L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 27 Jan 2021 16:12 
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Napoléon envisage un temps de stopper sa marche en avant à Smolensk. Auparavant, il en avait également évoquée l'idée à Witepsk :

« Je m’arrête ici, je veux m’y reconnaître, y rallier, y reposer mon armée, et organiser la Pologne ; la campagne de 1812 est finie ! celle de 1813 fera le reste.
[…]
La première campagne de Russie est finie; plantons ici nos aigles. Deux grands fleuves marquent notre position; élevons des blockhaus sur cette ligne ; que les feux se croisent partout : formons le bataillon carré. Des canons aux angles et à l'extérieur. Que l'intérieur contienne les cantonnements et les magasins. 1813 nous verra à Moscou, 1814 à Pétersbourg. La guerre de Russie est une guerre de trois ans !
[…]
Songez à nous faire vivre ici car nous ne ferons pas la folie de Charles XII ! »
(Ségur, Histoire de Napoléon et de la Grande Armée pendant l’année 1812)

Seulement, comme à Smolensk, la Grande Armée s’ébranle à nouveau suivant les directives rapportées ici par Fain (Manuscrit de 1812) :
«Plus on s'anime chez l'ennemi, répète-t-il à ses généraux, moins nous devons ralentir l'activité de notre invasion. Pourquoi laisserions-nous aux peuples fanatisés de l'Orient le temps de vider leurs plaines immenses et d’accourir?
Les Russes, dit-on, battent volontairement en retraite ; ils voudraient nous attirer jusqu'à Moscou ! Non, ils ne battent pas volontairement en retraite. S'il‘s ont quitté Wilna, c'est qu'ils ne pouvaient plus s'y rallier; s'ils ont quitté la ligne de la Duna, c'est qu'ils avaient perdu l'espoir d'y être rejoints par Bagration. Si dernièrement vous les avez vus nous céder les champs de Witepsk , pour se retirer sur Smolensk , c'est afin d'opérer cette jonction tant de fois reculée. Le moment des batailles approche. Vous n'aurez pas Smolensk sans bataille; vous n'aurez pas Moscou sans bataille.
Une campagne active peut avoir des chances défavorables; mais la guerre qui tirerait en longueur en aurait de bien plus fâcheuses, et notre éloignement de la France ne ferait que les multiplier !
Puis-je penser à prendre des quartiers au mois de juillet ? dit-il encore; une expédition comme celle-ci peut-elle se diviser en plusieurs campagnes ? Croyez-moi, la question est sérieuse, et je m'en suis occupé.
Nos troupes se portent volontiers en avant. La guerre d’invasion leur plaît. Mais une défensive stationnaire et prolongée n'est pas dans le génie français. Nous arrêter derrière des rivières, y rester cantonnés dans des huttes, manœuvrer tous les jours pour être encore à la même place après huit mois de privations et d'ennuis, est-ce ainsi que nous sommes dans l'habitude de faire la guerre ? Les lignes de défense que vous présentent aujourd'hui le Borysthène et la Duna ne sont qu'illusoires. Que l'hiver arrive, et vous les verrez se combler de glaçons, et s'effacer sous la neige.
L'hiver ne nous menace pas seulement de ses frimas; il nous menace encore d'intrigues diplomatiques qui peuvent se brasser derrière nous. Ces alliés que nous venons de séduire, qui sont encore tout étonnés de ne plus nous combattre, et tout glorieux de nous suivre, leur laisserons-nous le temps de réfléchir à la bizarrerie de leur position nouvelle
Et pourquoi nous arrêter ici huit mois, quand vingt journées peuvent nous suffire pour atteindre le but ? Prévenons l'hiver et les réflexions! Il nous faut frapper promptement, sous peine de tout compromettre. Il faut être à Moscou dans un mois, sous peine de n'y entrer jamais !
A la guerre, la fortune est de moitié dans tout. Si l'on attendait toujours une réunion complète de circonstances favorables, on ne terminerait rien.
En résumé, mon plan de campagne c'est une bataille, et toute ma politique, c'est le succès. »

Concernant l’entourage de l’Empereur face aux volontés de ce dernier, se référer à nouveau à Ségur (Histoire de Napoléon et de la Grande Armée pendant l’année 1812) :

