec unepartiedelagarde,lesauraitsansdouteempêchés d'atteindre Halle.Dans ces conditions,l'armée de Silésie etcelledu Nord auraient été obligées de se couvrir de la Saale en la passant au- dessous de Halle, et elles n'y seraient pas arrivées sans éprouver de grandes pertes. Une fois ce résultat obtenu, il suffisait de
laisserdevant ellesune quarantaine de mille hommes pour les observer et les contenir, et l'on pouvait ramener le reste sur Leipzig pour rallier Murat et combattre l'armée de Bohême, avec la presque certitude de ne pas la voir soutenue pendant au moins 48 heures.
Si,contrairement à ce que je viens de supposer, on n'avait pu prévenir Blücher à Halle, et c'est ce qui serait arrivé si l'on n'exécutait le mouvement offensif sur la gauche de la Mulde que le 12 au lieu du 11,alors on pouvait craindre de le voir rallier Schwarzenberg par la plaine de Lützen. C'était alors le cas d'éviter une bataille générale en se tenant prêt à évacuer Leipzig et à se retirer sur la rive droite de l'Elbe, par Torgau et Witten- berg,en y appelant Saint-Cyr.
O n voit en s o m m e combien dans les deux dernières hypothèses il é t a i t i m p o r t a n t d e p r é v e n i r l ' e n n e m i à H a l l e .
124 -
Enfin Bernadotte et Blücher pouvaient se retirer en se sépa- rant,l'un se couvrant de l'Elbe,l'autre se portant sur la Saale. Une fois débarrassé du premier,ilconvenait de le laisser sur la rive droite en détruisant ses ponts,de pousser le second au delà de la Saale en s'efforçant de prévenir à Halle et de revenir ensuite
sur l'armée de Bohême avec legros de l'armée.

Dans les circonstances où l'on se trouvait, Halle était un véri- table point stratégique, c'est-à-dire un point dont l'occupation avait une grande importance pour les deux adversaires au point de vue des opérations ultérieures. Et l'on peut s'étonner que Napoléon, qui jadis avait si bien apprécié l'importance de la Stradella avant Marengo, de Donauwerth avant Ulm , du défilé de Kosen avant Iéna,n'en ait pas été frappé ; car si l'on eût pu empêcher l'armée de Silésie d'y arriver en la rejetant sur la basse Saale, on était à peu près sûr de pouvoir revenir sur Schwarzen- berg avant que Blücher pût le secourir.
On peut remarquer,d'ailleurs, que l'on aurait presque certai- nement réussi à arrêter le mouvement de ce dernier sur Halle,si,
dès le 11 au matin, Marmont eût été dirigé de Delitsch sur
Landsberg avec la moitié de la garde et une nombreuse cavale-
rie,tandis que le 3o corps,avec le reste de la garde,appuyait le
mouvement à droite,et que Macdonald,débouchant de Düben, servaitde réserve.
Le 10,Napoléon avait donc encore des chances de battre les deux masses ennemies l'une après l'autre, et il est probable que si Blücher eût été fortement secoué le 11 et le 12,Schwarzen- berg n'auraitpas demandé son reste;maislui-même n'auraitpas réussi à rentrer en Bohême sans de graves dommages .
Nous croyons donc qu'en portant le 11 le gros de ses forces sur la rive droite de la Mulde,tandis que l'ennemi était du côté opposé,Napoléon a commis une véritable faute.Il prêtait gra- tuitement à ses adversaires l'intention de repasser sur la rive droite de l'Elbe, et son projet était de les y atteindre ; mais ,juste- ment, Blücher et Bernadotte avaient d'autres desseins. En se
laissantguider par des conjectures,Napoléon a manqué la der- nière occasion qui se présentait de battre ses ennemis séparé- ment.En se tenant sur la rive droite de la Mulde,illes laisse
libres de leurs mouvements ,leur donne le temps de se reprendre
et de combiner leurs opérations de manière à se rapprocher de l'armée de Bohême.
D'ailleurs,Napoléon ne se rend pas bien compte des projets de ses adversaires. « On ne reconnaît une armée qu'avec une
armée », devait dire plus tard le maréchal Bugeaud ; aussi en a b a n d o n n a n t les a r m é e s d e Silésie et d u N o r d , N a p o l é o n n e p e u t savoiraujustecequ'ellesdeviennent.Ilestréduitàfairereposer
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126
ses combinaisons sur des hypothèses, sans savoir si elles sont conformes à la réalité. De là la cause de tous les faux mouve- ments qu'il va prescrire et qui devaient l'amener à livrer bataille dans des conditions désastreuses.
Il apprend bien, le 12, que Blücher s'est porté sur la Saale, m a i s il c r o i t , s a n s m o t i f , q u e l ' a r m é e d e S i l é s i e s e u l e a p r i s c e t t e direction,etquel'arméedu Nord a repassésurlarive droite; tandis qu'en réalité elles étaient l'une et l'autre sur la Saale, l'armée du Nord n'ayant laissé qu'un corps à la garde des ponts de l'Elbe, et c'est la présence de ce corps qui avait trompé Napoléon .
Quant au mouvement qu'avaient exécuté ses adversaires,nous
dirons,sanshésiter,quel'onnepeutquelelouer.
Sans doute ils abandonnaient leurs communications avec
Berlin,maisc'étaitlàunesituationquin'étaitpasfaitepour les arrêter.
Ils avaient avec eux de quoi combattre et traversaient un pays ami où ils étaient sûrs de trouver les moyens de vivre.
Dans ces conditions, ils pouvaient accepter d'être privés momentanément de leurs communications naturelles. Ce qui est vrai,c'estque,pouvantêtreattaquésparNapoléon,quidisposait
de forces supérieures aux leurs,ils risquaient d'être battus, et nous croyons que c'est ce qui serait arrivé si Napoléon avait marché droit sur eux le 11 octobre.Mais ils auraient couru les
mêmes risques en cherchant à revenir sur la rive droite, et en m ê m e temps ils auraient perdu toutes les chances de se rappro- cher de l'armée de Bohême . Il faut donc convenir que le parti auquel s'arrêtèrent Blücher et Bernadotte,s'il ne manquait pas d'audace, était en rapport avec la situation générale. On doit remarquer,d'ailleurs,que de quelque manière qu'ilss'yprissent pour marcher au-devant de Schwarzenberg, ils ne pouvaient
-manquer de courir certains dangers; c'était la conséquence du plan général qui avait été adopté et qui consistait à prendre l'offensive par deux lignes d'opérations éloignées. Il était bien certainqu'encherchantàexécuterceplan,onsetrouveraitàde certainsmoments àportéedescoupsdeNapoléon,etilfallait bien s'exposer à quelques dangers pour réussir. Dans le fait, les Coalisés ont évité ces dangers et ont réussi.


C'estque,silaviolation des principes présente certainsincon- vénients, ils sont souvent compensés par les avantages que procure toujours une initiative hardie.
Pour critiquer le mouvement des armées de Silésie et du Nord sur la Saale,on rappelle ce mot de Napoléon :
<< Changer sa ligne d'opérations est considéré comme la ma- noeuvrelaplushabilequ'exigel'artdelaguerre»,etl'onajoute: Mais laperdre1 ?
Eh bien,les événements qui provoquent ces observations sont justement faits pour répondre . Ils prouvent que , dans certaines circonstances, on peut la perdre sans se perdre soi-m ê m e ,et,par
conséquent,qu'ilestdes cas où c'estpermis.
En faisant ces critiques, on part toujours de ces idées fausses
qui consistent à considérer les principes de l'art de la guerre comme des vérités absolues,ne dépendant pas des circonstances. Or,je ne cesserai de le répéter, pour bien apprécier les prin- c i p e s , il n e f a u t l e u r d e m a n d e r q u e c e q u ' i l s p e u v e n t d o n n e r . L e but essentiel de la stratégie est de combiner les mouvements des armées en dehors du champ de bataille, en déterminant les directions à suivre et les positions à occuper ; mais il ne faut
jamais perdre de vue que la bataille est toujours l'événement décisif d'une opération militaire. Tant qu'elle n'est pas livrée, rien n'est décidé; les avantages que l'on a pu obtenir aupara- vant ne sont que secondaires, on peut même dire provisoires. En somme,laguerreestavanttoutunequestiondeforce,et les directions les meilleures à suivre, comme les positions les meilleures à occuper,dépendent essentiellement de la force rela- tive des armées en présence.
Telle direction qui est très avantageuse si l'on est le plus fort, peut être la plus dangereuse si l'on est le plus faible; on peut m ê m e dire que la meilleure dans le premier cas sera souvent la plus mauvaise dans le second .Et,en effet,ce que l'on a de mieux à faire quand on est le plus fort, c'est de chercher la bataille en menaçant les communications de l'ennemi.Or le plus souvent,en les attaquant on livreplus ou moins les siennes ; autrement dit, q u a n d o n t o u r n e l ' e n n e m i o n e s t t o u r n é s o i -m ê m e ; d e s o r t e q u ' e n
1VoirFragmentsstratégiquessurlacampagnede1813,p.37.
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Dans la détermination des directions et des positions straté- giques,ilne faut donc pas voir qu'une question de géométrie,
mais surtout une question de dynamique .
Aussi nous croyons que,grâce à la supériorité numérique des
armées alliées en 1813,et aussi au soulèvement de toute l'Alle- magne sur nos derrières,lemouvement de Blücher et de Berna-
dotte sur la Saale était ce qu'ils avaient de mieux à faire le 11
octobre pour échapper à leur adversaire.Ce mouvement a com-
plètementdéroutéNapoléon,etilestcertainqu'aveclesdisposi-
tions qu'il avait prises, le retour de ses adversaires sur la rive droite de l'Elbe aurait bien mieux fait son affaire,mais c'est pour
cela que ses adversaires ont pris le bon parti ; il n'est pas besoin d'en dire davantage pour le justifier.
En réalité,Blücher et Bernadotte, en se portant sur la Saale, se sont complètement mis à l'abri des coups de Napoléon en le t r o m p a n t , e t il l e u r a f a i t l a p a r t i e b e l l e e n é v i t a n t d e l e s s u i v r e .
Mais cequiestbienautrementgrave,c'estlepartiqu'ilprend, le12etle13,demarchersurLeipzig.
Ila vu,lesjoursprécédents,BlücheretBernadottesedérober,
mais ilcroit qu'en se retirant ils se sont séparés, que le premier
s'est porté sur la Saale, tandis que le second a repassé sur la rive droite de l'Elbe.
128
s o m m e c'est le plus fort qui seul à raison , et c'est le résultat de la bataille qui montre celui qui a vu juste. Il y a donc des mou- vements excellents quand on est le plus fort et qui doivent être absolument interdits quand on est le plus faible. Le passage du Danube au-dessous d'Ulm en 1805, le débouché en Saxe par le Frankenwald en 1806, auraient pu amener le désastre de l'ar- m é e française, si elle eût été inférieure à ses adversaires . A u contraire,la marche de l'armée de Châlons sur Montmédy, en 1870,aurait donné les meilleurs résultats si cette armée eût été supérieure en force à l'armée prussienne,etcapable d'obtenir une grande victoire ; car cette victoire l'aurait amenée rapide- ment sur Metz, de manière à rendre la retraite des Allemands désastreuse. C'est pour une raison semblable que le projet de M. de Freycinet de débloquer Paris en menaçant les communi- cations desAllemandsétaitabsolumentdéraisonnable,tandisque
le projet beaucoup plus modeste du général Ducrot, voulant opérer par la basse Seine, était le seul sensé.

129 -
Il pense que le dernier est hors de cause ,tandis que l'autre
cherche à joindre Schwarzenberg par la Saale.
Il espère atteindre l'armée de Bohême avant la jonction,et
c'est pour cela qu'il porte toutes ses forces sur Leipzig.Et d'ail- leurs,se croyant débarrassé de Bernadotte,la perspective d'avoir en m ê m e temps Blücher et Schwarzenberg sur les bras ne l'effraie pas;ilestimequemalgrésoninfériorité,enréalitépeusensible, et grâce à la séparation de ses adversaires, il réussira à avoir raison de l'un et de l'autre.
Aussi ne se presse-t-il pas de marcher sur Leipzig ; il tient
auparavant à détruire tous les passages de l'Elbe, de manière à
pouvoir disposer de toutes ses troupes pour la bataille sans avoir à redouter le retour de l'armée du Nord .Tout cela aurait été fort
bien conçu si les hypothèses de Napoléon eussent été conformes à l a r é a l i t é ; m a i s il e n é t a i t a u t r e m e n t , e t , l o i n d e s ' ê t r e c o u v e r t de l'Elbe,Bernadotte s'était porté sur la Saale en même temps que Blücher . Il était donc en mesure lui aussi de prendre part à la bataille, et Napoléon était exposé à la livrer avec une infé- riorité de forces qui ne lui permettait pas d'espérer la victoire. Or il est certain qu'en courant un pareil risque, Napoléon a commis une véritable faute qui a consisté à avoir encore réglé ses mouvements d'après desconjectures,sans sedireque,sielles n'étaient pas conformes à la réalité, il allait courir au-devant d'un véritable désastre.
Les historiens ont beaucoup discuté la question de savoir quels étaient au juste les motifs qui avaient déterminé Napoléon àmarcherdeDüben surLeipzig,et celasecomprend,carc'est en prenant ce parti qu'il a amené la ruine de son armée.Depuis six semaines, il n'avait obtenu aucun succès, ses adversaires s ' é t a i e n t t o u r à t o u r d é r o b é s à s e s c o u p s , a u m o m e n t o ù il c r o y a i t les atteindre;mais en somme son armée était restée intacte.Au contraire,en la conduisant à Leipzig,Napoléon allait la perdre ets'enleverlesmoyensmême de défendrelafrontièreduRhin.
On conçoit donc que l'on ait recherché les causes de ce mou- vement décisif,tout lemonde ne les ayant pas appréciées telles que nous l'avons exposé plus haut, et la question mérite que l'on s'y arrête.
9
D'après Napoléon lui-m ê m e , ce serait la nouvelle de la défec-
A.G,

tion de la Bavière et de la marche d'une armée austro-bavaroise de 80,000 hommes sur le Rhin qui l'aurait amené à se porter sur Leipzig.
C'estaussil'avisdePelet,deMarbotetde Ségur.Ilsemble qu'à ce moment le projet de l'Empereur soit de se rapprocher du Rhin par la Saale ; il espère sans doute y arriver en passant sur le corps de ceux qui chercheront à s'y opposer.Mais ily a autre chose, sans quoi il appellerait Saint-Cyr, tandis qu'il compte le dégager après la bataille. Il espère donc la victoire, et pour cela ilfaut qu'il ne croie pas à la réunion de toutes les armées enne- mies.
Malgré l'affirmation de l'Empereur, Thiers soutient que ce n'est pas la défection de la Bavière qui a amené Napoléon sur Leipzig, mais seulement l'intention de rester interposé entre BlücheretSchwarzenberg,avecl'espoirdebattrelesecondavant. l'arrivée du premier.Ildonne,pour appuyer cette manière de voir, une raison qui lui paraît décisive, c'est que Napoléon a donné,le12,sesordrespourmarchersurLeipzig,tandisqu'iln'a connu la défection de la Bavière que le 13. Voilà ce que l'on peut constater, d'après l'historien du Consulat et de l'Empire, en regardant les événements de près.Mais nous croyons qu'en les regardant d'encore plus près,on s'aperçoit que l'argumentation de Thiers,tout en contenant beaucoup de vérité, n'est pas tout
à faitjuste.Il est vrai que c'est le 12,en apprenant les progrès
de l'armée de Bohème, que Napoléon songe à marcher sur
Leipzig, mais il faut distinguer entre le projet et les ordres d'exécution .
On saitque,dans les circonstances graves,Napoléon rédigeait pour lui-m ê m e des notes sur ce qu'il appelait la situation de ses affaires,dans lesquelles il discutait les divers partis à prendre, leurs avantages , leurs inconvénients, et concluait à celui qui était préférable.
C'estainsiqu'àDresde,àlafind'août,ilavaitétabliune note faisant ressortir qu'il fallait opérer sur Berlin et non pas sur
Prague.Or,le 12 octobre, Napoléon a rédigé une note de ce genre,relative à son projet de marche ; en outre il a fait écrire parBerthierunelettreauroideNaplessurlemême sujet.Ilest dit dans l'une et l'autre que l'Empereur est prêt à se porter sur Leipzig avec toute son armée, et qu'elle pourra y être rendue
130

