Inscription : 14 Déc 2002 16:30 Message(s) : 15822
|
Billy Ruffian:
<<C'était ainsi que les matelots surnommaient par assonance, le Bellerophon : Bill-le-bandit. Ils ignoraient l’origine de ce nom bizarre et il leur importait assez peu que Bellerophon ait été, selon la mythologie, fils de Neptune et d'Eurymède. Pour ces âmes simples, la sacrée vieille baille demandait double travail si l'on voulait qu'elle fût présentable et tînt honorablement sa place dans la Royal Navy. Elle faisait de l’eau plus qu'il n'était raisonnable, et la corvée de pompe s'ajoutait aux autres besognes. Elle marchait mal et l'on devait grimper sans cesse dans la mâture pour ferler et déferler, bref corriger constamment la voilure. A la moindre houle, elle tanguait et roulait à vous retourner l'estomac, malgré sa masse. L'on ne savait comment les couples de sa membrure encaissaient encore les coups de mer, et même, le simple choc des lames. Le bois de ses ponts et de ses bordés était si usé, si rapiécé et recousu par des générations de charpentiers, que les humoristes de l'équipage soutenaient sans rire qu'il ne tenait plus que par la peinture et jetaient des cris d’alarme quand on grattait. Et ce n'était pas seulement le vieillissement des choses qui rongeait, fibre à fibre, cet assemblage de chêne et de sapin, mais les meurtrissures des tempêtes sans nombre, des grains fouettants, du soleil et de l’eau de mer. Et, plus encore, celles du fer ! Car ce vétéran s’était fait démâter à la bataille d'Aboukir, par l'Orient, vaisseau de l'amiral Brueys ; il était si mal en point qu'il avait dû quitter la ligne, ne gouvernant plus. À Trafalgar, il avait subi d’énormes avaries par le feu de l’Aigle, capitaine Gourrèges. Il était tout juste capable et non sans risques, de croiser devant les côtes de France et, cahin-caha, de rentrer en Angleterre. Mais, à force de soins et de coups de pinceau, il gardait assez belle apparence; les terriens admiraient les impeccables listons jaunes et noirs qui divisaient sa haute muraille, les sculptures qui chargeaient sa proue et sa poupe percée de larges et hautes baies à petits carreaux.>>
George BORDONOVE La vie quotidienne de Napoléon en route vers Sainte-Hélène. Librairie HACHETTE 1977
Lorsqu'on lit ce passage, on ne peut que déplorer que l'Empereur n'ait pas écouté le commandant de la Méduse qui offrait de sacrifier son bâtiment pour permettre à la Saale de passer...
Mauvais marcheur, le Bellerophon aurait eu grand mal à barrer le passage aux frégates françaises. Et même, il n'est pas dit qu'il ait eu le dessus sur une frégate fièrement commandée et décidée à le démâter !
Comme quoi, l'audace aurait encore servi Napoléon ! Cependant, il est trop clair qu'inconsciemment, il désirait se retirer en Angleterre plutôt que de gagner les USA...
|
|