20 mars 1814 Arcis-sur-Aube (France 21 mars 1814 Arcis-sur-Aube Sompuis 22 mars 1814 Orconte 23 mars 1814 Saint-Dizier 24 mars 1814 Doulevant-le-Château 25 mars 1814 Doulevant-le-Château 26 mars 1814 Saint-Dizier 27 mars 1814 Vitry-le-François Saint-Dizier 28 mars 1814 Doulevant-le-Château 29 mars 1814 Troyes
Henry Houssaye, 1814 : "Dans l'après-midi du 27 mars, on était devant Vitry. L'empereur et les maréchaux tenaient conseil sur la possibilité d'enlever la place de vive force, lorsque de nouveaux renseignements arrivèrent de toutes parts[25]. Dépêches interceptées[26], bulletins imprimés de l'ennemi[27], rapports de paysans, récits de prisonniers français évadés, tout s'accorde, tout malheureusement se confirme : les Alliés marchent sur Paris. — Il s'agit bien maintenant de Vitry ! L'empereur remonte à cheval et pique vers Saint-Dizier. Il s'enferme, étudie ses cartes, ses rapports. Il hésite sur le parti à prendre. Il s'abîme dans ses pensées[28]. Depuis son entrée sur la scène du monde, jamais les événements n'ont placé Napoléon dans une aussi redoutable alternative. Le sceptre et l'épée tremblent dans sa main ; il les tient encore, mais le moindre faux mouvement les fera lui échapper.
Faut-il donc revenir à marches forcées vers Paris ? Mais arrivera-t-on à temps ? Les Alliés ont une avance de trois jours sur l'armée impériale. Ne les trouve-t-on pas déjà maîtres de la capitale de la France ? Les quelques troupes des dépôts et les gardes nationales qui en forment la garnison auront-elles pu résister soixante heures ? Faut-il, au contraire, ne pas plus s'inquiéter de Paris que le czar ne s'est inquiété de Moscou, et persister dans le mouvement commencé ? De l'Yonne à la Marne, de la Seine à la Meurthe, les Alliés ont abandonné tout le terrain. [...]
Depuis le début de la campagne, deux idées opposées prédominaient tour à tour, selon l'heure et la circonstance, dans l'esprit de l'empereur : défendre ou abandonner Paris. Il avait dit : Si l'ennemi arrive sous Paris, il n'y a plus d'empire. Il avait écrit : Jamais Paris le sera occupé de mon vivant. Il avait écrit encore : Il ne faut point abandonner Paris, il faut s'ensevelir plutôt sous ses ruines[47]. Mais il avait aussi, à plusieurs reprises, donné des ordres précis pour le départ de l'impératrice et du gouvernement[48], et quand le 21 mars, il avait continué sa marche vers la Marne, il savait que ce mouvement qui pouvait sauver Paris risquait aussi de le livrer. Enfin, selon un témoin véridique, Napoléon n'avait pas cessé de prévoir cette éventualité et il s'était familiarisé avec les résolutions qu'elle comporterait[49].
Il semble, en effet, que le capitaine l'emportait décidément sur le souverain. Napoléon, du moins depuis le 15 mars ; s'était résigné à sacrifier Paris. Il conservait néanmoins l'espoir de n'avoir point à faire un si dangereux sacrifice. L'heure en avait inopinément sonné, et il se reprenait à hésiter. Tout porte à croire cependant que si Napoléon n'eût pris alors conseil que de lui-même, il eût persisté dans sa résolution. Mais il y a son entourage ! il y a son état-major dont le mécontentement et le découragement, qui se sont déjà manifestés à la nouvelle de la rupture du congrès, vont s'accroître à l'annonce de ce parti désespéré. Il y a les ducs de Vicence et de Bassano qui jugent la question au point de vue politique. Il y a Berthier, il y a Ney, il y a Lefebvre, il y a vingt généraux qui ont leur famille, leur hôtel dans Paris menacé, qui sont las de combattre et qui comprennent que manœuvrer eu Lorraine c'est éterniser la guerre. L'empereur cède[50]. À onze heures du soir, le major général expédie les ordres. Il est décidé que les-troupes se mettront en marche le lendemain vers Paris par Bar-sur-Aube, Troyes et Fontainebleau[51]. Cette route, un peu plus longue que celle de Sézanne, donne aux troupes le double avantage de n'avoir pas à forcer le passage de la Marne à Meaux et de cheminer constamment le flanc droit couvert par la Seine.