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D'autres écrivains ont cru trouver la cause de la détermination
1Ontrouve,ilestvrai,danslaCorrespondanceunordreàBerthierdu12 quidoitdirigerdesuitesurDüben,NeyetMacdonald;maisilestclairque cet ordre a été contremandé, puisque d'après un autre ordre du 13 à 1 heure
du matin Ney doit encore appuyer Reynier sur Acken avant de se replier sur Düben.
le 14,mais que les dispositions à prendre dépendront de ce que pourrafaireMurat.Commenousl'avonsvuplushaut,illuideman- dait de faire connaitre s'il pouvait tenir en avant de Leipzig
toute lajournée du 13. En attendant la réponse,Napoléon ne d o n n e a u c u n o r d r e d ' e x é c u t i o n ' ; il n ' e n d o n n e p a s d a v a n t a g e a u milieu de la nuit du 12 au 13, quand il reçoit de Murat une réponse affirmative et rassurante.Ilpense au contraire que l'at- titude de Murat lui donne le temps d'achever ses opérations sur l ' E l b e ; à u n e h e u r e d u m a t i n , il e n v o i e e n c o r e d e s o r d r e s d a n s
ce sens, et ce n'est qu'à 4 heures qu'il renverse toutes ses dispo- sitions pour reporter son armée sur Leipzig.D'après Pelet, c'est
justement dans l'intervalle qu'il apprend la défection de la Bavière, et, d'après Marbot, il en aurait eu avis par une lettre du roi de Wurtemberg qui déjà, plusieurs jours auparavant,
l'avaitprévenu que cette défection étaitimminente.
De toutes ces considérations, il résulte que ce n'est pas une
raison simple et unique qui a porté Napoléon à diriger son armée sur Leipzig,mais un ensemble de motifs assez complexe.
C'est bien l'approche de l'armée de Bohême sur Leipzig,coin- cidant avec le mouvement de retraite de Blücher sur la Saale, et
l'hypothèse gratuite que fait Napoléon sur l'éloignement de Ber- nadotte, qui lui en donnent la première idée ; mais c'est la nou- velle de la défection de la Bavière qui est la raison déterminante. En larecevant,ilcroitsans doute que la période des atermoie- mentsestterminée,qu'ilfauten finir,soitenserapprochantdu Rhin,soit en redevenant maître du pays entre l'Elbe et la Saale parunegrandevictoire,etcomme,enmême temps,ilespèreque Blücher n'arrivera pas pour le premier jour de la lutte et que Bernadotte n'y viendra pas du tout,il se croit en mesure d'ob- tenir dès le début de ces opérations une victoire éclatante sur Schwarzenberg.Tel est, croyons-nous, le développement de la pensée de Napoléon pendant ces journées décisives.

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de Napoléon dans une sorte de révolte des maréchaux. C'est l'opinionque legénéral Pierron a exprimée en rappelant,pour
l'appuyer,un récitde Caulaincourt1 surces événements.D'après cedocument,lesmaréchauxauraientfaitunedémarcheprès de
Napoléon pour lui demander de ne pas passer sur la rive droite
de l'Elbe.L'un d'eux aurait pris la parole,mais ilest regrettable
quelenarrateuraitévitédelenommer.Onvoudraitsavoiraussi le moment de cette intervention des principaux personnages de
l'armée;cenepeutêtreavantle12,carNapoléon,qui aeula nuitprécédente une longue conversation avec Marmont,n'aurait pas manqué de revenir sur ce sujet et l'on en trouverait certai- nement trace dans les Mémoires du duc de Raguse qui,au con- traire,n'en dit pas un seul mot.
Cette date du 12 s'accorde d'ailleurs avec ce fait qui résulte du récit de Caulaincourt qu'après l'intervention des maréchaux , Napoléon serait encore resté deux jours à Düben ; mais, d'autre part,ilditqu'elleaétédéterminéeparlanouvelledeladéfection de la Bavière qui n'a été connue que le 13 au matin.Je reconnais toutefois que cette objection n'est pas décisive, car l'imminence de cette défection a pu être envisagée avant qu'elle ait été notifiée formellement. Si la démarche a eu lieu, c'est donc le 12 dans la matinée ; admettons cette date qui est d'ailleurs celle du premier projet de Napoléon de marcher sur Leipzig.
On y voit,au contraire,que pendant lajournée du 12,Napo- léon a écrit à Ney,à Berthier,au duc de Bassano,plusieurs fois à Marmont et à Murat,et qu'ildonne dans ses lettresdes instruc- tionstrèsnettessurcequ'ilyaàfaireetnotammentausujetdes mouvements que l'armée exécutera pour se rapprocher de Dü- ben.Ilen estde même le 13. La prétendue inaction de Napo- léon,son affaissement pendant ces deux jours ne sont donc pas
1 Voir Journal des Sciences militaires, décembre 1890.
Après ledépart des maréchaux,Caulaincourt nous représente l'Empereur c o m m e renfermé seul, livré à ses méditations et ne s'occupant de rien pendant toute la journée et le lendemain res- tant encore indécis en affirmant que tout était perdu . Or , je demande s'il est possible d'admettre la véracité de ce récit, lorsque l'on a la correspondance de Napoléon sous les yeux.

Ily adonc eu quelquechose,mais,jelerépète,cenesontpas les maréchaux qui ont poussé Napoléon à Leipzig ; il y a été de son plein gré, croyant qu'il aurait encore le temps de battre l'armée de Bohême avant l'arrivée des autres armées de la Coa- lition.
D'autres encore ont prétendu qu'il s'attendait à une bataille générale et qu'il en acceptait d'avance l'éventualité.Cette manière
de voir ne nous semble pas non plus exacte.Il est vrai que le 6, avant de quitter Dresde,ne se croyant pas certain de prévenir la j o n c t i o n d e s d e u x m a s s e s e n n e m i e s , il a v a i t e n v i s a g é u n m o m e n t la possibilité de cette bataille, et c'est pour cela qu'il avait pres-
1 Saint-Cyr émet d'ailleurs l'avis que la marche sur Leipzig devait conve- nir à l'esprit de Napoléon,justement parce qu'elle était aventureuse.
133
réels,et,par suite,ilestmanifeste que la scène rapportée par Caulaincourt a été imaginée après coup.Sans doute, cette fable reposesurquelquesélémentsvéridiques;ainsi,ilestbien pro- bable que pendant ces journées les maréchaux ont exprimé une sorte de découragement et le désir de se rapprocher de la France soit en l'absence,soit en la présence de Napoléon, et que leur attitude a provoqué quelques réflexions désobligeantes de l'Em- pereur;mais ce que nous n'admettons pas,c'est cette démarche en corps et surtout l'influence qu'elle aurait eue sur les détermi- nations de Napoléon.Et d'ailleurs,en présence de leur désir de serapprocherdu Rhin,n'avait-ilpaslaressource de leur mon- trer que le meilleur moyen d'y arriver était de passer sur la rive
droite pour revenir ensuite par Magdebourg, s'il avait été bien convaincu lui-même que la marche sur Leipzig était périlleuse. Mais il est loin d'en juger ainsi et la preuve c'est qu'il fait écrire, le 14, à Saint-Cyr qu'il va livrer bataille et qu'ensuite il ira le dégager. Enfin, je dirai qu'on ne trouve trace de la scène à laquelle le général Pierron attribue tant d'importance ni dans lesMémoiresdeNapoléon,nidansMarbot,ni dansSégur,ni dansThiers,quin'enparlentpas plus que Marmont.Peletn'en ditquelques mots quepourlarejeter.Saint-Cyrenparle,mais en renversant les rôles, c'est-à-dire en attribuant à Napoléon la
volonté de marcher sur Leipzig et aux maréchaux le désir de passer sur la rive droite 1.

134 -
Le 10,en poussant le gros de ses forces sur Wittenberg, il avait envisagé cette éventualité et il avait admis qu'elle compor- taitunetoutautresolution.Serendantbiencompte que,dans c e t t e h y p o t h è s e il n e p o u v a i t p l u s e m p ê c h e r l a j o n c t i o n d e t o u t e s lesforcesdesAlliés,ils'étaitpromisdes'ydérober,en passant lui-m ê m e sur la rive droite, de manière à ajourner la bataille.
On peut donc s'étonner que, cette hypothèse se réalisant et aprèsl'avoirreconnu,ilaitnéanmoins persisté à marcher sur Leipzig .
Sur ce point,nous croyons qu'on peut bien fournir une expli- cation,mais non pas une justification.
D'abord,malgré la présence de Bernadotte sur la Saale, il espère avoir encore le temps de battre Schwarzenberg avant son arrivée et peut-être m ê m e avant celle de Blücher.
Ensuite Napoléon veut en finir;depuis deux mois qu'il cherche une occasion d'en venir aux mains sans trouver la bataille qu'il désire,ilest à bout de patience.
crit à Saint-Cyr de se préparer à évacuer Dresde ; mais il n'en
estplusdemême àDüben.Sans doute,la bataille générale ne lui paraît pas impossible, et avec la trempe de son caractère qui l'empêchera,aprèsavoirprislecontact,derefuserlecombat:si elleseprésenteill'acceptera;mais en quittantDüben ilespère encore pouvoir l'éviter et réussir à battre ses adversaires succes- sivement .
Telle est,croyons-nous,la pensée de Napoléon lorsque, le 13 au matin,ilprécipite lemouvement de son armée sur Leipzig. Mais,dira-t-on,s'ilenestainsi,pourquoi persiste-t-ildans son projetlorsque,le14avantdequitterDüben,ilapprendque ses hypothèses sur la situation de Bernadotte sont inexactes,et qu'au
lieudepassersurlarivedroitedel'Elbe,cedernier s'est porté sur la Saale en même temps que Blücher.
A notre avis,les raisons qui ont amené Napoléon à persister dans son mouvement sont de deux sortes :
Cettebataille,ilacrudepuisdeuxjoursl'avoirdansdes con-
d i t i o n s f a v o r a b l e s . Il a p p r e n d q u e l e s c i r c o n s t a n c e s n e s o n t p l u s
telles qu'il l'avait espéré, et, néanmoins, il persiste dans son
projet parce qu'il n'est plus maître de lui; il était dominé par les événements,énervé par la résistance qu'il trouvait autour de
luietnesepossédaitplusassezpourcontinueràjouerserré.Au

surplus,siseslieutenantss'étaientfaitbattre,lui-même nel'avait amais été,etilpouvait croire qu'il n'y avait pas de difficultés qu'il ne fût capable de surmonter par sa présence;d'ailleurs, se trouvantencontactavecsesadversaires,latrempedesoncarac- tère l'empêche d'éluder la lutte décisive. En outre, il se croit toujours maître de diriger les événements. « Je ne livrerai bataille que quand je le voudrai, disait-il à Marmont dans la nuit du 11 au 12,ils n'oseront jamais m'attaquer.» C'est sur ce pointqu'ilsetrompaitgravement;carilavait amené ses adver- saires à un tel degré d'exaspération, que tous étaient décidés à
enfinirparunebataillegénérale.
D'ailleurs,leur prudence était à la hauteur de leur ardeur. Ils
n'avaient pas hésité à prendre l'attitude de fuyards tant que les conditions de la bataille ne leur semblaient pas favorables; maintenant qu'ils avaient réussi en se rapprochant à éviter les dangers de leur division, ils étaient résolus à prendre l'offen- sive, mais en y mettant encore la plus grande circonspection. Blücher,à Halle,guettait d'un côté les mouvements de l'armée française, et en même temps entrait en communication avec Schwarzenberg. Il était bien résolu à concourir à la bataille, mais sans se compromettre et en évitant d'avoir seul affaire au gros de l'armée française, et il faut bien reconnaître que les Alliés n'avaient pas seulement le nombre pour eux, mais aussi l'habileté.
On abeaudirequedepuislongtemps,Napoléon lui-même avait envisagé l'hypothèse d'une bataille générale,ilestcertainqu'il nes'yétaitjamaisarrêtéquecomme àunpisaller,etensomme toutes les manoeuvres qu'il avait tentées depuis près de deux mois n'avaient pas d'autre but que de profiter de la séparation des armées alliées pour les battre l'une après l'autre 1.
135 -
Tandis que Napoléon agissait par un coup de tête, eux-mêmes n'étaient conduits que par la plus saine raison.
1 Pour appuyer cette opinion que Napoléon acceptait et même désirait la bataille générale, on rappelle une lettre du 11 mars, comme s'il y avait le moindrerapportentrelasituationdumoisdemarsetcelledumoisd'octobre. Il s'en faut que ce soit là le caractère essentiel de ses opérations ou, comme on dit bien à tort,son plan intégral. (Voir Fragments stratégiques sur la campagnede1813,page24.)

