Tiré du site Martin. Avec son aimable autorisation...
Le Retour des Cendres du Roi de Rome Paris, 15 décembre 1840 par René Decq
Avant-propos: Monsieur René Decq, professeur d'Anglais en retraite, est un authentique passionné d'Histoire napoléonienne. Conférencier émérite, il est membre de l'association "Les Vosges Napoléoniennes" et du "Souvenir Napoléonien". J'ai fait sa connaissance en juin 2003, à l'occasion des Journées Napoléoniennes de Corps (Isère). Intarissable sur le Premier et le Second Empire, c'est à l'occasion de l'une de nos conversations qu'il m'a apprit avoir assisté en compagnie de son père au Retour des Cendres du Roi de Rome, le 15 décembre 1940 à Paris, en pleine occupation allemande. Les témoignages de contemporains sur cet événement étant rares, je l'ai invité à en faire la relation. « -Oh, vous savez, je n'ai pas vu grand chose, m'a-t-il dit alors avec humilité, et ma mémoire n'est plus ce qu'elle a été.». Enfin, il a accepté et je l'en remercie chaleureusement. Le lecteur, j'en suis convaincu, prendra plaisir à sa découverte, car il n'y trouvera aucune affabulation, aucun embellissement qui trahirait l'Histoire ou servirait l'auteur. Si certains détails manquent ou sont imprécis, il ne perdra pas de vue que l'événement fut vécu par un adolescent de 15 ans dans des conditions assez éprouvantes. C'était il y a 63 ans...
A. Martin - Sept 2003
on témoignage consiste surtout en une évocation d'images choc chez un enfant de 15 ans, (je vais en avoir 78), davantage intéressé par le spectacle de la capitale qu'il découvre pour la première fois que par l'impression d'assister à un événement historique.
Nous sommes en décembre 1940, la France et les Français sont encore tout traumatisés par notre effondrement militaire et aussi par l'épisode tragique de Mers-El-Kébir où les Anglais, sans avertissement, ont assassiné une partie de notre flotte de la Méditérranée. De sorte que entre les Allemands et le coup de poignard de nos ex-alliés, les Français sont déboussolés et cherchent des repères. A signaler qu'en décembre 1940, très peu de gens ont entendu l'Appel du général de Gaulle. Le général est encore pour nous quelqu'un de tout à fait inconnu.
Mon père, cheminot, est déjà un napoléonien fervent. J'avais à peine dix ans qu'il me récitait par coeur et fièrement ces vers de Victor Hugo: «Allons, faites donner la Garde, les Lanciers, Grenadiers aux guêtres de coutil, cuirassiers, canonniers qui traînaient le tonnerre...»
Je connaissais déjà bien sûr, toute l'histoire de Napoléon. Je l'avais lue et relue. Ma grand-mère, alors que je savais à peine lire, m'avait déjà offert un livre sur l'Empereur par Louis Bertaud. Un livre que j'ai toujours conservé. J'en revois toujours les images. Je viens d'ailleurs de le décerner à mon petit-fils en souvenir de son grand-père.
En 1940, nous habitions Hénin-Liétard dans le Pas-de-Calais. En rentrant un soir, mon père nous dit: « Je viens d'apprendre qu'on ramène à Paris les Cendres de l'Aiglon. René, dit-il, nous y allons !».
La perspective d'aller dans la capitale que je n'avais pas encore visitée me réjouissait d'autant plus que ce voyage représentait trois jours d'absence à l'école. J'étais en cinquième à l'époque.
Nous prenons donc le train rapide numéro 306 en gare de Douai, en début de matinée, pour arriver à Paris cinq heures plus tard. Il n'y a que 240 kms.
Mon père, avec une mission quasi officielle, muni d'un ausweis pour franchir les contrôles allemands de la zone rouge, manifestait son étonnement de voir les ponts déjà reconstruits. Arrivée à Paris. Déjeuner à la cantine des cheminots de la gare du Nord. Le rationnement existe déjà, mais il ne se manifeste pas encore avec la sévérité draconienne que l'on connaîtra par la suite. L'après-midi, passage à la gare de l'Est où mon père s'informe sur l'arrivée ou non du fourgon ramenant la dépouille de l'Aiglon. Incertitude et indifférence chez les cheminots. Oui, on a entendu parler d'un convoi funéraire, mais, mais, mais... Une section de l'armée allemande monte une garde vigilante autour d'un fourgon. Pour les cheminots, ce doit être la dépouille d'un haut dignitaire Allemand... duc de Reichstadt..., on ne sait. Evidemment, pour les cheminots, le nom de duc de Reichstadt ou celui de Roi de Rome, demeuraient des noms inconnus au bataillon. Mon père essaye d'obtenir des renseignements sur le transfert officiel. On ne sait pas. Il faut attendre des précisions. Le soir, nous allons coucher chez des cousins à Maison-Alfort. Le lendemain, nous revenons. Impossible d'obtenir des précisions sur ce corps.