« Ceux de son intérieur y apportèrent leur opposition, chacun suivant son caractère : Berthier par une contenance triste, des plaintes et même des larmes ; Lobau et Caulaincourt par une franchise qui, chez le premier, avait une haute et froide rudesse, excusable dans un si brave guerrier; et qui, dans le second, était persévérante jusqu'à l'opiniâtreté, et impétueuse jusqu'à la violence. L'empereur repoussa leurs observations avec humeur; il s'écriait, en s’adressant surtout à son aide-de-camp, ainsi qu'à Berthier : « qu'il avait fait ses généraux trop riches, qu'ils n'aspiraient plus qu'aux plaisirs de la chasse, qu'à faire briller dans Paris leurs somptueux équipages, et que sans doute ils étaient dégoûtés de la guerre! » L'honneur ainsi attaqué, il n'y avait plus de réponse ; on baissait la tête et l'on se résignait.
[…]
Pour Duroc, il désapprouva d'abord par un froid silence, puis par des réponses nettes, des rapports véridiques et de courtes observations. L'empereur lui répondit : « qu'il voyait bien que les Russes ne cherchaient qu'à l'attirer; mais que pourtant il fallait encore aller jusqu'à Smolensk; qu'il s'y établirait, et qu'au printemps de 1813, si la Russie n'avait pas fait la paix, elle était perdue ; que Smolensk était la clef des deux routes de Pétersbourg et de Moscou; qu'il fallait s'en saisir : alors il pourrait marcher en même temps sur ces deux capitales, pour tout détruire dans l'une et tout conserver dans l'autre. »
Ici, le grand-maréchal lui fit observer qu'il ne trouverait pas plus la paix à Smolensk, et même à Moscou, qu'à Vitepsk; et que pour s'éloigner autant de la France, les Prussiens étaient des intermédiaires peu sûrs. Mais l'empereur répliqua « que dans cette supposition, la guerre de Russie ne lui présentant plus aucune chance avantageuse, il y renoncerait; qu'il tournerait ses armes contre la Prusse ; et qu'il lui ferait payer les frais de la guerre. »
Daru vint à son tour. Ce ministre est droit jusqu'à la roideur, et ferme jusqu'à l'impassibilité : la grande question de la marche sur Moscou s'engagea ; Berthier seul était présent; elle fut agitée pendant huit heures consécutives ; l'empereur demanda à son ministre sa pensée sur cette guerre : « qu'elle n'est point nationale, répliqua Daru ; que l'introduction de quelques denrées anglaises en Russie, que même l'érection d'un royaume de Pologne, ne sont pas des raisons suffisantes pour une guerre si lointaine; que vos troupes, que nous-mêmes, nous n'en concevons ni le but ni la nécessité, et que du moins tout conseille de s'arrêter ici. »
L’empereur se récria : « Le croyait-on un insensé ? Pensait-on qu'il faisait la guerre par goût ! Ne lui avait-on pas entendu dire que la guerre d'Espagne et celle de Russie étaient deux chancres qui rongeaient la France, et qu'elle ne pouvait supporter à la fois ?
Il voulait la paix; mais pour traiter, il fallait être deux, et il était seul. Voyait-on une seule lettre d'Alexandre lui parvenir?
Qu'attendrait-il donc à Vitepsk ? Des fleuves y marquaient, il est vrai, une position; mais pendant l'hiver, il n’y avait plus de fleuves en ce pays. Ainsi c'était une ligne illusoire qu'ils indiquaient; une démarcation plutôt qu'une séparation. Il fallait donc en élever une factice, construire des villes, des forteresses à l'épreuve de tous les éléments et de tous les fléaux; tout créer, le ciel et la terre; car tout manquait, jusqu'aux vivres, à moins d'épuiser la Lithuanie et de la tourner contre lui, ou de se ruiner; car si dans Moscou on pourra tout prendre, ici il faudra tout acheter. Ainsi, continua-t-il, nous ne pouvons, ni vous me faire vivre à Vitepsk, ni moi vous y défendre; ni l'un ni l'autre nous ne saurons faire ici notre métier.
Que s'il retournait à Vilna, on l'y nourrirait plus facilement, mais qu'il ne s'y défendrait pas mieux; qu'il faudrait donc reculer jusqu'à la Vistule et perdre la Lithuanie.
Tandis qu'à Smolensk il trouverait, ou une bataille décisive, ou du moins une place et une position sur le Dnieper.
Qu'il voyait bien qu'on pensait à Charles XII; mais que si l'expédition de Moscou manquait d'un exemple heureux, c'est qu'elle avait manqué d'un homme pour l'entreprendre; qu'à la guerre, la fortune est de moitié dans tout; que si l’on attendait toujours une réunion complète de circonstances favorables, on n'entreprendrait jamais rien; que pour finir, il fallait commencer; qu'il n'y a pas d'entreprise où tout concoure, et que dans tous les projets des hommes le hasard a sa place; qu'enfin la règle ne fait pas le succès, mais le succès la règle, et que s'il réussissait par de nouvelles marches, on ferait d'après un nouveau succès de nouveaux principes.
Il n'y a pas encore de sang versé, ajouta-t-il, et la Russie est trop grande pour céder sans combattre. Alexandre ne peut traiter qu'après une grande bataille. S'il le faut, j'irai chercher jusqu'à la ville sainte cette bataille, et je la gagnerai. La paix m'attend aux portes de Moscou. Mais, l'honneur sauvé, si Alexandre s'obstine encore, eh bien, je traiterai avec les boyards; sinon, avec la population de cette capitale : elle est considérable, ensemble et conséquemment éclairée; elle entendra ses intérêts, elle comprendra la liberté. »
Et il termina en disant : « que d'ailleurs Moscou haïssait Pétersbourg; qu'il profiterait de cette rivalité; que les résultats d'une telle jalousie étaient incalculables. »
Ainsi, l'empereur, que la conversation avait échauffé, découvrait son espoir. Daru lui répondit : « que la guerre était un jeu qu'il jouait bien, où il gagnait toujours, et qu'on pouvait en conclure qu'il la faisait avec plaisir. Mais qu'ici, c'étaient moins les hommes que la nature qu'il fallait vaincre; que déjà, soit désertion, maladie ou famine, l'armée était diminuée d'un tiers.
Si les vivres manquaient à Vitepsk , que serait-ce plus loin ? Les officiers qu'il envoie pour en requérir, ne reparaissent plus, ou reviennent les mains vides. Le peu de farine ou de bestiaux qu'on parvient à réunir, est aussitôt dévoré par la garde : on entend les autres corps dire qu'elle exige et absorbe tout; que c'est comme une classe privilégiée. Ambulances, fourgons, troupeaux de bœufs, rien n'a pu suivre. Les hôpitaux ne suffisent plus aux malades : on y manque de vivres, de places, de médicaments.
Tout conseille donc de s'arrêter, et d'autant plus, qu'à dater de Vitepsk, il ne faut plus compter sur les bonnes dispositions des habitants. D'après ses ordres secrets, ils ont été sondés, mais inutilement. Comment les soulever pour une liberté dont ils ne comprennent pas même le nom ? Par où avoir prise sur ces peuples presque sauvages, sans propriétés, sans besoins ? Qu'avait-on à leur arracher ? Avec quoi les séduire? Leur seul bien était la vie, qu'ils emportaient dans des espaces presque infinis. »
Berthier ajouta : « que si nous marchions plus avant, les Russes auraient pour eux nos flancs trop allongés, la famine, et surtout leur puissant hiver; tandis qu'en s'arrêtant, l'empereur mettrait l'hiver de son côté, et se rendrait maître de la guerre, qu'il la fixerait à sa portée; au lieu de la suivre, trompeuse, vagabonde, indéterminée ».
Berthier et Daru répliquaient ainsi. L'empereur les écoutait doucement; plus souvent il les interrompait par des raisonnements subtils : posant la question suivant ses désirs, ou la déplaçant, quand elle devenait trop pressante. Mais quelque fâcheuses que fussent les vérités qu'il eut à entendre, il les écouta patiemment et y répondit de même. Dans toute cette discussion, ses paroles, ses manières, tous ses mouvements furent remarquables par une facilité, une simplicité, une bonhomie, qu'au reste il avait presque toujours dans son intérieur ; ce qui explique pourquoi, malgré tant de malheurs, il est encore aimé par ceux qui ont vécu dans son intimité.
L'empereur, peu satisfait, fit venir successivement plusieurs des généraux de son armée; mais ses questions leur indiquèrent leurs réponses ; et quelques uns de ces chefs, nés soldats, et accoutumés à obéir à sa voix , lui furent soumis dans ces entretiens, comme aux champs de bataille.
D'autres attendirent, pour dire leur avis, l'événement : taisant leur crainte d'un malheur devant un homme toujours heureux, et leur opinion, que le succès leur reprocherait peut-être un jour.
La plupart approuvèrent, sachant bien d'ailleurs, que quand même ils s'exposeraient à déplaire, en conseillant de s'arrêter, on n'en marcherait pas moins. Puisqu'il fallait courir de nouveaux dangers, ils aimèrent mieux paraître les affronter volontairement. Ils trouvaient moins d'inconvénients à avoir tort avec lui, que raison contre lui. »