Ilconvenait donc de se dérober à leur étreinte,sauf à recher- cher des conditions de lutte plus favorables,mais en songeant surtoutàserapprocherduRhin.A larigueur,larésolutionque prend Napoléon de se porter sur Leipzig peut se justifier tant qu'il croit Bernadotte sur la rive droite de l'Elbe; mais iln'en est plus de m ê m e dès qu'il sait que l'armée du Nord a été sur la Saale avec celle de Silésie.
Le 14 au matin,au lieu d'aller sur Leipzig avec l'intention de livrer bataille, Napoléon devait donc avoir surtout pour but de l'éviter;non pas qu'il convint d'évacuer Leipzig sur-le-champ,
mais il fallait manoeuvrer de manière à être toujours prêt à s'en éloigner en se retirant sur la Mulde . Le mieux était, croyons- nous , d'essayer encore d'atteindre Blücher et Bernadotte en se disposant à les attaquer avec les 140,000 hommes qui avaient
descendu la Mulde à partir du 9 et en laissant Murat livré à lui- même avec ses forces qui, depuis l'arrivée d'Augereau,se mon- taientàprèsde 70,000hommes.Danscesconditionsilsuffisait de renouveler les ordres qui avaient été donnés au roi de Naples quelques jours plus tôt et qui devaient le conduire, dès qu'il serait obligé à céder Leipzig à l'armée de Bohême,à se retirer sur la Mulde dans la direction de Torgau.
En outre, il convenait de prescrire à Saint-Cyr d'évacuer Dresde et de se porter sur Torgau par la rive droite,car une fois toutes les forces alliées sur la rive gauche, la position de Dresde qui avait déjà été si nuisible pendant la période précédente , ne pouvait plus être utile à rien,même éventuellement.Saint-Cyr, prévenu le 15 au matin,pouvait partir le 16 et arriver à proxi- mité de Torgau le 18. Pendant ce temps Napoléon cherchait la bataille contre Blücher et Bernadotte ; simulant d'abord la fuite,
il pouvait se retourner brusquement contre eux et les rejeter au delà de la Saale, puis se retourner contre Schwarzenberg en ral- liant Murat avec Marmont,Macdonald,la garde et Saint-Cyr débouchant de Torgau.Si l'opération ne réussissait pas,ilfallait absolument se retirer sur l'Elbe,le passer à Torgau et Witten- bergpourmarcherensuitesurMagdebourg.C'étaitlaseulema-
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En réalité,depuis que le11 il avait laissé échapper Blücher, il a v a i t b i e n p e u d e c h a n c e d ' y p a r v e n i r ; s e s a d v e r s a i r e s a v a i e n t réussi à se rapprocher à petite distance l'un de l'autre et il ne pouvait plus empêcher leur jonction.

137 -
nière d'éviter une lutte qui ne pouvait être que défavorable et de
serapprocher du Rhin avectouteslesforcesfrançaises;carnon
seulement on ralliaiť Saint-Cyr,mais peut-être était-il encore
temps de dégager et de ramener les garnisons des places de
l'Oder; de sorte qu'au bout d'un mois Napoléon aurait été en
mesure de déboucher de Magdebourg avec près de 300,000 hommes.
Malheureusement il n'était pas h o m m e à faire résolument la part du feu,iln'était pas prêt à sacrifier une grandeur impos- sible pour conserver celle qui était légitime.
Il n'avait jamais procédé que par coups de foudre et l'idée
qu'en marchant sur Leipzig ilallaitjouer son va-tout,étaitfaite pourleséduire.
On peut dire, en outre,qu'après avoir pris ce parti,Napoléon
n'a mis aucune habileté dans l'exécution. La première condition
à réaliser était en effet d'essayer de dissimuler le mouvement sur
Leipzig.Or en portant dès le 12 le corps de Marmont sur cette
ville,il permettait à Blücher de se rendre compte de tous les
mouvements qu'allait exécuter l'armée française,tout en s'enle-
vantàlui-même lesmoyens d'observer ceux de son adversaire etdelecontenir.
Nous croyons donc que voulant marcher sur Leipzig,Napoléon auraitdûlaisserMarmont à Doelitzsch,où ill'avaitportéle12
dans la matinée,l'y maintenir pendant les journées du 13 et du 14 de manière à couvrir la marche des autres corps d'armée,et
même le pousser sur Landsberg avec une partie de la garde. Napoléon a d'ailleurs si bien compris qu'il avait prescrit un faux mouvement que,après avoir poussé Marmont sur Leipzig le12 au soir,ill'arappelé lelendemain au nord-ouest de la ville.C'est le désir de soutenir Murat qui l'avait amené à prendre sa pre- mière détermination;mais en tenant compte de cette nécessité, rien ne l'empêchait, après avoir disposé d'une partie de la garde pour appuyer Marmont sur Doelitzsch et Landsberg,de diriger le reste sur Leipzig pour soutenir le roi de Naples.
Si Napoléon eût pris ces dispositions,en les complétant d'ail- leurs par l'envoi d'une nombreuse cavalerie dans la direction de
la Saale, il est fort probable qu'il aurait maintenu jusqu'au 15 au soir,aux environs de Halle,Blücher qui malgré son ardeur n'agissait qu'avec beaucoup de circonspection ; au contraire il

aurait pu lui-même disposer de toutes ses forces contre l'armée de Bohême,dans lajournée du 16,car Marmont marchant pen- dant la soirée ou la nuit du 15 au 16,aurait pu y concourir, sauf à laisser une forte arrière-garde sur la position de Brei- tenfeld .
Ayantnégligétoutescesprécautions,Napoléondevaitêtrecon- duit à livrer la bataille dans des conditions imprévues et c'est ce
qui devait amener,le 16,les hésitations et finalement l'inaction
des 30,000 hommes du maréchal Ney dont le concours eût été si
utile pour la bataille.On peut remarquer d'ailleurs que jusqu'à
la fin Napoléon devait se laisser diriger par des hypothèses con- traires à la réalité.
L'idée de supposer à Blücher l'intention de se joindre à Schwar- zenberg par Lützen était certainement très raisonnable ; il est certain cependant,que, si Blücher l'avait réalisée,c'eut été une
circonstance favorable à Napoléon qui,en raison du détour de l'armée de Silésie, aurait pu avoir le temps d'attaquer et de battre l'armée de Bohême avant qu'elle pût être secourue. Il convenait donc d'envisager l'autre hypothèse,celle du retour de Blücher par la rive droite de l'Elster, et la faute de Napoléon a consisté à rejeter cette hypothèse sans vérification et malgré des renseignements qui la représentaient c o m m e conforme à la réa- lité, alors que si ces renseignements étaient vrais, l'arrivée de l'armée de Silésie pour la première bataille allait lui en rendre le gain très difficile.
Napoléon aurait su à quoi s'en tenir si, au lieu d'abandonner sitôt Blücher,il eût continué son offensive jusqu'à la Saale.
138 -
Le 15 au soirMarmont leprévient que Blücher paraît,non pas en marche par la Saale sur Lützen,mais au contraire sur larive droite de l'Elster,entre Halle et Landsberg et prêt à revenir droit sur Leipzig; mais avec ses idées préconçues Napoléon refuse d'ajouter foi à ce renseignement cependant exact.
En terminant ces observations nous croyons devoir revenir encore une fois sur les propriétés des lignes intérieures, car l'analyse de ces derniers événements peut nous permettre d'en compléter la théorie. Les opérations des deux périodes précé- dentes nous ont amené à reconnaître qu'il faut éviter d'attaquer
en même temps sur plusieurs points à la fois et, quand on a

choisi son point d'attaque,qu'il faut s'y engager en poussant l'offensive à fond.
Nous dirons de plus maintenant,en présence des événements qui se sont déroulés du 10 au 15 octobre, qu'il faut renoncer à la pratique des lignes intérieures dès qu'on n'a pu empêcher ses adversaires de se rapprocher pour s'entr'aider, s'ils ont une grande supériorité numérique. Il suffit alors de quelques faux mouvements, c'est-à-dire de mouvements qui ne sont pas tout à fait en rapport avec la situation réelle, pour se perdre. Or, comme l'on ne sait jamais très bien ce que fait l'ennemi, il résulte de ces observations qu'en s'acharnant à utiliser l'emploi des lignes intérieures vis-à-vis d'adversaires très supérieurs en nombre,malgrélesprogrès qu'ilsfontenserapprochantlesuns des autres,on joue trop gros jeu,et,par suite,que la prudence conseille de s'attacher surtout à se soustraire à leur étreinte.
Il est certain que si Napoléon n'avait eu affaire qu'aux armées d e B o h ê m e e t d e S i l é s i e , il p o u v a i t e n c o r e s e t i r e r d ' a f f a i r e b r i l - lamment,car cela n'eût faitque 220,000 hommes en deux armées q u i , q u o i q u e s e r a p p r o c h a n t , n ' é t a i e n t p a s r é u n i e s , e t il e n a v a i t encore près de 200,000 à leur opposer.
Dans ces conditions il pouvait les battre et s'en débarrasser, à
la condition d'avoir plusieurs jours devant lui avant d'avoir d'autres adversaires sur les bras .
Il ne faut pas confondre les propriétés des positions centrales avec celles des lignes intérieures dont elles ne sont qu'un élément .
Les occuper pour y rester vis-à-vis de forces très supérieures n'estpasunavantage,c'estmême unmoyen certaind'aboutirà
- 139 ―
Mais l'arrivée prochaine de Bernadotte et de Benningsen trans- formait complètement la situation.Pour se tirer d'affaire,ilfal- lait non seulement le premier jour refouler Blücher et Schwar- zenberg,maislesmettreendésordre.C'étaitbien difficileetles événements devaient montrer que ,n'ayant seulement à combattre que ces deux adversaires,il ne devait pas obtenir en un jour une victoire décisive.Tout ce que pouvait faire Napoléon en marchant surLeipzig,c'étaitd'yprendrevis-à-visdeBlücheretde Schwar- zenberg une position centrale.Cela ne peut pas suffire à justifier son mouvement. Les positions centrales ne sont bonnes qu'à la condition qu'on en veuille sortir, et non pas si l'on en fait des positions tactiques pour y accepter une bataille.

un désastre.Jamais,auparavant,Napoléon ne les avait recher- chées pour devenir des champs de bataille,mais toujours pour en faire des points de départ de mouvements offensifs.
N'ayant pas réussi à les battre en les tenant éloignés,il n'y avait plus pour Napoléon qu'une bonne manoeuvre : c'était de sortir du cercle dans lequel ilrisquait d'être étouffé etde changer son théâtre d'opérations en recherchant autre part des conditions plus favorables.
En résumant toutes ces observations,nous dirons d'abord que les dispositions que prend Napoléon du 1er au 9 octobre sont tout à fait dignes de son génie militaire.
Après s'être rendu compte de la situation générale de ses adversaires,il ne pouvait rien faire de mieux que de marcher contre Blücher en descendant la Mulde à la tête de 140,000 hommes.Ilétaiten droitd'attendredecemouvement lesplus brillants succès.
Mais il en perd tous les avantages en portant ses forces sur la rive droite de la Mulde,au moment même où l'armée de Silésie passe de l'autre côté.Napoléon permet ainsi à son adversaire de s'échapper,de se rapprocher de l'armée de Bohême en combinant avec elle ses mouvements ultérieurs.
Ensuite,aprèsleserreurscommises du 10 au 12,ilfautrecon-
naître que Napoléon jouait bien gros jeu en se portant sur
Leipzig sans savoir au juste où se trouvaient les armées qui venaient de se dérober devant lui.
En présence de ces opérations,on est obligé de convenir que, du 10 au 14 octobre,Napoléon n'a fait que de faux calculs et qu'il n'a prescrit que de faux mouvements parce que ses combi-
naisons ne reposaient que sur des conjectures dont il n'a pas cherché à vérifier l'exactitude.
140
Et si, le 15 octobre, Napoléon n'avait plus le temps de se portersuccessivementcontresesdeuxadversaires,cen'étaitcer- tainement pas en occupant une position centrale au milieu d'eux qu'il parviendrait à se sauver .
Ilestcertainqu'aumoment même oùildisaitàMarmontque la situation était bien compliquée et que lui seul était capable de la débrouiller, il n'y voyait pas clair lui-m ê m e , et il faut recon- naîtreenmême tempsqu'iln'arienfaitpourl'éclaircir.Dansle

-
141 .
faitily seraitparvenu rapidement si, dès le 10 ou même le 11, il avait adopté la solution la plus simple, qui était en même temps la plus rationnelle.
Pourquoi aller chercher ses adversaires sur la rive droite de l'Elbe sans être sûr qu'ils vont y aller? Est-ce que depuis le 9 on n'étaitpas en contact avec Blücher? Dès lorspourquoi ne pas aller droit sur lui,au lieu de manoeuvrer à distance et par con- séquent dans levide.
Il n'y avait donc qu'un bon parti à partir du 10,c'était d'atta- quer avec toutes ses forces sur la rive gauche de la Mulde et en suivant Blücher dans toutes les directions qu'il avait prises 1.
Ensomme,nousdironsquelasolutioncomplètedu problème
que Napoléon avait à résoudre à la fin de septembre,quand il
apprit le double mouvement des armées alliées sur ses derrières,
d'uncôtéparlaBohême,del'autreparlebas Elbe,étaitlasui- vante :
Manoeuvrer de manière à atteindre l'une des deux armées
avant leur jonction afin de les battre successivement et, dans le cas où l'on n'y réussirait pas , éviter la bataille générale et se dérober aux armées réunies en passant sur la rive droite par Torgau etWittenberg.Agir ensuite suivant les circonstances,en ayantspécialementenvueleretoursurleRhinparMagdebourg, en ralliant Davout et en appelant à soi Saint-Cyr.
Il est certain que Napoléon a entrevu tous les éléments de cette solution,mais iln'en pas suivi le développement d'une manière assez rigoureuse . Il a bien cherché à battre Blücher avant sa
jonction avec Schwarzenberg, mais il l'a laissé échapper au moment où il avait encore de grandes chances de l'atteindre; puis, ne se rendant pas un compte assez exact de la supériorité de ses adversaires, il n'a pas été assez convaincu qu'il fallait
éviterla bataille générale,et c'estce qui l'a amené à en courir les risques en marchant de Düben sur Leipzig.
L'idée de passer sur la rive droite, qu'il a eue d'une manière très nette dès le début, était assurément fort juste, soit pour achever la défaite des armées du Nord et de Silésie, soit pour
1CetteappréciationestcelledeMarmontetaussicelledeSaint-Cyr;lacri-
tique que ce dernier a présenté sur les opérations de cette campagne est de beaucoup supérieure à tout ce qu'on a écrit sur le même sujet.

