Don Pierre
Octobre
Sinon le souvenir, il ne reste maintenant plus rien des lumières et du soleil de la fête estivale. Dans la nuit chaude montaient les rires des femmes, rythmés par le bruit des couverts dans les assiettes. Le champagne pétillait et la vodka embrumait doucement les esprits. Tout en les berçant Mozart enrichissait les âmes et les timides chants d'oiseaux indiquaient que l'on arrivait dans l'aube bleue et fraîche du matin naissant.
Le jardin est triste maintenant. Désormais les premiers frimas s'installent, prenant leurs quartiers. Les dernières Impatientes luttent de leurs dernières couleurs et la verdure des lilas tombe peu à peu sur le sol gras et humide qui les absorbe pour se nourrir de leur or. Les aiguilles du pin d'Autriche forment un tapis sur lequel viennent mourir en tourbillonnant les feuilles chiffonnées de l'abricotier. Les géraniums frissonnent. Harassés et trahis par les chaleurs accablantes de l'été, ils ne trouvent plus la force de lutter. Alors, les jardinières se vident petit à petit, tout en se donnant des airs de Toussaint avec ses tombes blanches bien alignées.
L'olivier semble déjà quémander sa taille prochaine en tendant vers une lame virtuelle ses ramures enchevêtrées. Stérile, car seul depuis toujours, il espère voir croître avec l'année future, non loin de lui un compagnon, moins majestueux, voire même chétif , mais capable de lui apporter, au grès des ailes de l' abeille, le fruit sacré pour lequel la nature l'a conçu. Seul le lierre prospère. Vernis par les récents orages, il mange les pierres une à une et la lèpre des murs immémoriaux, en allant au-delà des tuiles luisantes chercher la lumière d' un ciel Baudelairien.
Quelques oiseaux déjà affamés se disputent les graines de la mangeoire en laiton, tout en scrutant, anxieux, le choucas perché sur le faîte de la maison et qui les regarde cruellement. Plus loin, au delà des toits ocrés, soutenus de génoises, les hirondelles serrées se regroupent sur les fils préparant leur départ vers les soleils régénérateurs de l'Afrique. Dans le ciel bas devenu lourd, des vols de corneilles se dirigent vers les premiers labours et les champs de maïs et de tournesols qui sont déjà retournés.
Tel un grand serpent jaune inerte, le long tuyau attend d’être roulé pour rejoindre les chaises et les tables qui ont été remisées. Le réfrigérateur de la maison d'été est coupé. Les coussins sont dans leurs housses. Le bois a été rentré plus tôt cette année. De bonnes et belles bûches de chêne, de hêtre et de cerisier bien sèches sont rangées sous le balcon. Dans le cellier, sur les étagères, confits, conserves, confitures et bocaux de raisins s'alignent tandis que l'eau de vie, les cognacs, le pineau et les vins d'origines diverses s'empoussièrent déjà sur les casiers. Cela semble rassurer au premier regard. Mais c'est très relatif. Presque illusoire. Rien ne ralentira la marche inéluctable de l'hiver. Non point celui qui endort la nature, mais celui qui glaçant les solitudes vous estoque et vous tue irrésistiblement. Lentement, très lentement avec un sadisme puissant et contrôlé.
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
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