Apparemment, la Revue napoléonienne n’était pas très bien renseignée, et il serait risqué de se baser sur elle pour conclure qu’il existait à l’époque plusieurs Pontornini.
Jean Ajalbert, dans son ouvrage sur la Malmaison, raconte comment il a dû arracher de haute lutte à Pierre de Nolhac, conservateur du château de Versailles, des œuvres d’art ayant trait au consulat et à la Malmaison. Et il cite une lettre de Nolhac du 15 janvier 1912 qui porte :
Citer :
Mon cher ami,
Je pourrais donner un avis favorable à l’attribution à Malmaison des œuvres d’art suivantes exposées ou non dans nos galeries, et que nous avons désignées ensemble :
(...)
Premier portrait de Bonaparte, dessin exposé dans la salle de la Révolution ;
C’est bien du Pontornini qu’il s’agit, puisque Ajalbert continue :
Citer :
Le premier portrait de Bonaparte ! Je le convoitais depuis longtemps.
Or c’était un faux ! M. L. Dupuy semble le démontrer péremptoirement, dans une étude pressante, abondamment documentée de la Revue de l’Art ancien en moderne, 10 mars 1914.
On le voit, le Pontornini n’était pas dans les réserves, et la Revue napoléonienne, mal renseignée, a fait une figure de style à bon marché.
D’ailleurs, L. Dupuy, cité par Ajalbert, écrivait (1914) :
Citer :
« Il ne reste qu’à supprimer le dessin qui porte ce nom. C’est assez qu’il ait bénéficié de dix-sept ans d’exposition au Louvre et de seize ans à Versailles. »
Le même L. Dupuy écrit à propos du commentaire de Dayot en 1895 :
Citer :
« Il est assez singulier que le portrait soit donné comme la propriété de M. de Beaudicourt à une époque où il se trouvait dans les réserves du Louvre, et où il n’avait pu être permis de le voir que dans les réserves du Louvre. »
Ajalbert précise que Beaudicourt avait offert la gravure au Musée des Souverains « soixante ans auparavant » :
Citer :
Les premiers soupçons vinrent au critique en comparant avec le dessin de Pontornini une gravure que ne possède pas le cabinet des Estampes, qui me fut donnée par Mme Thérèse Boissière, fille de Roumanille, et femme de l’admirable écrivain des Fumeurs d’Opium, et que j’exposais à côté du prétendu portrait exécuté à Brienne. (...) Ce serait une aventure assez amusante que le modèle rapproché de sa copie par la naieveté de M. de Beaudicourt (qui avait offert la gravure et le dessin au Musée des Souverains), écarté d’elle par la prudence des Conservateurs, fût venu par hasard la retrouver soixante ans plus tard à la Malmaison et ajouter ainsi un argument décisif à tous ceux qui prouvent que le dessin de Pontornini est « une œuvre fabriquée à plaisir » ou du moins datée à plaisir, et par spéculation.
Il semble donc que le Pontornini ait été donné au Musée des Souverains entre 1852 et 1854, où il sera resté dix-sept ans.
Bon, c’est clair (je découvre
): la date exacte serait 1853. En 1870 le prestige impérial s’effondre
, les yeux s’ouvrent et on range le dessin dans les réserves
.
En 1895, la légende renaît:VE: plus forte que jamais. Dayot déniche le dessin dans les réserves du Louvre et le publie dans son ouvrage. Du coup, ce document, dont Dayot garantit
le caractère authentique indiscutable, est exposé à Versailles dans la galerie de la Révolution, où il restera seize ans, jusqu’à ce que Ajalbert obtienne qu’il soit décroché pour aller à la Malmaison.
Le Musée des Souverains, probablement créé après le coup d’Etat de 1852, devait être une création politique, destinée à relier l’Empire deuxième du nom au premier, et par delà à la tradition royale de la France. Un portrait de Napoléon élève du roi devait être du pain bénit dans ce cadre. Un petit malin l’aura fabriqué à ce moment là, soit de toutes pièces, soit en ajoutant une dédicace apocryphe sur un maladroit dessin de 1796.
Baudicourt ou Beaudicourt fut-il le faussaire ou la dupe ?
A ce point de l’enquête, il est difficile de trancher.