leur échapper après leur jonction avec l'armée de Bohême ;
c'étaitbien le cas,en effet,d'utiliser les propriétés de cette ligne
de l'Elbe qu'il avait organisée avec tant de soin,afin d'y trouver
à la fois des approvisionnements et des facilités de manoeuvres ;
mais on peut dire qu'en cherchant à en tirer parti, Napoléon a
d'abord voulu réaliser son projet prématurément , avant d'avoir
battu aucun de ses adversaires et sans m ê m e savoir s'ils étaient
disposés à se reporter eux-mêmes sur la rive droite du fleuve,et
q u ' e n s u i t e il y a r e n o n c é a u m o m e n t o ù il n e p o u v a i t p l u s e m p ê -
cher la jonction de toutes les armées alliées au moins par la
Saale, c'est-à-dire au moment où justement c'était la meilleure
ressource,peut-être la seule,qui fût capable de lui permettre de se dérober à leur étreinte.
On peut donc reprocher deux fautes à Napoléon pendant cette
période décisive qui a précédé immédiatement la grande bataille :
la première d'avoir abandonné Blücher au lieu de le suivre sur
la Saale ; la seconde d'avoir marché sur Leipzig au lieu de s'en
éloigner à tout prix .Il est clair que de ces deux fautes la seconde
est de beaucoup la plus grave,car,si la première a permis à Blücher de se tirer d'une situation difficile, elle ne compromet-
tait cependant pas l'armée française ; c'est la seconde seule qui a amené celle-ci à livrer la grande bataille dans des conditions. désastreuses .
Napoléon n'avait plus 200,000 hommes sous la main ; ses adversaires étaient en mesure de lui en opposer davantage dès
le premier jour,et 120,000 de plus deux jours plus tard.
- 142-
Ses adversaires,au contraire,en manoeuvrant avec une grande
prudence,n'avaient jamais perdu de vue le but qu'ils s'étaient proposé d'atteindre et ils avaient réussi à s'approcher assez les uns des autres pour être bientôt en mesure de l'accabler dans une actioncommune.
On peut donc dire que,stratégiquement,Napoléon,le15 au soir, avait perdu la partie.Toutes ses manoeuvres tendant à pro- fiter de la séparation des armées alliées pour les battre sépa- rément ont échoué et il est amené, au contraire, à livrer une bataillegénéraledanslesconditionslesplusdéfavorables.Va-t-il trouver le moyen de ressaisirlavictoire sur le champ de bataille? Ce n'étaitpeut-être pas absolument impossible;ilfaut convenir

cependant que les chances étaient bien petites, car si la concen-
tration de toutes les forces des Alliés, le 15 au soir, n'était pas
complète, leurs armées étaient déjà bien rapprochées les unes
des autres. Ce qui est certain, c'est que Napoléon n'avait pas de
t e m p s à p e r d r e ; c a r , si l e p r e m i e r j o u r il n e l i v r a i t p a s u n e b a t a i l l e
décisive en safaveur,ilétait sûr,à moins de se dérober,d'avoir
à en livrer rapidement une seconde et que celle-là serait déci- sive en faveur de ses ennemis .
Résumé et conclusions.
Les études précédentes nous ont conduit au 15 octobre,c'est- à-dire à la veille de la bataille de Leipzig.Le rôle de la stratégie1 est à peu près terminé ; toutes les forces qui doivent concourir à la lutte ne sont pas encore arrivées sur le champ de bataille, mais elles ont reçu leur dernière direction .
Il n'est pas dans notre programme d'exposer les péripéties de cette lutte gigantesque qui devait avoir pour résultat l'affranchis- sement de l'Allemagne et l'effondrement de la puissance de Napoléon.Les troupes françaises,cependant,devaient se battre pendant troisjours avec héroïsme,mais l'Empereur avait amené la bataille dans des conditions d'infériorité telles qu'il ne pouvait éviter de succomber.
On peut dire que ,dès le 15 au soir,au point de vue stratégique, il avait perdu la partie. Toutes les manoeuvres qu'il avait ten- tées depuis deux mois avaient échoué, et spécialement la der- nière dans laquelle il s'était proposé, en quittant Dresde, d'empêcher la jonction des deux masses principales de la Coali- tion et de s'en débarrasser en les battant successivement.Au contraire,ilallaitlesavoir touteslesdeux en même temps sur les bras et se trouver amené avec moins de 200,000 hommes à livrer labataille décisive contre 320,000 hommes.Tel était,en somme,lerésultatde cettecampagne que Napoléon avait com- mencée avec près de 400,000 contre 500,000 hommes.Il est
↑ Ainsi que je l'ai expliqué dans une brochure récente (Librairie BAUDOIN, 1895),j'entends par stratégie, comme Jomini, les opérations des armées en dehors des champs de bataille,la tactique ayant pour objet la bataille elle- même.
143 -

certain qu'à première vue,et rien qu'en rapprochant les moyens des résultats,on ne peut être conduit à considérer les opérations des forces françaises comme un modèle.
Après avoir recherché les vraies causes de sa défaite dans le travail précédent, nous croyons qu'il ne sera pas inutile, en ter- minant, de résumer les opérations ainsi que les observations qu'elles nous ont suggérées,afin de préciser les conclusions qu'il convient de tirer de ces événements .
Dans la première, qui commence à la rupture de l'armistice. que Napoléon avait eu le tort de conclure après la bataille de Bautzen et qui dure jusqu'à la fin du mois d'août, Napoléon est établi sur l'Elbe avec près de 400,000 hommes . Ses adversaires en ont 100,000 de plus ; mais comme ils sont séparés en trois masses éloignées qui ne peuvent combiner leurs opérations qu'à distance, tandis que les forces de Napoléon sont bien liées en- semble,ilcompte lesattaquer etlesbattre l'un après l'autre.A cet effet, il observe attentivement les mouvements des armées de Bohême et de Silésie,prêt à tomber sur la première qui se mon- trera à sa portée.
Il nous paraît hors de doute que,dans ces conditions,tous les
avantages de la situation étaient de son côté.Aussi,lespremières
opérations sont de nature à satisfaire l'Empereur. Après avoir refoulé Blücher en Silésie,il revient à Dresde pour y gagner une
victoire éclatante.
- 144
Mais l'intérêt que présente au point de vue militaire l'étude de
ces opérations provient de ce que ces forces avaient à leur tête
Napoléon, qui auparavant avait étonné l'Europe par les plus brillants succès.
En dehors de l'étude de l'organisation que nous avons cru devoir tout d'abord présenter,parce qu'elle est sans conteste une des marques les plus sensibles du génie de Napoléon,nous avons divisé les opérations elles-mêmes en trois périodes qui nous paraissent correspondre chacune à un cadre nettement défini et
limité.
Malheureusement, tandis qu'il remportait ces succès, une armée,qu'ilavaitmalencontreusementdirigéesurBerlin,sefai- saitbattre.Touslescritiquesd'uneréellevaleur,Saint-Cyr,Mar- mont,Jomini,sont d'accord pour reconnaître que ce mouvement

- 145
sur Berlin était une faute, et que Napoléon aurait dû au moins le retarder. Quelques jours plus tard,une autre armée que Napo- léon avait laissée devant Blücher éprouvait, de son côté,une
défaite grave, par suite des mauvaises dispositions de son chef.
Cependant,ces deux défaites éprouvées par Oudidot et Macdo-
nald,à Grossbeeren et sur la Katzbach,étaient facilement répa-
rables, si Napoléon eût tiré de la victoire de Dresde les consé-
quences qu'ellecomportait,en achevant,comme illepouvait,la
la désorganisation de l'armée de Bohême qui était la principale
d e l a C o a l i t i o n . M a i s , a u c o n t r a i r e , il s ' e n d é t o u r n a p o u r s ' o c c u -
perdesmoyens de secourirseslieutenants,lâchantainsilaproie
pour l'ombre,et,tandis qu'il combinait à Dresde les opérations
à entreprendre contre les armées de Silésie et du Nord ,le désastre
de Kulm vint lui faire perdre tous les bénéfices de sa victoire.
Ainsi,les défaites de Grossbeeren etde laKatzbach,en dehors
de leurs résultats immédiats qui avaient été de diminuer nos
forces de plus de 30,000 hommes et d'abaisser sensiblement le
moral des troupes françaises en élevant d'autant celui des coali-
sés, avaient eu encore pour effet de permettre à l'armée de
Bohêmebattuedesereprendreet,aumomentmême oùellepou- vait craindre d'être mise hors de cause pour longtemps, de
trouverlemoyen dedésorganiserundenoscorpsetd'annihiler ainsi les résultats de la bataille de Dresde .
Ensomme,lestroisdéfaitesde Grossbeeren,delaKatzbach et de Kulm compensaient largement la victoire que Napoléon avait obtenue et,au bout de quinze jours de campagne sa situa- tion,sans être précisément compromise,était bien moins bonne matériellement et moralement qu'à la reprise des hostilités.
Quant aux causes des défaites essuyées par ses lieutenants, on peut dire que toutes, sauf celle de la Katzbach qui doit retomber sur le maréchal Macdonald, sont imputables à l'Empereur lui- même.Il avait assigné à Oudinot une tâche impossible,que la médiocrité du chef ne devait pas rendre plus aisée, et le mouve- ment qu'il lui avait prescrit sur Berlin n'était pas en harmonie avec lesdispositions générales qu'il avait adoptées.Napoléon est donc le premier auteur de la défaite de Grossbeeren,d'autant plus qu'en dirigeant Oudinot sur Berlin,ilavait imaginé d'ap- puyercemouvementpardeuxcolonnesmobilesqui,venantl'une
de Magdebourg etl'autrede Hambourg,devaient,contrairement
A. G.
10

à ses propres principes, combiner leurs opérations à distance avec le corps principal et sans se lier d'aucune manière avec lui.
Ces dispositions inexplicables de la part de Napoléon ne pou- vaient amener que des échecs qu'il eût été bien facile d'éviter,en se conformant aux principes que l'Empereur n'avait cessé de pratiquer et de proclamer pendant toute sa carrière.
On peut en dire autant du désastre de Kulm ;Napoléon en est le véritable auteur.C'est bien lui qui a prescrit à Vandamme de s'avancer en Bohême, en négligeant de le faire appuyer par aucun autre corps. Jugeant mal de l'état moral de ses ennemis ,
Napoléon avait cru que sa présence n'était pas nécessaire pour
diriger la poursuite, et, ramené à Dresde par une indisposition,
il avait pensé qu'il pouvait y rester pour y étudier de nouvelles opérations et sans s'occuper d'achever lui-m ê m e la défaite de l'armée battue.
Napoléon est donc le véritable auteur de l'insuccès de cette
première partie de la campagne.La cause de cet insuccès ne réside pas dans le système de guerre qu'il avait adopté pour lutter contre ses ennemis,mais seulement dans les dispositions qu'il prit chaque jour pour réaliser ses projets.Malgré le résultat obtenu,nous pensons qu'en raison de la situation des armées en présence à la reprise des hostilités et des plans de campagne arrêtés dans leur ensemble de part et d'autre, toutes les chances étaient du côté de Napoléon .Rien n'était plus facile que d'éviter Grossbeeren et Kulm,et cela n'a dépendu que de lui,et,quant à la défaite de la Katzbach qui est imputable à Macdonald ,elle
eût cu peu de conséquences si l'on eût évité les deux autres.
La faute de Napoléon a consisté à ne pas tenir compte des conditions essentielles auxquelles on doit s'astreindre en prati- quant le système d'opérations par lignes intérieures qu'il voulait suivre, et spécialement en attaquant simultanément les diverses armées ennemies,tandis qu'il ne devait le faire que successive- ment.C'est pour avoir négligé ces conditions que Napoléon n'a
pas tiré de sa situation tous les avantages qu'elle promettait,et qu'il se trouvait à la fin du mois d'août réellement affaibli vis-à-
vis de ses ennemis , tandis qu'en en tenant compte , il aurait presquecertainementtrouvélemoyen dedéciderenquinzejours le sort de la campagne en sa faveur.
- 146 -

- 147-
D'après les divisions que nous avons adoptées, la seconde période s'étend du 1er au 25 septembre.
Dans cette période,le projet de Napoléon est tout d'abord de reprendre la marche sur Berlin, en renforçant les troupes d'Oudi-
not qu'il remplace par Ney ; mais la retraite, de plus en plus désordonnée,de Macdonald l'amène à commencer par soutenir
cedernier;ildirigedoncsagardesurBautzenetreprendl'offen- sive contre l'armée de Silésie avec l'intention de rallier ensuite
Ney. Mais bientôt Blücher se dérobe, tandis qu'au contraire l'armée de Bohême se montre de nouveau sur les routes qui abou- tissent à Dresde. Dans ces conditions, Napoléon ajourne son mouvement sur Berlin et revient à Dresde le 6 septembre, en y rappelant la garde . Il refoule le lendemain Wittgenstein , mais sansluicauseraucunepertesérieuse.Pendantcetemps,Ney,qui a repris la marche sur Berlin sans avoir reçu aucun renfort,s'est s'est fait battre à Dennewitz c o m m e Oudinot l'avait été à Gross-
beeren; mais la défaite est plus grave : les troupes alliées com- mencent à déserter en masse,et Ney,qui est obligé de se replier s u r T o r g a u a v e c 3 2 , 0 0 0 h o m m e s , a u r a b i e n d u m a l à d é f e n d r e le
passage de l'Elbe contre l'armée du Nord que commande Ber- nadotte .
LasituationdeNapoléoncommenceàdevenirdifficile.Au lieu de réparer les défaites de la période précédente, un de ses lieutenants vient d'en subir une nouvelle; quant à lui-même, pendant les huit premiers jours de septembre,iln'a rien fait d'utile.En présencedesprocédésdesesadversairesquisedé robent quand il veut les atteindre, il semble décontenancé ; il v o u d r a i t b i e n l i v r e r b a t a i l l e , il c o m p r e n d b i e n q u e c ' e s t l a s e u l e
manière de se tirer d'affaire,mais il ne sait comment y arriver, et il ne fait autour de Dresde que des mouvements sans portée. Sans doute,la situation était déjà moins favorable au commence- ment de septembre qu'au début des hostilités ;mais si elle venait d e s ' a g g r a v e r d e n o u v e a u , il e s t h o r s d e d o u t e q u e c ' e s t e n c o r e à Napoléon qu'il faut en faire remonter la cause.
D'abord,ildevait absolument interdire à Ney de livrerbataille
sans avoir reçu de renfort,car si quinze jours plus tôt on avait pu seméprendre surlavaleurdel'arméedeBernadotte,ladéfaite
deGrossbeerendonnaitdesrenseignementssuffisantsàcetégard. Napoléon est donc le premier auteur de la défaite de Dennewitz .

