Plus sérieusement, je voudrais vous convaincre que les "prises de bec" ont leur utilité et que, en dépit des efforts raguséens encore récents pour claironner qu'il ne s'agit que de questions de forme, c'est bien du fond toujours qu'il est question et du coeur des problèmes, du moins quand je m'en mêle et me rebiffe.
Qu'il s'agisse de la folie de Hitler ou de sa stratégie en 1941 en général et du vol de Hess en particulier (les sujets qui ont déclenché sur PH, mais aussi ailleurs, des levées de boucliers contre moi en 2011, que PH n'a pas su gérer dans le sens des intérêts de Clio et du respect de sa vocation), deux conceptions de l'histoire s'affrontent. L'une, qui se dit elle-même fonctionnaliste, veut que tout ne soit que bruit, fureur et improvisation; elle admet certes que les hommes font des plans, mais se plaît à montrer comment des "contraintes", à chaque pas, les font réviser et mènent à des résultats bien différents de ceux escomptés. Ce courant dispose d'un réservoir d'injures qui peut contribuer à expliquer certains des noms d'oiseau que Raguse et bien d'autres, tout en le niant, m'appliquent : hors de leur école on ne serait pas historien, on serait "intentionnaliste", "complotiste", "psychologisant", attentif seulement aux dirigeants et non aux masses... L'autre point de vue, justement, n'est pas intentionnaliste ni quoi que ce soit en -iste. Il ne se voue qu'aux faits, tout en considérant comme des faits, si c'est le cas, les intentions, les plans, les idées... Lui seul permet de rendre compte du singulier, au lieu de le noyer dans des structures.
Si un débat sur mon bannissement de PH peut avoir quelque intérêt, c'est de montrer à quel point de tension on en arrive aujourd'hui, dans l'historiographie du nazisme, entre une vision réactionnaire forgée dans les années 1960-90 et l'histoire tout court qui, depuis cette dernière date, cerne de beaucoup plus près le phénomène, en symbiose avec le surgissement de documents et de témoignages sur le comportement des nazis en Europe de l'Est que symbolise le nom de Patrick Desbois.
Elle est très ironique, l'histoire. Finalement, l'homme grâce auquel, dans cinquante ou cent ans, on comprendra le mieux Hitler, aura été Joseph Staline. Par sa dictature, mollement prolongée par ses successeurs jusque vers 1990, il a empêché les historiens de travailler pendant près de 70 ans et quand enfin ils ont pu le faire, ils sont tombés sur des gisements intacts, non déformés par des analyses intéressées, et particulièrement sur des témoins aux traumatismes à vif, dont des consolations politiciennes n'avaient pas anesthésié les capacités de jugement pendant des décennies.
Voyez par exemple le mythe de la Wehrmacht "propre" par rapport aux méchants SS. Il a drôlement bien tenu le choc et comme par hasard s'est effondré dans les années 90. Merci Staline, pouvaient dire Guderian, Manstein et tant d'autres. Il a fallu que la parole des victimes commence à se libérer pour qu'on commence à mesurer qu'elles avaient eu plus souvent affaire à des uniformes vert-de-gris que noirs. Les SS ne deviennent pas alors des gentils, mais un simple levain dans la pâte.
Et Hitler, un fou ! C'est bien ce qui s'est passé dans sa tête fin 1918 qui a déterminé un cours aussi aberrant de l'histoire, transcendant justement les bruits et fureurs des contraintes ordinaires au profit d'une entreprise prométhéenne, terriblement cohérente.
Ce n'est donc pas par souci de terrasser ce pauvre "Tonnerre" ni de me venger d'un insulteur qui ne s'est toujours pas nommé que j'ai entrepris de questionner, tout au long des fils sur la question, sa négation viscérale de la folie de Hitler, et continuerai de le faire autant que de besoin. C'est parce qu'il est représentatif. Il est monté au créneau fonctionnaliste, en sécurité croyait-il, et doit maintenant subir le feu jusqu'à ce qu'il change de position.
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