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 Sujet du message : L'appel aux Polonais...
Message Publié : 27 Jan 2021 16:25 
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L'accueil en Lituanie n'a pas été aussi chaleureux que les Français l'espéraient, Caulaincourt dans ses Mémoires conte l'entrée impériale à Vilna :

« L'Empereur traversa Wilna sans se faire annoncer. La ville semblait déserte. Quelques juifs, quelques hommes de la dernière classe du peuple étaient les seuls qu'on rencontrait dans ce pays soi-disant ami et que nos troupes, harassées et sans distributions, avaient déjà traité plus mal que des ennemis. L'Empereur ne s'arrêta pas en ville.
[…]
Quoique son retour fût annoncé, que sa Maison, que le grand quartier général, la Garde et tout ce qui constatait sa présence y fussent établis, il n'y eut pas le moindre mouvement de curiosité dans la population, personne aux-croisées, aucun enthousiasme, pas même des curieux. Tout était morne.
L'Empereur en fut frappé et ne put s'empêcher de dire en entrant dans son cabinet :
«Ces Polonais-là ne sont pas comme ceux de Varsovie. »
Cela tenait à quelques désordres qui avaient eu lieu en ville et qui avaient effrayé, et aussi à ce que ces Polonais, contents du gouvernement russe, étaient peu portés pour un changement. Puis les Russes étaient encore bien près et il n'y avait eu aucune affaire décisive. »

Plus tard, le 18 juillet, Napoléon ordonne à Maret de faire imprimer à 6000 exemplaires la proclamation suivante :
« La Confédération générale du royaume de Pologne aux Polonais retenus au service civil ou militaire de la Russie.