Mon père décide d'aller aux Invalides. On reprend le métro. C'est pour moi, une aventure fascinante, palpitante. Mais il fait très froid. Un vent glacial souffle sur la capitale et il y a des bourrasques de neige. Je découvre des avenues très larges qui me fascinent. Il y a beaucoup de circulation. Mais ce sont surtout beaucoup de véhicules allemands, des espèces de fourgonnettes avec une pancarte où est écrit: "WH". On s'approche des Invalides dont j'admire la coupole qui scintille malgré les bourrasques de neige. L'entrée du monument est barrée par un cordon de police française. De nombreux camions civils et véhicules allemands cernent la place. Il y a beaucoup de monde sur l'Esplanade. Beaucoup sont, me semble-t-il, venus en curieux. Mais on attend. Il fait froid. On attend quoi ? Je n'ai plus la notion de l'heure. Je ne sais plus si on est le matin, l'après-midi ou le soir. Le ciel est sombre. Et on attend. On attend toujours. Mais on attend quoi ? Certains disent: «On attend Laval.». D'autres: «On attend Darlan.». Pour moi, des noms inconnus. D'autres encore:«On attend le Maréchal.».
Enfin, un mouvement dans la foule. Ca y est, c'est le cortège. On voudrait s'approcher, mais le cordon de police refoule les curieux. Je suis trop petit. Je ne vois pas grand chose. Il me semble apercevoir des motos, un tracteur tirant une espèce de canon avec un coffre, recouvert d'un grand drapeau. Et partout, les Allemands en grand uniforme. Mon père dit: «Enfin, nos soldats.". Il essaye de voir plus précisément et ajoute: «Nos soldats prennent le cercueil et le hissent sur leurs épaules.". On est trop loin pour voir. Le silence se fait. Il doit y avoir des discours. A l'époque, il n'y avait pas de micros. Soudain, j'aperçois des soldats Français en grand uniforme. Pour moi, ce sont des uniformes du temps de Napoléon tout chamarrés d'or, de casques cuivrés, des sabres... Mon père me signalera que ce sont des Gardes Républicains qui font une haie d'Honneur. Il y a des sonneries de clairons, des batteries de tambours. Tout se mélange dans ma mémoire. Le cercueil pénétré alors dans le bâtiment des Invalides. C'est fini. La foule se disperse. Je suis déçu. Je n'ai pas vu grand chose. Et puis, il fait froid. J'ai les pieds gelés. J'ai faim. On rentre chez les cousins par le métro, puis le train.
15 décembre 1940: Le cercueil contenant les restes mortels du Roi de Rome est remis aux Autorités Françaises dans la Cour de l'Hôtel des Invalides à Paris.
Le lendemain matin, nous revenons aux Invalides. On peut y entrer. Il n'y a plus de cordon de police. Je découvre le mausolée de l'Empereur qui m'impressionne et qui me fascine. Aux pieds de ce grand monument de porphyre rouge, le cercueil du Roi de Rome, cercueil de bronze, avait été déposé. Je le revois encore, sur la gauche en entrant.
Je sors de là tout ému, car j'ai lu le récit de la vie de ce pauvre jeune homme qui par la voix d'Edmond Rostand disait à Flambeau:
"Eh bien! moi, sans pouvoir, sans titre, sans royaume, Moi qui ne suis qu'un souvenir dans un fantôme! Moi, ce duc de Reichstadt qui, triste, ne peut rien Qu'errer sous les tilleuls de ce parc autrichien En gravant sur leurs troncs des N dans la mousse, Passant qu'on ne regarde un peu que lorsqu'il tousse! Moi qui n'ai même plus le plus petit morceau De la moire rouge, hélas! dans mon berceau! Moi dont ils ont en vain constellé l'infortune!
Il montre les deux plaques de sa poitrine.
Moi qui ne porte plus que deux croix au lieu d'Une! Moi malade, exilé, prisonnier je ne peux Galoper sur le front des régiments pompeux En jetant aux héros des astres! Mais j'espère, J'imagine... il me semble enfin que, fils d'un père Auquel un firmament a passé par les mains, Je dois, malgré tant d'ombre et tant de lendemains, Avoir au bout des doigts un peu d'étoile encore... Jean-Pierre-Séraphin Flambeau, je te décore!"
En sortant des Invalides, j'ai pleuré.
René Decq - Septembre 2003
N.D.L.R: Dans son numéro 5102, du 21 décembre 1940, le journal L'Illustration a relaté cet événement dont nous vous livrons quelques extraits:
Cependant était arrivé à la gare de l’Est le fourgon spécial aménagé en chapelle ardente qui contenait le corps du prince impérial. Des officiers allemands l’accompagnaient. Minute émouvante quand, devant les quelques Français réunis sur le quai, les lourdes portes métalliques glissèrent, rejetant de part et d’autres une fine poudre de neige accumulée dans les rainures [...] car, comme il y a cent-ans pour l’Empereur, toutes ces cérémonies se sont déroulées par une température glaciale.
