Inscription : 14 Déc 2002 16:30 Message(s) : 15822
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Nous avons vu que la démocratie ne peut être assumée ni par le régime des partis, ni par le régime du parti. Nous savons que l'exercice de la démocratie directe n'est possible qu'à petite échelle et à l'endroit de problèmes qui ne dépassent pas trop le niveau de compréhension du citoyen ; que les procédés tels que le référendum ne peuvent être continuellement utilisés sous peine de lasser le corps électoral. Cependant, l'existence d'une assemblée populaire réalisant une représentation sociologique de la nation, véritable microcosme de celle-ci, est indispensable , ne serait-ce que pour limiter l'influence de la technocratie. Pour réaliser ce microcosme, dans lequel le peuple se reconnaisse et se sente véritablement représenté, l'élection ne peut prétendre y pourvoir ; la seule solution véritable, pour constituer cette micro-nation que nous appelons de nos voeux, c'est la désignation de délégués du peuple par le biais du tirage au sort !
Nul ne peut contester au tirage au sort son essence démocratique : utilisé largement par les régimes de l'Antiquité (1), il l'est encore pour le choix des jurys populaires (2). On objectera de son inefficacité, de ses dangers aboutissant à une médiocratie : le citoyen serait incapable de s'élever à la hauteur de vues nécessaire pour traiter des grands problèmes du monde moderne ; il serait, par ailleurs, à la merci des pressions les plus diverses, qui ne lui permettraient pas de conserver l'objectivité indispensable afin de trancher sereinement ! Il faudrait se demander si ces critiques, en apparence très pertinentes, ne s'appliqueraient pas tout autant sinon plus au représentant classique, élu au suffrage universel.
Il est curieux qu'aucun politologue ou qu'aucun juriste -à notre connaissance- n'ait envisagé ce mode de désignation pour composer les parlements, comme si eux-mêmes étaient victimes de l'imposture électorale ! Seul, le journaliste François de Closets dans son remarquable ouvrage : "le bonheur en plus", esquisse ce que pourrait donner ce changement sans précédent que serait le recours au tirage au sort. Qu'on nous permette de citer les passages qui s'y rapportent : "en bonne théorie, le système représentatif devrait permettre au citoyen de contrôler la gestion de leurs affaires, de les gérer par représentant interposé. Outre que ce système n'existe pas dans les entreprises, il semble aujourd'hui s'être fait le complice de toutes les illusions."
"N'en prenons qu'un exemple : le parlement. Voilà cinq cent personnes qui sont censés constituer un "échantillon représentatif" de la société française. Celle-ci se compose en majorité de femmes, de jeunes, de retraités, d'employés, d'ouvriers, d'agriculteurs, de petits commerçants.
(1)- Revoir le 1er chapitre. (2)- Le procédé actuel, en France, depuis 1979, est beaucoup plus démocratique qu'auparavant, c'est pour cette raison que les socialistes ont l'intention d'instituer une cour d'appel aux cours d'assises ! Admirons l'esprit démocratique qui préside à cette démarche !
L'Assemblée Nationale, elle, se compose d'hommes exerçant les professions d'avocats, de fonctionnaires -énarques de préférence (dix dans l'actuel gouvernement (1)- de médecins, de notaires, de professeurs, d'administrateurs de société. Quand d'aventure un "gagne-petit", un "homme sans importance" accède à la députation, il abdique immédiatement son originalité entre les mains d'un état-major politique. Qui plus est, la majorité des parlementaires sont depuis de nombreuses années des professionnels de la politique qui vivent en marge des citoyens ordinaires.
"Aussi les débats parlementaires sont aussi factices que la messe en latin. On y parle " de catégories défavorisées", "des légitimes revendications des travailleurs", de"l'impatience des familles", de "nos vieux et de nos vieilles", des "catégories socioprofessionnelles durement frappées par l'évolution technique", toutes formules rituelles vides de sens. On parle de la France comme on parlerait d'un pays lointain en regardant des cartes postales.
"Pour corriger les insuffisances du système électif, ne devrait-on pas envisager de désigner le quart ou le tiers des députés par tirage au sort dans la masse des électeurs ayant pris part au vote ? Une telle proposition peut paraître absurde.
"Comment des individus pris au hasard pouvaient-ils avoir la compétence nécessaire pour voter des lois ? Mais ne trouve-t-on pas aux jurés, la compétence nécessaire pour envoyer des accusés à la guillotine ? Et n'est-ce pas autrement plus grave que de se prononcer sur la loi de finances ? Ne voit-on pas combien l'incompétence pourrait même être bénéfique à la vie parlementaire ? Les ministres et les leaders politiques ne seraient jamais certains du résultat d'un vote. Pour obtenir les voix de ces simples citoyens, il leur faudrait expliquer leurs projets en termes simples et ordinaires ; il leur faudrait convaincre, non pas des politiciens comme eux, mais "l'homme de la rue".
"Celui-ci, son tour, aurait beaucoup de choses à dire aux professionnels. Sur des dizaines de citoyens anonymes, quelques-uns ne manqueraient pas d'exprimer la réalité vécue par les Français. Qu'un modeste retraité monte une fois à la tribune pour rappeler ce qu'est la vie de millions de vieux, cela ferait passer un souffle d'authenticité sur l'hémicycle".