--- 148 -
Cependant, la défaite de Ney ne l'amène pas à modifier ses
p r o c é d é s . L e 9 , l e 1 0 , il r e v i e n t a u x f r o n t i è r e s d e B o h ê m e , m a i s ,
en présence de la difficulté des communications, il renonce à continuersonmouvement;ilyrevientencorele16 etle17,mais
cette fois,se trouvant en présence de forces supérieures,il ne cherche pas davantage à attaquer.Pendant ce temps,Blücher a repris l'offensive,etMacdonald a dû évacuer même Bautzen pour se rapprocher de Dresde .Napoléon arrive ainsi jusqu'au 20 sep- tembre sans avoir rien fait que des mouvements insignifiants autour de Dresde.Tandis que dans la période précédente ilavait attaqué partout en m ê m e temps , ce qui caractérise celle-ci,c'est qu'il n'attaque plus nulle part.Au lieu de chercher à profiter de la division de ses adversaires en se jetant avec toutes ses forces surl'und'eux,Napoléonnesongequ'àresserrersapositionautour de Dresde . Pour moi ,j'avoue que plus je réfléchis à cette déter- mination,plus je la trouve incompréhensible de la part d'un h o m m e qui avait dû ses plus beaux succès à la mobilité de ses armées.S'il avait commis des fautes d'exécution dans la période précédente,on peut dire que cette fois il commettait une faute de principe inexplicable de sa part, et peut-être la seule vraiment grave qu'il ait jamais commise.Je crois,en effet,que l'idée de s'attacher ainsi à Dresde est une faute capitale que,jusqu'au
derniermoment,Napoléonpouvaitéviter;carsimême le23ou
Ensuite,on ne voit pas l'avantage qu'il pouvait trouver à aban-
donner l'armée de Silésie, sans l'avoir éloignée d'une manière
sensible,pour revenir contre l'armée de Bohême sans essayer non plus d'aborder sérieusement cette dernière.Malgré la réso- lution de Blücher de se dérober,ne convenait-il pas mieux de le pousser l'épée dans les reins jusque sur la Katzbach ? Blücher refoulé, Napoléon pouvait rallier Ney et marcher sur Berlin, puisqu'il tenait tant à entrer dans cette capitale.Pendant qu'il exécutait cette double opération, il n'y avait rien de grave à redouter du côté de Dresde ; car Saint-Cyr et Victor étaient suf- fisants pour s'ymaintenir pendant longtemps,et,au pis aller, l'évacuation de cette position n'eût pas été un grand malheur. Dans les opérations qui ont lieu du 1er au 8 septembre,on peut
donc reprocher à Napoléon ,en dehors de la défaite de Dennewitz
dont il est le premier auteur, de n'avoir prononcé aucun mouve- ment offensifcapable d'amener un résultat appréciable.

l e 2 4 , a u l i e u d e s ' e n t e n i r à u n e s i m p l e r e c o n n a i s s a n c e , il s e f û t jeté sur Blücher avec le gros des forces qu'il avait sous la main , pour revenir ensuite par Berlin sur Magdebourg,en dégageant et ramenant avec lui les garnisons de l'Oder,il aurait pu encore transformerlasituationàsonavantageetpeut-êtremême trou- ver l'occasion de brillants succès;mais,pour cela,il fallait admettre l'éventualité de l'évacuation de Dresde , évacuation d'ailleurs d'autant plus avantageuse, que le séjour prolongé des troupes y avait épuisé les vivres.Ce quiestétrange,c'estque Napoléon a eu très nettement l'idée de reporter le centre des opérationsversleNord etqu'ilnel'ajamaismisàexécution;de s o r t e q u e l ' o n p e u t d i r e q u e p e n d a n t t o u t e c e t t e c a m p a g n e , il a entrevu toutes les solutions justes et n'en a exécuté aucune . Il observe , tâtonne et n'agit pas avec la décision et l'énergie qu'exi- geaient les circonstances. En somme, pendant cette seconde période,ilavait donné la preuve de son impuissance ;ses adver- saires,au contraire, avaient acquis le sentiment de leur supério- rité.Ayant reçu de nombreux renforts,dont le principal était
l'armée russe de Benningsen qui venait de la Pologne,ils en étaient arrivés à l'idée de rechercher maintenant la bataille déci-
sive.Ilslepouvaientd'autantmieuxquelestroupesdeNapoléon, sans presque combattre,s'étaient notablement affaiblies par les fatigues, les privations et la désertion ; à la fin de septembre,il lui restait à peine 280,000 hommes , en comptant le corps de Davout, à peu près inutile, et celui qu'Augereau avait organisé à Würtzburg, tandis que ses adversaires, ayant réparé leurs pertes,avaient encore 450,000 hommes à lui opposer.
Ils auraient pu songer à l'accabler dans Dresde, où Napoléon n'aurait pu tenir longtemps faute de vivres ;ils aimèrent mieux. se donner rendez-vous à Leipzig sur ses communications.
A p r è s a v o i r a r r ê t é l e u r n o u v e a u p l a n , ils s e m i r e n t e n m o u v e - ment le 25 septembre.C'est à cette date que commence la troi- sièmeetdernièrepartiedenotretravail;elleapour objetl'étude des opérations qui ont amené la bataille de Leipzig.
Pendantcettepériode,lesAlliésontplusquejamaisl'initiative desopérations.D'un côtéBlücher,sedérobanthabilement,des-
cend l'Elbe par la rive droite,traverse ce fleuve près de l'em- bouchure de l'Elster et,après lecombat de Wartenburg,déploie ses forces sur la rive gauche , tandis que Bernadotte passe à
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Acken et à Roslau ;les deux armées de Silésie et du Nord doivent sejoindresurlaMulde,puiscontinuersurLeipzigsilescircon- stances sont favorables.
D'autre part, Schwarzenberg débouche de Bohême en Saxe parChemnitzetparZwickau,ayantaussipour objectifLeipzig. Les premiers mouvements des armées alliées restèrent ignorés de Napoléon ; cependant,divers indices avaient attiré son atten- tion sur le bas Elbe et sur les débouchés de la Bohême .
Quand lui arrive,le 5 octobre,la nouvelle du combat de War- tenburg , il est prêt à mettre en marche le gros de ses forces qu'il a réunies autour de Dresde les jours précédents . Il est d'abord incertain sur la direction qu'il convient de leur donner,mais le 8 il se décide à rallier Ney avec 100,000 hommes pour attaquer Blücher et Bernadotte,tandis que Murat contiendra Schwarzen- berg avec 40,000 hommes.Mais au moment même où ilse dis- pose à aborder l'armée de Silésie,celle-ci passe la Mulde et,après avoir fait sa jonction avec l'armée du Nord ,se porte avec elle sur la Saale. Napoléon voit encore une fois lui échapper ses adver- sairesqu'ilcroyaittenir.Aulieudes'attacheràleurspas,setrom- pant sur la direction qu'ils ont suivie,il prend ses dispositions pour passer l'Elbe à Wittenberg,croyantles retrouver surlarive droite,tandis qu'ils sont restés sur la rive gauche.Cette erreur devait avoir les plus graves conséquences , car Blücher et Berna- dotte sur la Saale pouvaient communiquer avec Schwarzenberg et combiner avec lui leurs opérations par l'ouest de Leipzig, tandis que,si Napoléon les eût suivis dans la direction de Halle, il eût tenu séparé les deux masses ennemies et pouvait encore les empêcher de se réunir sur lechamp de bataille.
Nous avons dit qu'à notre avis Napoléon, en exécutant ces mouvements,avait commis une faute réelle,parce que ses dispo- sitions ne reposaient que sur des conjectures.Mais ildevait bientôt en commettre une bien plus grave.Un moment,envisageant la possibilitédelaréuniondesforcesennemiesversLeipzig,ilavait songé à s'y dérober en portant toutes les siennes sur la rive droite, sauf à profiter ensuite des ponts qu'il possédait sur l'Elbe pour revenir les attaquer dans des conditions plus favorables.C'était là une grande idée digne de son génie; malheureusement,ily
renonça au moment où c'était la seule mesure capable de le sauver; quoique sachant,le 12,que Blücher est sur la Saale,il
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prend le parti de marcher sur Leipzig, et il y persiste alors m ê m e qu'il apprend, le 14, que Bernadotte, qu'il croyait sur la rive droite de l'Elbe,est également sur la rive gauche et que Schwar- zenberg, poussant devant lui Murat, est près d'arriver sur cette position, s'exposant ainsi à avoir en même temps sur les bras touteslesforcesdelaCoalition.Ensomme,sadernièremanœuvre avait échoué comme les précédentes et pour les mêmes motifs ; car,si après avoir pris le contact de Blücher le 9 ,ayant lui-m ê m e 1 4 0 , 0 0 0 h o m m e s s o u s l a m a i n , il e û t p a s s é l a M u l d e e n m ê m e temps quesonadversairele10oumêmelelendemain,ileûtétéen mesure,malgrélaréuniondesdeuxarméesdeSilésieetduNord, de leur faire un mauvais parti en les acculant dans l'angle de l'Elbe etde la Saale,et,malgré les ponts qu'ils possédaient,ils ne s'en seraient pas tirés sans de graves dommages .
A partirdu10,iln'yavaitdoncquedeuxbonspartisàprendre: ou bien continuer l'offensive contre les armées de Silésie et du
Nord,oubienpasseravectoutessesforcessurlarivedroite.En marchant au contraire sur Leipzig,Napoléon allaitêtreamené à accepter la lutte avec moins de 200,000 hommes contre 320,000, car en dehors des trois principales armées de la Coali- tion, celle de Benningsen , qui s'était d'abord dirigée sur Dresde , approchait aussi du champ de bataille et elle devait y arriver pour prendre part à la lutte,tandis que Saint-Cyr restait tou-
jours à Dresde avec ses 30,000 hommes.
Nous avons arrêté là notre étude ; comme nous l'avons dit,
stratégiquementNapoléon avaitperdu lapartie;sansentrerdans tous les détails de la bataille, on peut se demander s'il y pouvait mieuxutiliserlesforcesdontildisposait.
La question ne peut se poser que pour le premier jour de la lutte qui eut lieu le 16 octobre.On sait que Schwarzenberg et Blücher seuls y prirent part du côté des Coalisés, tandis que Napoléon avait déjà sous la main toutes ses forces, sauf le corps deReynier.Or,l'arméedeBohême étaitfortede160,000hommes, cellede Silésie de 60,000,soit ensemble 220,000.Napoléon en avait avec lui environ 175,000 . Il avait gagné plus d'une bataille dans des conditions numériques plus défavorables,et notamment la bataille de Dresde six semaines plus tôt.
Ilfaut remarquer,d'ailleurs,que Blücher et Schwarzenberg

étaient encore mal liés ensemble ; il n'était donc pas impossible de battre le second en l'attaquant avec des forces égales aux siennes, à la condition de rester sur la défensive vis-à-vis du pre- mier et en ne lui opposant que des forces inférieures.C'est bien, en effet, ce que Napoléon voulait faire, mais on sait que pen- dantlabataille,Ney,tirailléentreMarmont,quiétaitattaquépar Blücher,etNapoléon aux prises avec l'armée de Bohême, resta i n u t i l e a v e c p r è s d e 3 0 , 0 0 0 h o m m e s , e t q u e , t a n d i s q u e M a r m o n t. étaitbattu,l'Empereurnelivradel'autrecôtéqu'unebatailleindé- cise.Ilaurait pu en être autrement si Ney fût venu appuyer Mac- donald à la gauche de Napoléon .Nous croyons donc qu'avec une meilleure économie des forces Napoléon pouvait être vainqueur sur le théâtre principal de la lutte.D'autres ont prétendu ' que l'Empereur aurait mieux faitde prononcer l'attaque décisive con- tre l'armée de Bohème par la droite,le long de la Pleisse.Cette manière de voir nous paraît absolument fausse,car c'est de ce côté que Schwarzenberg avait le gros de ses forces. Le point d'attaque choisi par Napoléon était donc le plus convenable pour obtenirlavictoire;maisilfautsedemander cequ'auraitétécette victoireetsurtoutquelles enauraientpuêtrelesconséquences. Or,on doitavanttoutreconnaître que lesadversairesde Napo- léon n'étaient plus ceux d'Austerlitz et d'Iéna et que ses propres troupes avaient également changé,mais en sens inverse.Nous nepouvonsfaireiciquedes conjectures,maisnoussommesfort disposéàcroireque,même avecl'appuidesforcesdeNey,Napo- léon n'aurait pas réussi à mettre l'armée de Bohême en déroute ; son succès n'aurait,d'ailleurs,pas empêché Blücher d'êtrevain- queur au nord de Leipzig,ou, siMarmont s'était retiré devant lui,de le suivre jusque sur la Partha ; cela n'aurait pas empê- ché non plus Bernadotte et Benningsen d'approcher du champ de bataille et de joindre le lendemain, le premier Blücher, le second Schwarzenberg, en réparant largement les pertes que ce dernier aurait pu faire. Dès lors, la seconde bataille était livrée dans des conditions peu différentes de celles où les armées se sont réellement trouvées le 18,et Napoléon aurait toujours fini par succomber.
1VoirFragmentsstratégiquessurlacampagnede1813,p.125.
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Nouscroyons donc,ensomme,qu'avecdemeilleuresdisposi- tions Napoléon pouvait gagner la bataille du 16 , mais que cela ne suffisait pas pour le rendre maître de la situation dans son ensemble ; que ses adversaires étaient maintenant trop nombreux et trop rapprochés les uns des autres pour qu'il pût les battre successivement; qu'après les mouvements des jours précédents il ne pouvait plus songer à une victoire complète,mais seulement à son propre salut,et qu'ilne pouvait y réussirqu'en s'éloignant, de manière à se dérober à l'étreinte des armées ennemies .
Mais si telle était la situation avant la bataille du 16 ,il est clair qu'elle était encore bien autrement périlleuse le soir de cette bataille. Il n'y avait plus qu'une mesure à prendre, c'était de partir au plus vite,et l'on ne comprend pas comment Napoléon s'est exposé à livrer une seconde bataille contre des forces presque doubles des siennes.
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S'ilvoulait gagner la Saale,ilpouvait s'y préparer le17,enga- ger l'après-midi,sur la route de Lützen, une forte avant-garde pour se donner de l'air et porter le gros de son armée au delà des ponts pendant la nuit. L'opération ne pouvait manquer de réussir, et le 19 l'armée française eût été intacte au delà de la Saale. Mais nous pensons que ce n'était pas,à beaucoup près, la meilleure solution,et qu'ileût été bien préférable de se porter sur Torgau.Quel qu'eût été le chef de l'armée française,c'eût été la meilleure mesure à prendre, parce qu'elle permettait de recueillir,avant de revenir sur le Rhin,les 80,000 hommes qui étaient dans les places de l'Elbe et peut-être m ê m e les garnisons de l'Oder. Mais je dirai surtout que cette solution semblait devoir convenir à Napoléon ; car en marchant sur l'Elbe on ne semblait pasexécuterd'aborduneretraite,onpouvaitmême quelquesjours plus tard entrer à Berlin,ce qui,au point de vue du moral des troupes,ne pouvait produire qu'un bon effet; en outre,c'étaitle casd'utilisercettebased'opérationsàlaquelle,dèsledébutdela campagne,Napoléon avaitsembléattachertantdeprix,etl'onne c o m p r e n d p a s c o m m e n t , d a n s l e s c i r c o n s t a n c e s o ù il s e t r o u v a i t , il n'a pas cherché à tirer parti des avantages que lui donnait la possession de tous les ponts du fleuve; car elle lui permettait d'abord de se dérober aux Alliés dont la concentration sur Leipzig
n'eût été qu'un coup d'épée dans l'eau, et ensuite de manoeuvrer librement sur la rive droite.Nous admettrons,toutefois,que les