Compatriotes !
La patrie s'est relevée ! et avec elle, au même instant, tous les devoirs qui vous lient à elle; ces devoirs que vous avez contractés en naissant reprennent leur vigueur. En exisle-t-il de plus anciens et de plus sacrés ? Jetez les yeux sur les fastes du monde, sur les exemples immortels de vos aïeux, sur les faits récents de vos frères; portez surtout vos regards au fond de vos cœurs, et, s'ils sont encore polonais, ils vous diront que, s'il n'y a pas de gloire égale à celle de vivre et de mourir pour la patrie, il n'y a pas de crime ni d'opprobre semblable à celui de servir contre elle, de se joindre à ceux qui l'ont déchirée et qui l'ont inondée de votre sang.
Polonais! sentez-vous le plus douloureux de tous les coups, cet opprobre qu'on veut jeter sur votre race ? Regardez à quel coin sont frappées ces marques qu'on vous fait porter ! de quel sang sont teints ces drapeaux qui flottent sur vos têtes ! Les barbares seuls pourraient concevoir cette idée atroce que vous seriez capables d'envisager comme un bienfait l'affreux privilége de servir ceux dont vous étiez les vainqueurs et les maîtres, la permission de répandre pour eux les restes d'un sang qu'ils n'ont pu entièrement épuiser et dans lequel ils ne se sont déjà que trop baignés.
Tant que la patrie n'existait pas, ils pouvaient être tolérés, ces liens formés par la nécessité, par la violence ou par le soin d'éviter l'œil vigilant du despote. Il n'est sûrement pas de Polonais assez dégénéré pour les porter volontairement; ils ne furent jamais assez forts pour qu'il ne fût pas permis de les rompre; aujourd'hui, ils sont déjà brisés, ils n'existent plus.
La patrie reprend ses droits et va les exercer dans toute leur étendue; il n'y a plus à délibérer ni à choisir : il faut lui obéir ou être sourd à sa voix, et désormais elle n'aura plus à compter que des enfants fidèles ou des traîtres.
0 patrie adorée des Polonais ! non, tu n'éprouveras pas ce comble d'ignominie que tes fils te soient parjures, qu'ils t'abandonnent et qu'égarés par le langage sacrilége des oppresseurs ils puissent appeler leurs services un lien d'honneur ! Eh ! y en aurait-il à plonger un fer parricide dans le sein de sa mère?
La bravoure n'est honorable que lorsque la cause à laquelle elle est consacrée est celle de l'honneur, et la fidélité n'est une vertu que lorsqu'elle protége ces devoirs sacrés que la nature et la patrie ont gravés dans nos cœurs en caractères ineffaçables.
Livrez-vous donc à cette indignation, à cette horreur que doit vous inspirer tout ce qui vient de ceux qui ont juré votre ruine. Ne tardez pas à vous prononcer et vous ferez trembler vos tyrans. Descendants de tant d'illustres patriotes, quittez ces marques qui vous avilissent, jetez ce fer parricide, et, animés d'une juste vengeance, joignez-vous à nous et tournez-le contre vos oppresseurs pour les punir de tant de violences et d'outrages. On n'est jamais mieux paré aux yeux de la patrie que quand on se présente couvert du sang de ses ennemis. Venez, suivez les traces de ces compatriotes vertueux qui, avant dix-huit ans, dès qu'ils ont entendu le cri de la patrie, n'ont pas balancé de briser leurs fers et sont accourus à son secours, en se faisant jour, en foulant les cadavres de ces mêmes esclaves qui prétendent pouvoir vous retenir aujourd'hui.
Quelle plus belle carrière pourrait-on vous offrir que celle où vous vous trouverez réunis à des frères qui, après avoir fait retentir par toute la terre le nom polonais, croient tous leurs travaux récompensés, puisqu'il leur est permis de vous offrir une patrie, de vous inviter à combattre pour elle! C'est ici le vrai champ de l'honneur et du devoir; c'est ici que de véritables Polonais veulent répandre leur sang pour une véritable Pologne, ici sous les yeux du plus grand des héros, du protecteur le plus généreux, ici à côté de la première armée du premier peuple du monde, ici enfin au milieu de toutes les nations civilisées qui ont marché pour se garantir une fois contre les irruptions des barbares.
Venez donc, la patrie vous appelle ! Vos frères vous tendent les bras; nos cœurs, nos temples et nos sanctuaires sont ouverts pour vous. Venez ! que le plus grand des souverains, que l'Europe entière puissent applaudir à ce dévouement, à ce zèle patriotique qui n'admet ni bornes, ni ménagements, ni réserve ; que cette patrie si fière de l'attachement de ses enfants, qui vous sourit maintenant avec tendresse , ne voie pas s'obscurcir l'aurore de sa vie nouvelle, ne soit pas forcée de se montrer sévère et inexorable envers ceux qui, égarés par le plus criminel aveuglement, auraient l'impudence de la renier. »

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Message Publié : 09 Fév 2021 14:39 
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Pour Albert Vandal :

Tome 1 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k ... texteImage
Tome 2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k ... texteImage
Tome 3 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k ... texteImage

J'ai relu avec plaisir les 3 tomes de cet ouvrage, vraiment fouillé et définitif ! Je l'avais découvert à la BU de Bordeaux, au cours de mes études : c'était il y a plus de 40 ans...

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Message Publié : 09 Fév 2021 21:07 
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Bruno Roy-Henry a écrit :
Pour Albert Vandal : J'ai relu avec plaisir les 3 tomes de cet ouvrage, vraiment fouillé et définitif !

Pas lu, mais selon ce que j'en sais il s'agit d'une étude remarquable consacrée à l'alliance russe, aux relations entre Napoléon et Alexandre, étude qui fait toujours autorité :bravobravo:

L'historien Albert Vandal est également connu pour sa non moins remarquable étude (en deux tomes) L'avènement de Bonaparte, consacrée à Brumaire et le Consulat :4:


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Message Publié : 12 Fév 2021 10:35 
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barthelemy a écrit :
Bruno Roy-Henry a écrit :
Pour Albert Vandal : J'ai relu avec plaisir les 3 tomes de cet ouvrage, vraiment fouillé et définitif !

Pas lu, mais selon ce que j'en sais il s'agit d'une étude remarquable consacrée à l'alliance russe, aux relations entre Napoléon et Alexandre, étude qui fait toujours autorité :bravobravo:

L'historien Albert Vandal est également connu pour sa non moins remarquable étude (en deux tomes) L'avènement de Bonaparte, consacrée à Brumaire et le Consulat :4:


3 tomes de 500 pages chacun... faut avoir le temps de lire...