Dans la matinée du 28 mars, le mouvement commença. À dix heures, l'empereur prêt à quitter Saint-Dizier se mettait à table, lorsque des paysans de Saint-Thiébaut amenèrent sur des charrettes, au quartier impérial, des prisonniers d'importance qu'ils avaient faits sur la route de Nancy à Langres. Il y avait par ces prisonniers le comte de Weissenberg, ambassadeur d'Autriche à Londres.[...]
L'empereur qui croyait à la Destinée vit peut-être sa main dans l'arrestation de Weissenberg. Il fit déjeuner l'ambassadeur avec lui, et à la suite d'un long entretien, il le chargea d'une mission confidentielle pour l'empereur d'Autriche, s'engageant de nouveau, sans doute, à accéder aux conditions des Alliés[53]. Le duc de Vicence remit à Weissenberg, qui partit incontinent dans une voiture donnée par l'empereur, une lettre adressée au prince de Metternich[54]. Cette lettre et ces paroles, comme d'ailleurs les lettres du 25 mars, devaient rester sans réponse. Metternich, qui conspirait depuis Prague la chute de Napoléon, avait désormais tout à fait levé le masque.
Entre cinq et six heures du soir, l'empereur arriva à Doulevent[55] où il fut rejoint par un émissaire de La Valette, son ancien aide de camp d'Égypte, alors directeur général des Postes. Cet homme était porteur d'un billet chiffré. La dépêche, — le seul écrit que l'on eût reçu de Paris, depuis six longs jours[56], — dévoilait les menées des partisans de l'étranger et finissait par ces mots : La présence de l'empereur est nécessaire, s'il veut empêcher que sa capitale soit livrée à l'ennemi. Il n'y a pas un moment à perdre[57]. Il n'y avait pas un moment à perdre, Napoléon le pensait autant que La Valette ; mais force lui était de continuer à marcher militairement, car peut-être des partis ennemis se trouvaient-ils encore entre la Seine et l'Aube. L'empereur des Français ne pouvait pas risquer de se faire enlever par les Cosaques ! Il dut donc passer la nuit à Doulevent. Le lendemain, l'empereur se mit en marche de bon matin avec sa garde[58]. À la grande halte, au pont de Dollencourt, on rencontre toute une troupe de courriers. Les communications étant coupées, plusieurs de ces courriers ont été contraints de s'arrêter trois jours à Nogent et à Montereau. Ils apportent une liasse de lettres du roi Joseph, du ministre de la guerre, de Montalivet. Il y a des projets, des nouvelles des départements, des demandes d'argent ; il y a des rapports sur la bataille de Limonest, sur l'occupation de Lyon, sur les combats de Fère-Champenoise, sur l'évacuation de Sézanne et de Coulommiers[59]. Mais tout cela, c'est déjà de l'histoire ancienne. C'est sur les lettres datées de la veille que se jettent fiévreusement les yeux de l'empereur.
Il apprend que Meaux est au pouvoir de l'ennemi, que l'on combat à Claye, que Marmont et Mortier se dirigent sur Paris[60]. Il y a de moins en moins de temps à perdre. Le général Dejean, aide de camp de l'empereur, quelques heures plus tard le général de Girardin, aide de camp du major-général, partent à franc étrier pour aller annoncer au roi Joseph le retour rapide de Napoléon[61]. On presse la marche des troupes ; on double l'étape. Dans la nuit on atteint Troyes. La garde a fait plus de dix-sept lieues depuis le lever du soleil. L'armée rallie aussi vite qu'elle peut. Ney s'arrête à Dollencourt, Macdonald à Nully ; Oudinot qui fait l'arrière-garde bivouaque près de Doulevent[62].
A Troyes, l'empereur prend à peine le temps de dormir. À l'aube du 30 mars, le commandement de l'armée remis à Berthier qui la doit conduire à Fontainebleau, Napoléon part à cheval, escorté seulement par les escadrons de service[63]. Il compte coucher à Villeneuve-sur-Vanne[64]. Mais l'impatience le dévore. Il se reposera plus tard. En poste, si l'on brûle le pavé, on peut être à Paris dans la nuit même. L'empereur abandonne son escorte et se jette avec Caulaincourt dans un cabriolet d'osier. Drouot, Flahaut et un autre aide de camp montent dans une deuxième carriole ; dans une troisième prennent place l'officier d'ordonnance Gourgaud et le maréchal Lefebvre, qui doit organiser la défense des faubourgs avec la population ouvrière. Les chevaux courent au triple galop sur la route de Paris[65].
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
|