manœuvres devaient avoir essentiellement pour but le retour sur
le Rhin par Magdebourg, sauf à profiter, chemin faisant, de
toutes les occasions pour obtenir des succès ; mais ce devait
être là le fil directeur dont il ne fallait se laisser écarter qu'à bon escient.
Poursauverl'arméefrançaise,ilsuffisaitdoncdes'éloignerde Leipzig,soitenmarchantverslaSaale,soiten revenantmomen- tanément sur l'Elbe.Mais si c'était là une condition suffisante,il estcertainqu'enmême temps elleétaitnécessaire.C'étaitleseul moyen de réparer l'erreur que Napoléon avait commise en mar- chant sur Leipzig,erreur qui,lelendemain du16,devaitêtre si
manifeste,qu'on peutdirequ'enrestantsurlechamp de bataille
le jour suivant et en acceptant une seconde bataille, Napoléon
s'est laissé aller à la plus grande faute qu'un général ait jamais commise .
S'il eût été convaincu qu'il fallait avant tout se dérober , il ne serait pas resté maître de l'Allemagne,mais ilaurait sauvé son armée, et il se serait retrouvé sur le Rhin avec des forces suffi- santes pour ôter à ses adversaires l'idée de pénétrer en France. Or,la situation était telle,dès le 15 au soir,qu'il ne devait plus désirer autre chose.
En résumé,pendant les périodes successives de cette cam- pagne, toutes les manoeuvres de Napoléon avaient échoué, et comme ellesreposaientsurl'emploideslignesintérieures,c'est ce qui a amené certains critiques à contester les avantages de ce système d'opérations.
On conçoitaisémentqu'enprésencedesrésultatsobtenus,ceux qui n'ont étudié les événements que superficiellement aient été conduits à s'en prendre au principe m ê m e de ces opérations, et, que quelques-uns aient pu soutenir que le système des navettes ne peut réussir que si celui qui le pratique a devant lui des adversairestimides etinhabiles;maisqu'aucontraire,avecun ennemi actif et habile,le cas échéant,à rompre le combat en face de forces supérieures,il n'est pas de manoeuvre en lignes inté- rieures qui puisse réussir.C'est,en somme,la manière de voir du général Pierron,qu'il a exposée à la suite d'une étude publiée dans le Journal des Sciences militaires, en 1890 , et intitulée :
« D e Dresde à Leipzig » . Il faut, d'après lui, suivre les exemples
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que les Allemands nous ont donnés en 1813 et reproduits depuis dans d'autrescirconstances,enréalisantun réelprogrèssurles procédés de Napoléon .
Or,ilfaut remarquer que ce n'est pas seulement pour notre époque que le général exprime cette opinion,mais puisqu'elle repose surtout sur l'étude qu'il a faite de la campagne de 1813 , c'estqu'illatrouvedéjàjustepourl'époquedu premierempire.
Jecroisdevoirprotestercontredepareillesconclusions;mais, en dehors des raisons que l'on peut tirer de l'étude attentive des faits pour les combattre,je ferai remarquer qu'elles ne tendent à rien moins qu'à ruiner tout le système de guerre de Napoléon. Sans doute,ses campagnes présentent beaucoup de variétés dans l'exécution; mais dans leur conduite générale,elles découlent essentiellement d'un petit nombre de principes simples et clairs. On peut dire que tout son système de guerre repose sur la nécessité de la liaison de toutes les forces agissantes, de manière qu'elles puissent toujours se prêter un appui mutuel et immédiat; cette idée est la base non seulement de toutes ses campagnes, mais aussi de tous ses écrits. Il y revient à chaque instant dans sa correspondance et dans ses commentaires ; la plupart de ses critiques portent sur la violation de ce principe fondamental.
Mais si les manœuvres en lignes intérieures, que l'on ne peut évidemment pratiquer que contre un ennemi qui se divise, sont destinées à échouer, pourvu que les armées séparées soient diririgées habilement, c'est que la division des forces n'est pas une cause de faiblesse, et par suite que le principe fondamental de la stratégie napoléonienne n'a aucune valeur. Rien que cette conclusion pourrait faire douter de la justesse des vues du général Pierron ; mais on peut les combattre d'une manière plus directe et faire voir que si l'on peut y être amené par un examen superficiel de la campagne de 1813, l'étude attentive des événements conduit à de tout autres conclusions.
Nous avons déjà, chemin faisant, réfuté cette manière de voir, mais nous croyons devoir revenir encore une fois sur ce sujet, afin de bien mettre en relief les conditions auxquelles est assujetti tout système d'opérations qui repose sur l'emploi des lignes intérieures et de montrer, que si Napoléon y a échoué, c'est qu'il a constamment négligé de tenir compte de ces conditions :
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1er : Le caractère essentiel des manoeuvres par lignes intérieures étant de permettre de lutter avec avantage contre les diverses fractions d'un ennemi qui se sépare, il es t nécessaire de n'attaquer jamais que sur un seul point à la fois; car on ne peut se renforcer d'un côté qu'à la condition de s'affaiblir de l'autre; sur les autres points, il faut être prêt à céder le terrain contre des forces supérieures.

Or, pendant la première période de la campagne d'automne de 1813,Napoléon a attaqué partout en même temps, et c'est
ainsi que, pendant qu'il gagnait la bataille de Dresde, ses lieutenants se font battre à Grossbeeren et à la Katzbach. Il est vrai que cette dernière défaite est due surtout aux mauvaises dispo- s i t i o n s d u m a r é c h a l M a c d o n a l d ; toutefois, il faut remarquer que Napoléon lui avait prescrit, avant de prendre une position défensive, de se porter sur Jauer. Le maréchal aurait pu comprendre que cette prescription n'était pas absolue ; mais il n'aurait pas été superflu de le lui dire d'une manière formelle, et même il aurait été préférable de lui interdire toute offensive pendant l'absence de Napoléon.
Or, Napoléon, s'étant porté une première fois contre Blücher, le 21 août, l'abandonne, sans lui avoir fait subir des pertes
sérieuses. Il aurait suffi de continuer à le pousser vivement pendant vingt-quatre heures de plus pour le mettre dans l'impossibilité de reprendre l'offensive avant plusieurs jours, et cette disposition aurait suffi pour empêcher la défaite de la Katzbach. Ensuite, après avoir gagné la bataille de Dresde, Napoléon se détourne de l'armée de Bohême personnellement, et son éloignement du théâtre principal des opérations est la cause du désastre de Kulm. De plus, pendant le mois de septembre, Napoléon n'attaque plus nulle part d'une manière sérieuse. Il lance seulement Ney sur la route de Berlin avec des forces insuffisantes, et c'est la cause de la défaite de Dennewitz. Quant à lui, il se contente d'allées et venues autour de Dresde,
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2ème : S'il est nécessaire de ne pas attaquer partout à la fois, il ne l'est pas moins de le faire toujours quelque part. L'art consiste à bien déterminer à chaque moment le point d'attaque le plus avantageux et, une fois qu'on l'a choisi, à pousser l'attaque à fond, en ayant soin de ne s'en détourner qu'après avoir éloigné son adversaire en lui causant de réels dommages .

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Enfin, pendant la dernière période des opérations, ayant joint Blücher sur la Mulde, il l'abandonne encore une fois sans l'avoir combattu; et c'est ce qui permet à ce dernier de se tirer dumauvais pas dans lequel il s'était mis, en se rapprochant de l'armée de Bohême.

3ème Afin d'être libre de pousser ses attaques à fond sur les points que l'on choisit successivement, il est nécessaire de con- server une entière liberté de mouvement, et, pour cela, de ne faire dépendre le succès de ses opérations de l'occupation prolongée d'aucune position, en dehors des places fortes solidement organisées, et, susceptibles d'être défendues par des garnisons restreintes.

Au contraire, Napoléon, tout en voulant attaquer tantôt en Silésie, tantôt sur Berlin, a tenu à conserver Dresde, qui n'était pas une place forte. Et c'est ce qui l'a empêché de donner à son offensive toute la vigueur nécessaire, et ce qui l'a amené en fin de compte à laisser dans cette position plus de 30,000 hommes avec le plus habile de ses lieutenants.

4ème : Lorsque, à la suite de plusieurs offensives infructueuses, on voit le cercle sur lequel opèrent lesarmées ennemies se resserrer, il est nécessaire pour éviter d'être investi de réunir toutes ses forces pour sortir de ce cercle. Toute la question est de bien choisir la direction la plus avantageuse et de prendre un parti assez tôt pour ne pas risquer d'avoir simultanément toutes les forces ennemies sur les bras.

Or,Napoléon séjournant à Dresde, malgré l'insuccès de toutes ses tentatives, risquait d'y être investi.
En outre, après l'avortement de sa dernière offensive contre Blücher, alors qu'il ne peut plus empêcher la jonction des deux masses ennemies, au lieu de sortir du cercle, comme il pouvait aisément le faire à Düben, il va justement se mettre au centre. Et c'est la cause immédiate de la défaite de Leipzig, sans aucune portée, et qui n'ont d'autre résultat que de fatiguer
ses troupes, tandis que l'ennemi prend confiance en recevant de nombreux renforts. On voit donc que pendant tout le cours de la campagne, Napoléon a constamment négligé les conditions essentielles de l l'emploi des lignes intérieures.
Mais on peut voir en m ê m e temps pourquoi ce système d'opérations qui venait de produire de si fâcheux résultats, lui avait si bien réussi en1796.
Dans cette campagne si brillante, ce n'est pas simultanément, mais successivement qu'il attaque les diverses colonnes autrichiennes. Et c'est ainsi qu'il repousse la première invasion de Wurmser par les victoires de Lonato et de Castiglione, et plus tard, la dernière, d'Alvinzi, par les victoires de Rivoli et de la Favorite.
n outre, il a soin de ne s'attacher à aucune position d'une manière prolongée, et, contrairement à ce qu'il devait faire à Dresde, il n'hésite pas à évacuer Vérone et même à lever le siège de Mantoue pour livrer la bataille avec toutes ses forces.
Dans le même temps, l'archiduc Charles n'opérait pas autrement contre les armées françaises de Moreau et de Jourdan. Il se dérobe au premier, ne laissant devant lui que le corps de Latour, qui doit se défendre en reculant, tandis que lui même va attaquer le second, et c'est ainsi qu'il gagne la bataille de Wurtzbourg qui amène la délivrance de l'Allemagne.

Il faut reconnaitre maintenant que la pratique des lignes intérieures était plus difficile en 1813 qu'en 1796, non pas seulement à cause de l'accroissement des effectifs, mais surtout en raison de la résolution des Coalisés de se dérober aux attaques de Napoléon lui-même en prenant au contraire l'offensive contre ses lieutenants. Mais il ne s'ensuit pas que cette manière d'opérer dut suffire à faire disparaître les inconvénients de la division de leurs forces ou les avantages de la liaison de celles de Napoléon. Nous croyons qu'en approfondissant le sujet, on est conduit à de tout autres conclusions. Seulement, les dispositions des Alliés exigeaient une riposte qui consistait à pousser l'offensive à fond là où Napoléon était, et à rester sur la défensive en cédant le terrain sur les autres points. Et c'est justement ce que Napoléon a négligé de faire pendant toute la campagne, et c'est pour cela qu'il a constamment échoué.
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L'étude attentive de cette campagne célèbre, montre donc que Napoléon en adoptant le système des lignes intérieures, n'avait pas ses idées complètement arrêtées sur les propriétés de ce système d'opérations, qu'il en a négligé constamment les conditions essentielles ; mais elle ne montre nullement que le principe lui-même soit mauvais.Au surplus, après avoir condamné les manœuvres en lignes intérieures, il reste à dire comment il faut opérer contre un ennemi supérieur qui se divise. Faut-il opposer à chaque armée ennemie, une armée ? C'est s'assurer la défaite sur tous les points. Prendre une position défensive pour livrer bataille ? C'est accepter de plein gré la lutte dans des conditions désavantageuses, tandis qu'au pis-aller dans le système des lignes intérieures on n'y est conduit qu'après des échecs. Tout cela est mauvais et par conséquent aujourd'hui, comme il y a quatre-vingts ans, le mieux est encore d'essayer de battre ses adversaires l'un après l'autre en les attaquant successivement et en se défendant sur tous les points où l'on n'attaque pas, sauf à sortir du cercle en cédant le terrain si le système des navettes a échoué. Sans doute, il ne suffira pas d'employer les lignes intérieures pour être sûr de la victoire, parce que les résultats d'un plan de campagne ne sont pas contenus seulement dans sa conception générale, et qu'ils dépendent surtout de l'exécution.