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Message Publié : 12 Fév 2021 19:54 
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Malher a écrit :
3 tomes de 500 pages chacun... faut avoir le temps de lire...

ce sera pour quand nous serons à la retraite ! :4:


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Message Publié : 16 Fév 2021 12:29 
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Après une rcherche, je suis tombé sur ce résumé que j'ai trouvé passionnant (à propos de Sokolov), qu'en pensez-vous ?

Citer :
Je viens de lire le livre d’Oleg Sokolov : « le combat des deux empires ».

Dans un premier temps, je l’ai lu de manière dubitative, et même soupçonneuse. La tonalité des premières pages et même des premiers chapitres m’ont vraiment surpris et je craignais que cet ouvrage d’apparence assez imposante ne soit qu’un ouvrage de réhabilitation de Napoléon, par le truchement d’un dénigrement sans grande nuance de son adversaire, Alexandre 1er.

Je dois dire qu’il m’est même venu l’idée que l’auteur visait surtout à démontrer qu’Alexandre 1er était un autocrate qui sacrifiait les intérêts stratégiques de la Russie à ses ambitions impériales et à ses lubies politiques et personnelles. A un moment, on s’attend même à ce qu’il nous dise qu’Alexandre était une sorte d’agent britannique.
Mais pourtant, Oleg Sokolov est un des historiens russes contemporains les plus sérieux et les plus compétents et est considéré comme le meilleur spécialiste russe de la période révolutionnaire et des guerres napoléoniennes. Et je peux d’ores et déjà rassurer en affirmant qu’il s’agit d’un ouvrage très sérieux, et d’une démarche particulièrement innovante sur le plan de la recherche historique.

Ce qui distingue l’ouvrage de Sokolov de celui de bien d’autres, c’est qu’il est parti non pas de l’intuition mais de la certitude de bon sens que la plupart des sources racontaient n’importe quoi et devaient donc être prises avec beaucoup de méfiance, surtout quand ces sources tendaient à accréditer l’idée d’une fatalité, d’une prescience des événements (toujours louche quand un acteur raconte qu’il a vu venir les choses et en a prévenu en vain les acteurs de 1er plan), ou à faire passer pour des imbéciles soudains des personnages dont l’intelligence et la compétence avait déjà été à maintes reprises démontrée.

Exemples à l’appui, Sokolov montre qu’il faut aborder avec la plus grande méfiance les mémoires et autres sources écrites après les événements. Et il s’est donc attaché à rechercher les sources contemporaines des événements, parce qu’elles n’ont pas pu être déformées a posteriori, afin de s’en servir comme test de fiabilité des sources a posteriori. Cela lui permet d’écarter une masse de sources, mémoires notamment, qui ne font que raconter la vision a posteriori des événements écrite au mieux par des contemporains vieillis, au pire par des auteurs de générations ultérieures ayant vainement glosé sur des sources primaires biaisées et fantaisistes.

J’en viens maintenant au fond de l’ouvrage dont voici en résumé les grands traits.

L’une des thèses de l’auteur, solidement étayée par les archives les plus sûres, c’est que la principale explication du conflit entre la Russie et la France napoléonienne réside dans la personnalité même d’Alexandre 1er qui était considéré, y compris par l’historien de la famille le grand duc Nicolas Mikhaïlovitch Romanov, comme ne s’étant tout au long de son règne jamais soucié des intérêts de la Russie hormis pendant la grande guerre patriotique.

Sa thèse principale, qui structure l’ouvrage, c’est qu’il n’y avait objectivement à l’origine et pendant de nombreuses années aucune raison stratégique pour que la Russie et la France, situées aux deux extrémités de l’Europe, s’affrontent. Mais dès sa montée sur le trône en 1801, à la suite de l’assassinat de son père dans des conditions qui font écrire à Sokolov qu’Alexandre 1er en était au moins le complice consentant, Alexandre a délibérément et méthodiquement recherché le conflit avec la France et saboté consciencieusement le traité de paix négocié entre Napoléon et Paul 1er.
Parenthèse à ce stade pour préciser que Sokolov fait du rattachement militaire du Piémont à la France (avant même l’annexion) la conséquence directe du retournement diplomatique manifeste immédiatement consécutif à l’assassinat de Paul 1er.
Dès sa montée sur le trône sur le trône, Alexandre cherche à réunir la plus grande coalition possible pour vaincre la France de Napoléon et lui faire rendre toutes ses conquêtes. Pas de paix de compromis avec recul territorial à l’esprit : il ne peut s’agit que de la chute de l’ennemi avec entrée des troupes coalisées dans Paris, la France rentrant peu ou prou dans ses limites pré-révolutionnaires.
Il fait pression sur la Prusse, sur l’Autriche, et même sur l’Espagne alliée de la France, pour tenter ce qui a été raté par la 1ère coalition.

Pour Sokolov, la raison d’une telle obstination à vouloir la perte de Bonaparte viendrait de la personnalité d’Alexandre, dissimulée bien sûr mais surtout extrêmement susceptible : Alexandre n’aurait pas supporté que tout le monde, y compris sa belle-famille, lui rabatte les oreilles des exceptionnels talents de Napoléon comme général autant que comme homme d’Etat ayant en très peu de temps réussi un redressement spectaculaire de son pays.