Deux soldats de la Wehrmacht se placèrent aussitôt devant la porte grande ouverte et, figés comme des statues, montèrent une dernière garde d’honneur jusqu’au moment où un détachement armé vint chercher le lourd cercueil de bronze pour le conduire aux Invalides. Minuit allait sonner. Vingt-quatre hommes furent nécessaires pour hisser le pesant cercueil sur un affût d’artillerie remorqué par un tracteur.
Le cortège se forme alors, dans la nuit et sous le grésil. Des motocyclistes ouvrent la marche. Quelques autos suivent et le char funèbre parcourt à lente allure le boulevard de Strasbourg, le boulevard de Sébastopol, les quais de la Seine: il sera 1 h 20 du matin quand il parviendra aux Invalides.
Depuis plus d’une heure, derrière les grilles, l’attendent les personnalités officielles, quelques invités et les membres de la presse. Il y a là l’amiral Darlan, qui représente le gouvernement, le général de la Laurencie, le général Laure, chef du cabinet militaire du maréchal Pétain. Parmi les ombres à aspect fantomatique qui font les cent pas on distingue: M. Abel Bonnart, M. Sacha Guitry, M. Marcel Deat.
Le spectacle était grandiose par sa simplicité: sous la neige fondue, qui, par rafales, balayait la vaste cour, les deux rangées de torches grésillantes traçaient une voie lumineuse qui montait jusqu’à la chapelle grande ouverte; tout au fond, où le père, dont on croyait sentir la présence matérielle, attendait son fils, ce fils qui lui avait été arraché à peine âgé de trois ans.
Mais la longue, la bouleversante veillée allait prendre toute sa signification. D'une voiture descend M. Abetz; l’amiral Darlan se porte à sa rencontre. Puis des bruits, des roulements sourds se font entendre; sur la place Vauban, plongée dans l’ombre, on perçoit des commandements, on distingue des silhouettes qui s’affairent.
Et soudain, porté par des soldats allemands, paraît, puis franchit la grille le sarcophage du roi de Rome. Les têtes se découvrent; quelques mètres sont parcourus et le cercueil est déposé sur une estrade basse. Alors, l'ambassadeur d'Allemagne se porte à la rencontre de l'amiral Darlan et, en quelques mots, lui fait remise du précieux dépôt au nom du Führer. L'amiral Darlan le remercie. Un commandement bref: les soldats allemands font demi-tour et franchissent à nouveau la grille. Pendant quelques minutes, le cercueil demeure là, seul, face au Dôme. Un autre commandement: à droite, à gauche, des gardes républicains se rapprochent du cercueil, saisissent les traverses de bois sur lesquelles il repose, le soulèvent et, lentement, penchés sous le faix, se mettent en marche.
[...] Pas à pas, le cortège se rapproche des degrés de la chapelle. Les degrés gravis, le cortège contourne le tombeau de l’Empereur; involontairement, semble-t-il, les porteurs ralentissent encore leur marche: une seconde, même, ils s’arrêtent, à l’aplomb de la rotonde du fond de laquelle surgit l’immense tombeau de porphyre et de grès. Mais la marche reprend et le cercueil est déposé sur un catafalque placé devant l’autel. On le drape dans un immense drapeau tricolore. Un grand tapis violet, semé d’abeilles d’or, recouvre les marches au bas desquelles est massé le groupe des officiels. Les orgues jouent, mais tout est si mystérieux en cette nuit mystérieuse et auguste qu’il semble que ce ne sont plus des orgues, mais l’atmosphère toute entière qui vibre et résonne mélodieusement. Un bref service religieux se déroule. A deux heures, la cérémonie est terminée, du moins pour cette nuit.
Elle se renouvellera dans la matinée du lendemain, avec plus de pompe mais non plus d’épique beauté. Cette fois, ce sont des gardes à cheval en uniforme d’apparat, culotte blanche et parements écarlates, qui font la haie, et montent la faction d’honneur, sabre au poing. Une messe va être dite en présence du cardinal Suhard, archevêque de Paris, et du cardinal Baudrillart. La maîtrise des concerts Pierné chante le Requiem de Fauré. Les membres de la famille impériale et de la noblesse d’Empire sont là: SAI la princesse Napoléon, représentant le prince Napoléon, engagé au cours de la guerre dans la Légion étrangère sous le nom de soldat Blanchet; le prince Paul Murat et la princesse; les Suchet, duc d’Albufera; Masséna, duc de Rivoli; le prince d’Essling…[...]
A l'issue de la messe, l'amiral Darlan déposera sur le tombeau de Napoléon une immense couronne. Sur le ruban tricolore qui la ceint on peut lire: "Maréchal Pétain".
La cérémonie terminée, le public sera enfin autorisé à pénétrer sous le dôme des Invalides pour y découvrir l'Empereur et son fils, réunis dans la mort.
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