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Mais, me dira-t-on, sous prétexte de défendre les principes de deux adversaires opérant l'un par lignes multiples, sans liaison, l'autre en cherchant à utiliser les lignes intérieures, si l'un est habile et actif, l'autre n'ayant pas ces qualités sera battu ; la rapidité est surtout nécessaire pour celui qui a les lignes intérieures ; mais il n'en est pas moins vrai que celui qui se divise perd une partie de ses moyens et donne à l'adversaire des avantages que ce dernier n'aurait pas autrement. Il est certain notamment, qu'en1813, siNapoléon eût mieux utilisé les avantages de sa situation, il aurait pu se tirer d'affaire et même obtenir dès le début des succès décisifs. Je ne dis pas qu'il aurait réussi à dominer de nouveau l'Allemagne, car il avait des adversaires acharnés et résolus et que plusieurs défaites n'auraient pas suffi à abattre, mais par ces considérations nous sommes conduit sur le terrain des causes générales et morales en raison desquelles il aurait sans doute fini par succomber. En restant sur le terrain purement militaire, on doit conclure que les adversaires de Napoléon, en lui donnant les moyens d'utiliser les propriétés des lignes intérieures, loin de le mettre dans des conditions défavorables, lui permettaient de lutter avec avantage contre des forces supérieures, et que s'il eût bien tenu compte de toutes les condi- tions de l'emploi de ces lignes, ses adversaires n'en auraient eu raison qu'en modifiant eux-mêmes leur système d'opérations.


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la stratégie napoléonienne, vous arrivez à critiquer l'application que Napoléon Iui-même en a faite. Cela ne suffit-il pas à montrer combien cette application est difficile? Sans doute, l'application des propriétés des lignes intérieures est difficile, mais toutes les fois qu'il y a à lutter contre un ennemi supérieur, on ne peut le faire avec succès qu'en conduisant les opérations avec beaucoup d'habileté .
Il semble que Napoléon avait plus qu'aucun autre toutes les qualités nécessaires pour profiter des avantages que ses adversaire lui livraient, cependant il a échoué; jecrois que cela tient à ce qu'il a été surpris par leur manière d'opérer qui, une fois la division admise, était excellente et que ses réflexions ne l'avaient pas suffisamment préparé à résoudre le problème qui se posait devant lui. Cela ne peut suffire pour contester le génie militaire dont il a donné tant de preuves; je dirai seulement que les hommes, même les plus supérieurs, ne sont pas parfaits et que, dans les questions militaires comme dans toutes les autres branches de l'activité humaine , il est rare de voir un homme , même de génie , établir du premier coup une théorie d'une manière complète avec tous les développements qu'elle comporte.
Or,le système des lignes intérieures, quoique utilisé parfois à des époques antérieures, n'avait été vraiment mis en pratique avec éclat que dans la double campagne de 1796 en Italie et en Allemagne. Mais cette campagne n'a pas suffi à en mettre en relief toutes les propriétés, parce que les adversaires de Bonaparte et de l'archiduc Charles n'ont pas utilisé tous les moyens de résistance qu'ils avaient à leur disposition. Il en résulte que les événements de cette campagne n'ont mis en évidence que les avantages du système sans en montrer les difficultés.

Par suite, Napoléon, amené en 1813 à opérer dans des conditions analogues, s'est trouvé en présence d'une théorie incom- plète qui s'est montrée en défaut devant les habiles moyens de résistance employés par ses adversaires. Mais l'étude des événements montre ce qu'il aurait fallu faire pour en avoir raison et elle nous permet de compléter la théorie, de sorte que, sans prétendre au génie de Napoléon, on peut espérer à l'avenir, en adoptant ses principes dans ce qu'ils ont de fondamental et en en perfectionnant l'application d'après les exemples de l'histoire, en tirer un meilleur parti que lui-même ne l'a fait en 1813.

Voilà, à mon avis, la véritable conclusionàtirerdel'étudecri-
tique de la campagne de 1813 au point de vue des principes de
l'art de la guerre. Les résultats de cette campagne n'infirment
pas la doctrine des lignes intérieures;mais l'analyse des événe-
ments nous permet d'en compléter la théorie et nous fait con-
naîtretoutes lesconditionsdeleuremploi.Ilconvientd'ajouter
qu'en raison des effectifs de notre époque et des perfectionne-
ments apportés aux moyens de transport,elles ne sont plus utili- sables dans les mêmes conditions d'espace et de temps.
Je crois devoir aussi résumer ici les observations auxquelles
j'ai été conduit dans l'étude précédente au sujet du rôle de la place de Dresde1.
E n s o m m e , le rôle de cette position a été presque constamment funeste.
Dans la première période,elle a fourni à Napoléon un débou- ché qui lui a permis de gagner la bataille de Dresde ; mais dans la seconde, elle a été la cause principale de son immobilité et, par suite,de son impuissance; enfin,dans la troisième, en y
laissant les 30,000 hommes de Saint-Cyr, il s'est privé d'une force qui aurait été précieuse sur le champ de bataille de Leipzig. O n ne saurait trop le répéter, les positions fortifiées sont tou-
jours mauvaises lorsque l'on veut s'en servir pour en faire des camps retranchées destinés à appuyer d'une manière prolongée les forces actives d'un pays ; lorsqu'il s'agit d'un c a m p retranché constituéaumoyend'ouvragespermanents,onpeutéviterledan- ger, parce que la position peut alors être conservée avec des forces restreintes; mais avec des ouvrages du moment,lepéril est presque inévitable,parce que l'on ne peut conserver la posi- tion qu'en y laissant de nombreuses troupes, et il faut bien remarquer que,tandis que Napoléon en restant attaché à Dresde perdait la liberté de mouvements qui est une des conditions essentielles de la pratique des lignes intérieures, ses adversaires n'ayant aucune place à prendre ou à garder conservaient l'en-
1 Ceux qui ont lu mes études antérieures ont pu remarquer qu'elles con- tiennent en germe la plupart des jugements développés dans celle-ci. (Voir notamment en ce qui concerne les lignes intérieures et le rôle de Dresde :
3o maxime de Napoléon, p. 30; 4° maxime, p.9; la perte des Etats et les campsretranchés,p.25.)
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A. G.

tière liberté des leurs. Dès lors, sans être jamais gêné par le désird'atteindreun objectifsecondaire,ilspouvaients'appliquer exclusivement à l'objectif principal qui était d'affaibir les forces de leur adversaire.
Le rôle de Dresde,en 1813,aurait pu suffire à nous donner des idées saines sur la question des pivots stratégiques ; iln'était pas nécessaire d'attendre pour cela les événements de Metz et de Paris en 1870. Malheureusement,tandis que quelques-uns re- poussent d'une manière générale l'emploi des lignes intérieures, d'autres voudraient les utiliser dans des conditions où elles ne
peuvent plus rendre aucun service. Autant nous croyons qu'il faut en apprécier les propriétés pour une campagne à conduire sur un vaste théâtre d'opérations,autant nous pensons qu'il faut éviter de leur rien demander sur un théâtre restreint,alors m ê m e
qu'on y a l'appui de la fortification.
On a vu récemment des auteurs prétendre, au contraire,
q u ' e l l e s é t a i e n t a p p l i c a b l e s à l a d é f e n s e d e s c a m p s r e t r a n c h é s , e tF notamment à Metz et à Paris,au moment de la guerre franco- allemande .
Malgré l'exemple de Dresde précédant de soixante ans ceux de 1870,on vient prétendre que siNapoléon eût été à Paris,ilaurait battu les armées prussiennes. C'est,du reste,par des observa- tions de ce genre que bien des gens apprécient les événements de la guerre de 1870. « Si Napoléon eût été là, c o m m e nous aurions
eufacilementraisondesPrussiens»1!A notreavis,cettemanière d'envisager les événements de la dernière guerre n'a pas grande v a l e u r ; c a r N a p o l é o n é t a i t l à e n 1 8 1 3 , e t il a c o n d u i t s o n a r m é e à Leipzig;ilétaitlà en 1815,etill'aconduite àWaterloo.Ilfaut donc convenir que sa présence n'était pas suffisante pour assurer lavictoire,et l'on doit reconnaître en même temps que notre situation en 1870 était bien autrement difficile que la sienne au
mois d'août1813,carilpouvaitcombattredanslesproportions de 4 contre 5,tandis qu'en août 1870,nous étions 1 contre 2. O r , il n ' a s u t i r e r a u c u n p a r t i d e s a s i t u a t i o n ; a u c o n t r a i r e , il a conduit son armée à laruine; sans doute, il n'aurait pas commis les fautes grossières de nos chefs de 1870; mais, pour obtenir
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1 Encore faudrait-il dire au moins de quel Napoléon il s'agit, si c'est de celui de la campagne d'Italie ou de celui de Leipzig.

de meilleurs résultats, il aurait fallu tout d'abord ne pas s'attacher aux positions fortifiées. En somme, lorsque l'on s'efforce de juger ces événements avec une entière liberté d'esprit et sans se laisser éblouir par le souvenir des succès qui avaient précédé nos désastres, on est amené à reconnaître qu'avant tout Napoléon s'est trompé sur deux points : d'abord, dans l'application des propriétés des lignes intérieures, et ensuite au sujet du rôle que pouvait jouer une place improvisée comme Dresde ; puis il faut convenir que, dans le cours de ses opérations, il y a bien d'autres imperfections à relever.
On l'a vu constamment hésiter, indécis à prendre un parti, comme si son esprit n'avait plus la même clairvoyance ni la même résolution. Son attitude pendant le mois de septembre est par-dessus tout surprenante. Les opérations de cette période sont les moins décisives, mais on s'explique difficilement que Napoléon ait pu s'en tenir à ces allées et venues sans portée, en se laissant leurrer par les feintes de ses adversaires. De pareilles procédés étaient tellement contraires à son passé, qu'il semble que l'inaction relative à laquelle il était conduit aurait dû suffire à lui montrer l'étendue de l'erreur qu'il commettait en voulant
rester à Dresde. On ne reconnaît plus Napoléon dans cette cam- pagne, dit Marmont ; Saint-Cyr, de son côté, se demande ce qu'était devenu l'homme de Marengo.
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Il est vrai que quelques écrivains attribuent ses défaites à la mauvaise qualité de ses troupes et à la trahison; mais nous croyons que ces explications ne méritent pas d'être prises au sérieux. En réalité, l'armée de 1813 était excellente dans son ensemble; la campagne du printemps, en dissipant le mauvais effet de la retraite de Russie, avait élevé son moral, et du reste, son attitude sur le champ de bataille de Leipzig suffit à montrer ce qu'elle valait encore, malgré l'action déprimante qu'exerce toujours une succession d'événements malheureux. Sa résistance, véritablement prodigieuse pendant la bataille du 18, tenait surtout à la présence de Napoléon qui, malgré tout, avait encore tout son prestige, et qui recueillait le fruit des succès inouïs qu'il avait remportés pendant quinze ans; mais ce n'est qu'une manière de plus de montrer tout ce qu'il aurait pu tirer de cette armée.

Cependant, des écrivains comme Thiers se refusent le plus souvent à reconnaître les fautes commises, ou plutôt, ne voulant voir les causes de la chute de Napoléon que dans sa mauvaise politique, ils tiennent malgré tout à admirer sans réserve le grand général. Ainsi, Thiers admire avec raison les dispositions que prend Napoléon pour réparer les défaites de Grossbeeren et de la Katzbach, mais il ne trouve rien à dire en constatant qu'il ne leur a donné aucune suite. Il admire encore, et à juste titre, les mesures prises pour assurer la défense de Dresde pendant que Napoléon s'en éloignera, mais il ne remarque pas que ces mesures n'ont servi à rien, puisque Napoléon au lieu de leur laisser produire leur effet, a cru devoir arrêter son offensive sur la rive droite pour revenir dans la capitale de la Saxe. Il admire encore les dispositions que Napoléon prend au milieu de septembre, en resserrant sa position autour de Dresde, sans remarquer qu'il n'en a tiré aucun parti, et que partout où il dirige son offensive, il s'arrête sans avoir obtenu aucun résultat. Il admire les dispositions qui, pendant la dernière période, ont pour but de battre séparément les deux masses de la Coalition en marche sur Leipzig, mais sans trouver rien à dire, en constatant qu'au lieu de suivre Blücher, Napoléon l'abandonne. Il admire enfin l'idée de se porter sur la rive droite, mais sans remarquer qu'il y renonce au moment où c'était pour lui la seule manière de se dérober à l'étreinte dont il était menacé, et dans le mouvement de Düben sur Leipzig, il ne voit que la promptitude avec laquelle l'homme de guerre supérieur change tous ses plans. En un mot, plus Napoléon s'enfonce, plus M. Thiers l'admire !

1: il le blâme de se laisser entraîner à une pareille guerre par une politique extravagante, mais le trouve aussi grand homme de guerre qu'au moment d'Austerlitz et d'Iéna.

Un autre auteur a encore bien dépassé M. Thiers dans cette voie, c'est le général Pelet. L'ouvrage qu'il a écrit sur la cam- pagne de 1813 est, sans contredit, un des plus utiles à consulter au point de vue des documents, mais les appréciations en sont absolument stupéfiantes.

1 Si je discute l'opinion de Thiers, c'est justement parce que dans l'ensemble je fais grand cas de ses œuvres, même au point de vue militaire, et que je suis loin de partager le dédain que quelques écrivains professent pour elles.
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Non seulement les dispositions de Napoléon sont toutes plus admirables les unes que les autres, mais celles de ses adversaires sont pitoyables. D'après Pelet, Napoléon avait non seulement toutes les chances pour lui, mais il a constamment appliqué les vrais principes, en prenant toujours les dispositions les plus judicieuses , tandis que ses adversaires les ont violées sans cesse. En présence d'une pareille critique, on s'explique fort bien que tant de gens ne croient plus à rien ; car, en constatant que les principes appliqués par un homme d'une expérience consommée comme Napoléon vis- à-vis d'adversaires qui n'en ont tenu aucun compte, l'ont conduit à Leipzig, chacun est amené à se demander ce que valent ces prétendus principes, et à croire qu'il y a autant d'avantages à les violer qu'à essayer de les appliquer. Mais à notre avis, il faut repousser un pareil jugement parce qu'il repose sur une idée absolument fausse de la valeur de ces principes.