Alexandre aurait voulu la guerre pour des raisons personnelles plus encore qu’idéologiques. Sa démarche s’inscrirait en quelque sorte dans une sorte de prophétie auto-réalisatrice : à force d’avoir voulu et organisé des guerres contre Napoléon et gagnées par Napoléon, il devait bien finir par émerger une situation établissant un véritable motif géopolitique de conflit franco-russe. Et cette situation, ce fut évidemment la restauration d’un embryon de Pologne au détriment de la Prusse en 1807. Napoléon mesurait d’ailleurs bien ce risque puisqu’il a toujours beaucoup hésité sur la Pologne, après comme avant 1807. Pendant la guerre de la 4ème coalition, après les victoires écrasantes de Iéna et Auerstedt, Napoléon a fait des propositions de paix, mais Alexandre et, poussé par lui le roi de Prusse, ont refusé tout compromis et voulu poursuivre le combat. C’est face à ce jusqu’au-boutisme que la Grande Armée a du continuer d’avancer et a de fait libéré la partie prussienne de la Pologne qui était alors en plein soulèvement et qui fournissait spontanément des renforts et un appui à l’armée française.

Alors, a fortiori, après qu’il a été contraint de négocier la paix à Tilsitt et qu’il s’en est sorti avec des conditions d’une clémence inespérée et même, de son point de vue, irrationnelle de la part de la France, Alexandre 1er n’avait pas de raison de changer de cap, celui visant à préparer une grande offensive de puissance coalisées pour faire chuter Napoléon et rabaisser la France.

De son côté, Napoléon raisonnait en géostratège et en politique. Il pensait donc qu’Alexandre 1er ne pourrait que finir par arriver aux mêmes conclusions politico-stratégiques que son père Paul 1er et jouer sincèrement le jeu de l’alliance franco-russe pour faire affaiblir l’Angleterre, son empire mondial, et sa piraterie maritime qui lui faisait violer la liberté du commerce et de circulation de tous pour servir ses intérêts politiques.

En fait, d’après Sokolov – et j’ai beaucoup de mal à ne pas adhérer à son analyse – Napoléon s’est fourvoyé pendant 9 ans, de 1801 à 1810, en ne voyant pas qu’il était certes souhaitable et possible de s’entendre avec la Russie mais qu’il était absolument impossible de fonder une alliance et un accord fiable avec ce tsar-là, Alexandre 1er.
A partir de 1808, Napoléon commence bien à sentir qu’il y a quelque chose qui cloche, qu’Alexandre est fuyant, refuse de s’engager en quoi que ce soit de tangible. Mais il faut dire que mal aidé par un ambassadeur complètement à côté de la plaque (Caulaincourt, très bon soldat, très bon en mondanités, mais complètement aveugle et pas psychologue pour 2 sous), Napoléon ne mesure pas qu’il n’y a tout simplement rien à espérer d’Alexandre, que celui-ci prépare patiemment une guerre offensive de revanche et qu’il la prépare d’autant plus activement qu’il estime, avec certains de ses proches (notamment Bennigsen), que le bourbier espagnol a rendu la France plus faible qu’elle ne l’avait été lors des guerres des 3ème et 4ème coalitions.

Même si en 1809, Napoléon est parfaitement informé que l’armée russe a plus aidé les autrichiens et fait obstacle aux polonais plutôt que rempli le rôle d’un allié loyal, il fait preuve de compréhension en ce sens qu’il mesure à quel point la question polonaise hystérise l’aristocratie russe (une part essentielle de la richesse de l’aristocratie impériale russe vient des dépouilles de la Pologne).

En revanche, à partir de 1810, le tsar masse une armée considérable à ses frontières et se prépare effectivement à envahir la Pologne, alors même que Napoléon démobilise une grande partie de l’armée d’Allemagne. Ces préparations militaires sont évidemment liées aux projets politiques fumeux visant pour Alexandre à se faire proclamer roi d’une Pologne réunifiée sous son sceptre. D’après Sokolov, Alexandre a de fait sabordé la guerre contre l’empire ottoman pour préparer une guerre offensive contre la France impériale.
Et là, Napoléon finit par comprendre, grâce notamment aux renseignements adressés par Poniatowski, Davout et Rapp, qu’Alexandre veut et prépare la guerre.

Sokolov montre cependant que si Napoléon va bien sûr augmenter ses troupes en Allemagne, il ne le fait que pour se préparer à faire face à une attaque russe et empêcher que les russes ne ravagent le grand duché de Varsovie et ne réussissent à obtenir ce faisant le ralliement de la Prusse. Et Napoléon va continuer d’essayer de négocier, mais devant les refus et le jusqu’au-boutisme d’Alexandre, il finit par mieux comprendre la personnalité et les objectifs évidents d’Alexandre.

Quand j’emploie le terme « comprendre », il ne s’agit pas d’une pleine compréhension, car Napoléon devait alors peu ou prou se trouver dans la situation de la personne qui :
- essaie de jouer une partie rationnellement,
- a compris que le partenaire russe ne joue pas rationnellement et s’apprête à renverser la table dès la 1ère occasion,
- mais ne comprend pas pourquoi le partenaire russe ne veut pas jouer rationnellement une partie au lieu de vouloir à tout prix renverser la table.

Sur le plan économique, Sokolov ne nie pas mais relativise les effets négatifs du blocus continental. Certes, le commerce russe, à son plus bas, ira jusqu’à tomber à la moitié de son niveau de 1803, mais il remonte significativement assez vite.

Surtout, Sokolov montre que l’essentiel des débouchés étaient intérieurs et que le blocus a permis de développer fortement, en quelques années, les fabriques locales au détriment d’importations anglaises.
Mais plus important encore, Sokolov tue le mythe selon lequel le blocus était la source principale des difficultés financières de la Russie. Le règne d’Alexandre se caractérise par des émissions considérables de roubles papier.
Les émissions annuelles sont en moyenne de 12 millions de roubles par an entre 1801 et 1804. Elles passent à 31 millions en 1805, 27 millions en 1806 et 63 millions en 1807, ce qui est logique compte tenu qu’il s’agit des années des guerres des 3ème et 4ème coalition. Mais elles sont en moyenne de 70 millions par an entre 1808 et 1810.
Et si on regarde du côté des dépenses militaires, une conclusion s’impose : les difficultés financières de la Russie sont dues à une forte augmentation des dépenses militaires. Pendant certaines des années de paix entre la Russie et la France, les dépenses militaires russes sont supérieures à ce qu’elles étaient pendant les guerres de la 3ème et de la 4ème coalition, le pic des dépenses étant atteint (en roubles argent pour éviter le biais déformant de l’inflation) en 1808 et 1809.

Pour finir (à ce stade ;-) ) avec le panorama de l’ouvrage, Sokolov renverse à son tour la table et démonte l’idée qu’Alexandre et son état-major aient planifié une stratégie de retraite visant à attirer Napoléon dans les profondeurs russes, afin d’attendre qu’il y épuise suffisamment son armée pour lancer une contre-attaque victorieuse.

Il ne trouve nulle part trace de tels plans et démonte notamment l’idée qu’il ait pu y avoir un plan Phull, alors qu’il démontre que ledit Phull n’était guère plus qu’un hurluberlu couchant des considérations délirantes sur papier et était à peu près aussi compétent que Staline pour planifier une stratégie de guerre.
Et à cette absence du grandiose plan tendant à Napoléon un piège qui le perdrait nécessairement, il y a d’ailleurs une bonne raison. Les russes étaient remarquablement informés sur les plans français, l’état et le positionnement des forces des unités de l’armée napoléonienne, grâce à Tchernytchev. Et ils savaient donc que Napoléon visait non pas, surtout pas à s’enfoncer en Russie vers Saint-Petersbourg ou Moscou mais à vaincre l’armée russe là où elle était déjà positionnée, aux frontières, et à ensuite restaurer une grande Pologne pour constituer un glacis défensif viable contre la Russie. Napoléon visait aussi à ne pas trop mortellement se brouiller avec la Russie parce qu’il pensait qu’au final il faudrait bien conclure une paix.
Tout montre d’ailleurs que les préparatifs et les moyens assemblés par Napoléon était adapté à une campagne courte et fulgurante, pas à une longue expédition, en conformité avec les objectifs annoncés.

Et par ailleurs, les russes étaient d’autant plus incités à vouloir jusqu’au bout une action offensive plutôt qu’une retraite que la retraite leur paraissait pleine de dangers : la plupart des élites russes craignait que les populations de la partie russe de la Pologne se rallient dans leur immense majorité avec enthousiasme à Napoléon, et lui fournissent des renforts en hommes. Les sources d’avant guerre montrent que la plupart des russes pensent que la perte de la Pologne est inéluctable. Il y a donc un intérêt très fort à attaquer sur le territoire ennemi.

Ce ne serait que dans les 15 derniers jours précédent le déclenchement effectif des hostilités, qu’Alexandre et Barclay se seraient résolus à reculer parce que Napoléon avait réussi à concentrer des forces supérieures et qu’attaquer frontalement aurait alors été suicidaire. Sokolov corrige aussi au passage une erreur assez grossière d’estimation des effectifs respectifs des 2 armées.
Tout le monde prête alors environ 680 000 hommes à la Grande armée, mais il s’agit là de l’effectif tout mouillé, y compris le train, les soutiens, ordonnances, les effectifs qui étaient affectés à la garde des forteresses et garnisons, et même les malades qui étaient dans les hôpitaux de campagne. A contrario, les russes ne comptent que leurs 3 armées de 1ère ligne, positionnés près des frontières, pour évaluer leur effectif à 230 000 hommes et n’y incluent pas les soutiens. En réalité, la totalité des armées mobilisées par les russes en 1812 approchait les 600 000 hommes.
Une fois retranchés les arrières, le train, et la garde des forteresses/garnisons, la réalité de l’effectif de la grande Armée destiné aux combats est estimée par Sokolov à 450 000 hommes. Napoléon disposait d’une supériorité numérique réelle, mais que Sokolov ne chiffre qu’à une centaine de milliers d’hommes après que les russes ont rapproché leurs renforts des théâtres d’opérations.

Si donc Barclay a fait là preuve d’une remarquable capacité d’improvisation et d’adaptation, il n’y avait pas de plan conçu de longue date, il n’y avait pas eu de préparation ou d’entraînement des unités à ce plan. Et le but n’était pas non plus de reculer sans fin. La question de la définition du point d’arrêt du recul et de lancement d’une contre-offensive n’avait pas été traitée. Cela s’est décidé au coup par coup.

Bref, d’après Sokolov, ce que Napoléon ne pouvait pas prévoir ni deviner, c’est qu’Alexandre et l’état-major russe seraient en réalités à ce point incohérents et incompétents. Il leur a à nouveau prêté des plans militaires cohérents alors qu’ils ont changé d’avis au dernier moment et construit de bric et de broc une stratégie.