Le général Pelet semble prétendre en effet que cette valeur est absolue,comme si la science militaire était une science abstraite. Elle n'a au contraire qu'un but, la victoire; les vrais principes sont ceux qui y conduisent, et les mauvais ceux qui mènent à la défaite. La recherche des principes consiste donc à se demander quelles sont les causes des victoires et des défaites, de manière à essayer de les réaliser à l'avenir. Or, l'étude des nombreuses campagnes de tous les temps conduit à penser que s'il y a quelques règles incontestables, elles ne valent que par l'application que l'on en fait, suivant les circonstances, et que , d'ailleurs, ces règles ne sont pas seulement relatives à la conception des opérations, mais que les plus importantes sont peut-être celles qui concernent leur exécution . C'est là surtout la conclusion qu'il faut tirer de l'étude de la campagne de 1813, comme de beaucoup d'autres; car s'il est vrai que les adversaires de Napoléon avaient adopté un plan contraire dans son ensemble aux principes généralement admis , on doit reconnaître qu'ils en ont racheté les défectuosités par les excellentes dispositions qu'ils ont prises dans l'exécution ; tandis qu'au contraire Napoléon , qui avait arrêté un plan des plus juste dans ses lignes générales n'a cessé, durant le développement journalier des opérations de commettre des fautes d'exécution, et il s'y est laissé aller le plus souvent en violant des règles qu'il n'avait jamais perdues de vue au temps de ses victoires.
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De sorte que l'on peut dire qu'à part la conception d'ensemble du plan de campagne, c'est lui et non pas ses adversaires qui a violé les principes, et qu'après en avoir montré l'excellence dans ses premières campagnes, il a fait lui-même la contre-épreuve; que sa défaite loin d'infirmer la valeur des règles qu'il avait si souvent suivies et recommandées, en est la confirmation, et que l'étude comparée de la campagne de 1813 et des précédentes complète l'enseignement que l'on peut tirer de celle des guerres antérieures .
On nous trouvera peut-être bien hardi de nous en prendre ainsi aux dispositions de ce grand homme de guerre ; mais en étudiant ses campagnes, ce n'est cependant pas en exaltant son génie que l'on peut expliquer ses désastres ; car c'est au contraire en raison des défaillances de ce génie même que ces désastres ont été obtenus. La tâche du critique est alors de montrer nettement en quoi ont consisté ces défaillances, et c'est ce que je me suis proposé de faire dans cette étude.
Reste à expliquer maintenant comment Napoléon, qui s'était montré si grand capitaine, aussi bien dans l'exécution des opérations que dans leur conception, a pu se laisser entraîner aux erreurs graves qui ont frappé toutes ses manœuvres d'impuissance autour de Dresde pour le conduire ensuite à la catastrophe de Leipzig.

Les plus grands capitaines ont commis des fautes, et souvent ils n'ont pas hésité à les reconnaître. Turenne disait qu'il avait perdu la bataille de Marienthal par sa faute; l'archiduc Charles, dans l'étude qu'il a faite de ses propres campagnes, a lui-même, à plusieurs reprises, mis en relief les erreurs qu'il avait commises. Nous dirons d'abord que l'imperfection est la règle générale de la nature humaine, et qu'il n'y a pas de raison pour que Napoléon y ait échappé plus que les autres hommes. Quant à Frédéric, il est certain que toutes ses opérations ne sont pas des modèles. Il y a fort à dire dans les batailles de Kollin, de Kunersdorf et de Torgau. C'est de cette dernière que Napoléon a dit : « C'est celle où le roi de Prusse a commis le plus de fautes et la seule où il n'ait montré aucun talent » . On peut presque appliquer cejugement à la conduite de la campagne de 1813,

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car, à part la bataille de Dresde, on ne voit pas une seule opération qui soit à la hauteur du passé de Napoléon. Mais si ses défaillances peuvent s'expliquer d'une manière générale par l'imperfection inhérente à la nature humaine, nous croyons avant tout qu'elles tenaient à l'état particulier de son esprit. Après quinze ans de succès inouïs, Napoléon était convaincu qu'il avait à sa disposition des procédés connus de lui seul, tandis qu'au contraire ses adversaires en avaient pénétré le secret. Tout en se faisant battre, quelques-uns d'entre eux n'avaient pas manqué de réfléchir sur les moyens employés par l'Empereur. Aussi, au lieu de se prêter à ses combinaisons, ont-ils manœuvré de manière à les faire avorter. Les mêmes procédés finissent par s'user avec le temps, et il faut pour fixer la victoire les modifier en les perfectionnant.Tous les systèmes ont des avantages et des inconvénients que les événements mettent plus ou moins en relief, suivant la manière dont les adversaires essaient d'en contrarier l'exécution.

Frédéric avait réussi à envahir la Bohème par des lignes d'opération multiples, grâce à l'inertie de ses adversaires. Au contraire, Wurmser et Alvinzi, en essayant d'envahir l'Italie par de semblables moyens, avaient échoué devant la rapidité des mouvements de Bonaparte. En 1813, les Alliés reprennent les mêmes procédés, mais en ayant soin de se dérober aux coups de Napoléon, et en n'attendant le succès que des défaites de ses lieutenants. Il faut remarquer, d'ailleurs, qu'à l'inverse de Wurmser et d'Alvinzi, qui tenaient à débloquer Mantoue, ils avaient le temps et l'espace pour eux.
Outre qu'ils avaient une plus grande liberté de mouvements, rien ne les pressait d'agir. Ils purent donc sans inconvénient ajourner la solution en refusant le combat toutes les fois qu'ils risquaient de se compromettre. Il semble que Napoléon fut surpris par cette manière d'agir et en même temps décontenancé. Il en était encore aux procédés de 1796, qui n'étaient plus suffisants ; il aurait fallu les perfectionner, et il faut reconnaître qu'il n'a pas su le faire. C'est là la cause de l'avortement de toutes ses manœuvres au commencement de septembre, et ensuite de son inertie relative au milieu du mois .

Et, du reste, il ne doutait pas que, malgré les difficultés qui se présentaient journellement, il finirait bien par obtenir une victoire décisive qui rétablirait ses affaires d'un seul coup.Tandis qu'un autre n'aurait songé qu'à chercher son salut par des moyens ordinaires, lui comptait toujours sur un coup de foudre, et il ne doutait pas que l'occasion s'en présenterait.
Et cependant il n'est pas guéri ; on le voit, au premier succès, prêt à une rechute ; après la période admirable, qui s'étend du lendemain de La Rothière jusqu'à Montereau, non seulement il croit qu'il est sauvé, mais il dit qu'il est plus près de Munich que les Alliés de Paris. Ainsi, tandis que ses adversaires sont aux portes de la capitale, et qu'il les en as seulement éloignés de quelques marches, le salut de la France, la frontière du Rhin ne lui suffisent déjà plus, il faut qu'il redevienne le maître du monde. Cet état d'esprit, qui commence en 1810, avait atteint son maximum d'intensité en 1813.

En contemplant l'oeuvre véritablement étonnante qu'il avait accomplie au printemps : une armée de 400,000 hommes, créée de toutes pièces au lendemain du désastre de Russie, et malgré la guerre d'Espagne , l'Allemagne à moitié reconquise en deux batailles, il était arrivé à ne douter de rien, ni surtout de lui-même.Voilà l'état d'esprit qui l'a amené à faire des fautes militaires réelles, et, quand on les a reconnues, il faut ne pas hésiter à les mettre en relief, afin que l'on voie bien que ,malgré son génie,Napoléon était cependant de la même espèce que les autres hommes, que l'ampleur de son intelligence avait une limite et qu'il était capable de défaillances. Voilà ce qu'il ne faut pas craindre de dire et de répéter, et cela eût été plus utile pour notre pays que de le montrer à la postérité comme l'incarnation infaillible d'une sorte de divinité guerrière n'ayant péri que par la trahison de son entourage.

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On peut dire que sa prodigieuse fortune lui avait enlevé le sens du réel et qu'il a fallu le désastre de Leipzig, succédant à celui de Moscou, pour lui montrer la profondeur du précipice vers lequel il marchait. Alors, il se reprend à penser que, quoique supérieur aux autres hommes, il est cependant de la même espèce et, en 1814, il se retrouve vrai général.

Il faut reconnaître, au contraire, que si Napoléon était finalement battu, c'est parce qu'il le méritait. Il ne faut pas oublier qu'en 1794, c'est-à-dire deux ans avant la campagne d'Italie, l'armée de Sambre-et-Meuse était à Cologne et l'armée de Rhin-et-Moselle aux portes de Mayence. Napoléon n'est donc pour rien dans la conquête de nos frontières naturelles ; on peut dire à la vérité que, sans lui, on ne les aurait pas si facilement conservées pendant quinze ans ; mais, en définitive, il est seul responsable de leur perte.

Sans doute, les désastres de ses dernières années ne peuvent faire oublier la gloire des premières, et, si la France a subi les conséquences de ses fautes, elle bénéficiera aussi devant la postérité de toutes les grandes œuvres dues à son génie.
Elle est solidaire de la grandeur de Napoléon comme de sa décadence, et elle doit se garder de renier cette solidarité.
Mais, à tout prendre, il importe de se dire que, surtout à notre époque, des hommes de cette nature, non seulement ne sont pas nécessaires à la grandeur et à l'indépendance d'un pays, mais que, au contraire, il sera toujours à craindre qu'après y avoir jeté le plus vif éclat, ils ne compromettent sa sécurité. Le propre des hommes comme Napoléon est d'être insatiables; dès qu'ils détiennent le pouvoir, ils s'en servent pour lancer le pays dans des entreprises extravagantes, et, n'ayant pas d'ailleurs dans la conduite de la guerre qu'ils rendent nécessaire l'infaillibilité qui seule pourrait compenser les vices de leur ambition sans frein, ils ne peuvent aboutir finalement qu'à des catastrophes. Or, la campagne de 1813 a montré que Napoléon n'était pas infaillible. Aussi peut-on dire que ce qu'il y avait de plus fatal dans sa destinée, c'est sa chute après sa prodigieuse fortune. En s'en prenant aux forces naturelles, en dédaignant de les apprécier, il devait finir par être broyé par elles et la France avec lui.

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Malheureusement, en tombant sous le poids de ses propres fautes, il devait entraîner avec lui la grandeur de la France, non pas seulement cette grandeur éphémère qu'il voulait étendre du Tage jusqu'à Niemen, mais aussi cette grandeur légitime à laquelle nous avions le droit de prétendre à la suite de vingt années d'héroïsme.

Bien autrement précieux sont des généraux comme ceux qui avaient conduit nos armées pendant les guerres de la Révolution ou comme ceux qui étaient à la tête des armées alliées en 1813. De toute cette pléiade qui avait défendu nos frontières, de 1792 à 1796, il n'en restait plus que deux : Masséna et Saint-Cyr ; le premier, vieilli et disgracié; le second, dont Napoléon appréciait les mérites, mais qu'il n'aimait pas parce que, sous l'Empire, il avait conservé les mœurs des généraux de la République. Plût à Dieu que nous n'eussions jamais eu que des chefs de cette trempe ! Sans doute, aucun d'eux n'avait l'ampleur de l'intelligence de Napoléon ni son génie militaire ; mais ils ne songeaient qu'à servir la France, et non pas à en faire l'instrument de leur ambition. Ils ne nous auraient sans doute pas conduits à Vienne ni à Berlin, encore moins à Moscou ; mais, en revanche, ils n'auraient pas amené l'étranger à Paris. D'ailleurs, remplis d'un mérite sinon transcendant, du moins suffisant pour assurer la grandeur légitime de leur pays, après avoir conquis la frontière du Rhin, ils auraient su nous la conserver.
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Message Publié : 28 Oct 2024 11:17 
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2ème et 3ème maximes de Napoléon :

une armée ne doit avoir qu'une ligne d'opérations; que c'est un principe qui n'admet pas d'exception, que toute jonction de corps d'armée doit s'exécuter loin de l'ennemi et non pas en sa présence !

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Message Publié : 30 Mars 2025 12:02 
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Inscription : 14 Déc 2002 16:30
Message(s) : 15822
Sait-on pourquoi Napoléon n'a pas battu en retraite par Torgau le soir de la bataille de Wachau (16 octobre 1813) ? Par Grok...

La question de savoir pourquoi Napoléon n’a pas battu en retraite par Torgau le soir de la bataille de Wachau, le 16 octobre 1813, touche à un moment clé de la campagne de Leipzig, souvent appelée la « Bataille des Nations ». Analysons cela avec ce qu’on sait de la situation.
Le 16 octobre, Napoléon livre combat près de Leipzig contre les forces coalisées (Autrichiens, Prussiens, Russes et Suédois), qui convergent pour l’écraser. Wachau est l’un des points chauds ce jour-là, où ses troupes, notamment sous Murat, affrontent l’armée russo-prussienne de Wittgenstein. Malgré une résistance acharnée et quelques succès tactiques, la journée s’achève sans victoire décisive pour Napoléon. À ce stade, ses lignes sont sous pression, ses réserves s’épuisent, et les renforts coalisés affluent.
Torgau, située à environ 50 kilomètres au nord-est de Leipzig sur l’Elbe, était une forteresse sous contrôle français et une base logistique importante. Une retraite par Torgau aurait pu offrir une ligne de repli vers des positions fortifiées et des approvisionnements. Alors, pourquoi Napoléon n’a-t-il pas choisi cette option ce soir-là ?

Contexte stratégique : Napoléon croyait encore pouvoir renverser la situation. Le 16 octobre n’était pas une défaite claire – les combats étaient indécis, et il espérait exploiter une percée le lendemain, notamment avec des renforts attendus. Battre en retraite aurait signifié abandonner Leipzig et reconnaître une faiblesse, ce qu’il répugnait à faire tant qu’il voyait une chance de victoire.

Logistique et timing : Une retraite nocturne vers Torgau aurait été risquée. Les routes étaient boueuses (automne en Saxe), les troupes fatiguées, et une telle manœuvre sous la pression ennemie aurait pu dégénérer en déroute. Napoléon préférait souvent garder ses forces concentrées pour une bataille décisive plutôt que de les disperser dans une retraite précipitée.

Positionnement des forces : Les coalisés, sous Schwarzenberg et Blücher, encerclaient progressivement Leipzig. Une retraite vers Torgau aurait exposé ses flancs aux attaques, notamment de Blücher venant du nord. Napoléon a peut-être jugé plus sûr de rester près de Leipzig pour garder ses lignes de communication intactes vers l’ouest (via l’Elbe et Erfurt), plutôt que de s’aventurer vers une forteresse excentrée.

Psychologie de Napoléon : Il était connu pour son obstination. À ce moment, il sous-estimait encore l’ampleur des forces coalisées – près de 300 000 hommes contre ses 190 000 environ. Admettre la nécessité d’une retraite immédiate allait à l’encontre de son instinct de jouer le tout pour le tout.

Ce n’est que le 18 octobre, après des combats désastreux et la défection de ses alliés saxons, qu’il ordonne une retraite, mais pas via Torgau : il choisit la route ouest vers Lindenau, plus directe pour rejoindre la France. Torgau, bien que stratégique, était trop éloignée pour une armée déjà aux abois.
En résumé, Napoléon n’a pas retraité par Torgau le 16 octobre car il misait encore sur une victoire, sous-estimait la menace, et voyait une telle manœuvre comme trop risquée dans l’immédiat. C’est une décision typique de son style : audace jusqu’au bout, parfois au prix de tout.


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