C’est le fait que Napoléon n’ait pas su ensuite s’en tenir à un plan cohérent et que les russes aient eu l’opportunité de livrer combat sur leur territoire, avec une meilleure mobilité grâce à leur supériorité en termes de cavalerie, qui fait que ce qui paraissait à tout le monde devoir être une victoire triomphale de Napoléon a tourné au désastre de Russie.


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Message Publié : 16 Fév 2021 14:33 
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Inscription : 14 Déc 2002 16:30
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Effectivement, j'avais lu ce résumé sur le forum conformiste professoral, avant d'acheter l'ouvrage que j'avais trouvé fort bien écrit et assez bien sourcé. Naturellement, Cyril Drouet, l'érudit de service y avait été de sa patte malfaisante... Néanmoins, ayant relu tout récemment Albert Vandal, il s'avère que Drouet ment, comme souvent...

D'après Vandal, Alexandre aurait renoncé à attaquer et à s'avancer jusqu'à la Vistule, après qu'il ait été averti (vers le 20 mars 1812) que la France et l'Autriche avaient signé un traité d'alliance le 12 mars 1812. Sokolov va seulement un peu plus loin en soutenant que le Czar aurait eu des velléités d'offensive jusqu'à la fin mai !

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"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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Message Publié : 16 Fév 2021 14:40 
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indépendamment du terrible drame survenu, il reste qu'Oleg Sokolov est un bon historien, si ce n'est le meilleur historien russe contemporain de la Guerre de 1812 (et qui a également œuvré sur le terrain de la reconstitution historique) quant à Albert Vandal, ses qualités ne sauraient non plus être remises en cause


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Message Publié : 18 Fév 2021 11:59 
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Bruno Roy-Henry a écrit :
Quand on connaît la fin de l'histoire, c'est plus facile de critiquer... Cela dit, je ne vous donne pas entièrement tort.

Quelles sont les raisons qui ont bien pu pousser Napoléon à agir en 1812 ?

Son inquiétude : je l'ai déjà dit. Mais il se sentait décliner et devait se demander s'il était encore capable de soutenir physiquement une campagne.

Son manque de confiance dans ses lieutenants. Même Davout ne le rassurait pas, pas plus que Soult...

Il ne pouvait empêcher les Russes de remporter un succès en Pologne et de cela, il concevait la crainte de voir l'Autriche et la Prusse se déclarer sur ses arrières ou sur ses flancs. Il devait savoir que ces deux puissances armaient secrètement et il n'avait pas tort. Sans doute s'exagérait-il le péril, mais s'il était encore minime en 1812, il pouvait bien devenir réel en 1813.

Il ne pouvait pas de lui-même marcher jusqu'à Torres-Vedras. Il lui aurait fallu 20 jours pour en revenir et gagner la Pologne. Autant pour que la nouvelle de l'attaque russe lui parvienne. C'était 40 jours au moins laissés aux Russes pour prendre Varsovie et entraîner Prusse et Autriche dans la guerre. Il a calculé qu'il valait mieux les avoir avec lui que contre lui...


Pour quelqu'un de diminué physiquement, il a assez bien supporté les fatigues et les difficultés de cette campagne de Russie, aussi bien en tout cas que le tsar Alexandre (qui est parti se planquer à St pétersbourg) et que Koutousof (qui sommnolait pendant La Moskowa). Sur Davout, c'est quand même à luiqu'il pense pour grossir son corps d'armée qui passe de 3 divisions à 5, au point d'atteindre 80 000 hommes...

Pour ce qui est du Portugal, je ne suis pas entièrement d'accord. Admettons le délai de 40 jours pour revenir vers Varsovie : Napoléon n'avait qu'à tout préparer pour revenir sur l'Oder (ou sur l'Elbe), avec 300 000 hommes.
Je reprends vos chiffres : 80 000 de Davout en Pologne, 100 000 en Saxe (sous Augereau, par exemple), 120 000 en Bavière, destinés à l'attendre. Et puis, sans-doute, 80 000 en France (pour combler les pertes). Les troupes marchent moins vite que l'empereur en chaise de poste, mais les concentrations pouvaient être planifiées à l'avance. Donc, revoilà Napoléon entre l'Elbe et l'Oder, retrouvant les champs de bataille de 1806 et 1807. Il aurait grandement puni les Prussiens et les Russes. Je vois mal l'Autriche se prononcer contre nous, qui ne pouvait disposer en 1812 que de 100 000 hommes au plus...

Il me semble que c'était plus facile à organiser et à planifier que l'invasion de la Russie et surtout, que le terrain était plus favorable. Vainqueur, Napoléon n'avait plus qu'à exécuter la prusse, en lui enlevant la Silésie avec échange contre la Galicie pour l'Autriche et la Pologne restaurée. Alexandre pouvait toujours s'entêter derrière le Niemen. Avec des armées réduites et battues, sans aucun espoir de retrouver des alliés sur le continent, il aurait bien fallu qu'il traite surtout si l'Autriche mettait finalement ses 100 000 hommes au service de Napoléon...

Enfin, si le tsar ne bougeait pas, Napoléon liquidait Wellington et le Portugal et achevait de pacifier l'Espagne. Il n'avait plus qu'à attendre que l'angleterre se décompose, avec le concours des USA au besoin...


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