Il n'y a, dans cette excellente description de François de Closets, rien à ajouter et rien à retrancher : nous ne pouvons qu'acquiescer et applaudir à ce qu'il a écrit ; rien n'est changé aujourd'hui et la bande des quatre continue de phagocyter le pays ! De notre point de vue, cependant, il ne suffit pas de "corriger les insuffisances du système électif", mais bien de le réduire à la sélection de quelques représentants des éventuels clivages idéologiques séparant les Français (nous aurions tendance à inverser la proposition de M. de Closets, c'est à dire à ne laisser dans l'hémicycle que le quart d'élus en rapport des citoyens désignés par le sort) ; en effet, le citoyen n'est pas un sujet abstrait s'intégrant dans un collectif auquel on fait appel de temps à autre, le citoyen est un être concret, enraciné dans un terroir, vivant au sein d'une famille, exerçant un métier particulier.
(1)- Il s'agissait alors du dernier gouvernement Messmer.
Il est donc nécessaire d'aboutir à une véritable représentation des citoyens et cela sur la base des différentes catégories socioprofessionnelles qui composent la population active de la Nation, conformément à leur poids démographique respectif, qu'il est aujourd'hui possible de déterminer d'une façon rigoureuse grâce au progrès de la statistique et du recensement : le tirage au sort s'effectuerait au sein de listes socioprofessionnelles départementales où s'inscriraient volontairement les citoyens répondant à certaines exigences de civisme, de connaissances et de moralité, mais selon des critères suffisamment larges pour que la grande majorité y ait accès ; ainsi, géographiquement et sociologiquement, le peuple serait quasiment "incarné" par les citoyens choisis par le sort (pour plus de précisions, se reporter à la description détaillée du système en annexe du présent chapitre).
Examinons quels en seraient les avantages : d'une part, l'établissement d'une assemblée "populaire", réellement à l'image de la nation ; d'autre part, la sensibilisation des citoyens au devenir de leur société, au-delà des soi-disant intérêts de classes ; ensuite, l'objectivité des débats avec une opposition constructive et variant sur les problèmes ; enfin, la disparition de l'indispensable majorité parlementaire intangible et monolithique ainsi que de la démagogie nécessaire pour la constituer, toute chose inséparable du système classique.
Tout d'abord, l'établissement d'une assemblée à l'image de la population : c'est la première urgence. Comment y parvenir par les procédés électoraux, puisque ce sont les partis maîtres du jeu et que les citoyens élus sont à la merci des ressources financières conditionnant l'étendue de leur propagande et prisonniers des carcans idéologiques voire sociologiques ? Il n'est qu'à observer la composition socioprofessionnelle de l'Assemblée Nationale élue dernièrement : une dominante de professeurs et d'instituteurs portés au Palais-Bourbon par la vague socialiste (le déferlement gaulliste de 1968 avait amené une vague d'industriels) ; nous pourrions adhérer à l'analyse marxiste qui trouve dans ces faits une confirmation éclatante de ses théories : les électorats aboutissent à des représentations homogènes correspondant à leur intérêt de classes !
Au contraire, au travers du mécanisme de la désignation par tirage au sort, nous obtenions une représentation fidèle de la Nation qui ne sera pas liée aux partis ni soumises aux groupes de pressions. On voit les immenses perspectives que cela comporte eu égard aux temps anciens où le pouvoir était l'enjeu de personnes ou de groupes d'intérêts divers oscillant entre la plus parfaite des tyrannies et la pire démagogie. Qu'on y songe ! Des citoyens, dégagés des querelles partisanes, n'ayant aucune arrière pensée électoraliste, issus de leurs métiers, de leurs bureaux, de leurs usines et de leur exploitation agricole, conscients d'avoir à traiter de l'intérêt général et s'en sentant la volonté pour parvenir au Bien Commun, n'est-ce pas là une vision sublime que les magouilles électorales ne pourront jamais nous procurer !?
Ensuite, la sensibilisation des citoyens au devenir de leur patrie, au-delà des intérêts de classe : en effet, actuellement, les citoyens ne se sentent aucun attrait pour la chose publique et si d'aventure ils s'en préoccupaient, la machine électorale ou usine à voter, la dictature des partis et les égoïsmes "tous azimuts" leur en bloqueraient l'accès. D'où cette morosité, ce sentiment d'impuissance qui fait dire à chacun "qu'ils" feront toujours la même choses, "qu'ils", sont tous pareils, ce qui conduit les Français, par exemple, à l'isoloir comme des veaux vont à l'abattoir. Pauvres peuples ! Pauvre démocratie ! Pauvres citoyens !
Cependant, avec le nouveau système, pour peu que chacun y consente, tous peuvent être appelés, demain, à débattre des grandes questions nationales : le citoyen désigné, éclairé par les débats entre le gouvernement et les professionnels de la politique (dont il faudra assurer l'indispensable présence, comme nous l'avons vu), par les rapports de diverses commissions et par l'audition d'experts, sera en mesure de voter la loi, même s'il n'a pas entièrement saisi l'opportunité de sa discussion et les incidences de son adoption (du moins aura-t-il été présent au débat !). Dès lors, ne se prononcera-til pas en toute sincérité, sans obligation de vote, sans consignes partisanes, n'ayant en vue aucun objectif ou plan de carrière ? ! Chacun sentirait qu'il n'y a plus une injustice qu'il ne soit possible de dénoncer, qu'il n'est plus seulement souverain en théorie mais que concrètement l'avis de tous peut être demandé pour peu que le sort vous choisisse et que vous ne vous rétractiez pas ; cela pouvant être envisagé au niveau local ou national.
Et puis, l'objectivité des débats devient plus sûr avec des majorités évoluant en fonction des problèmes : cela ne serait pas un mince avantage. Imaginons un peu ces néophytes de la politique siégeant au sein d'une assemblée représentant le peuple et ceci dans le cadre d'un régime parlementaire classique : certes, en face d'eux, des ministres bien informés et passant pour des techniciens de la chose publique, mais aussi, à côté, des parlementaires chevronnés (élus de la façon qu'on voudra), passant à coup sûr l'action des premiers au crible d'une surveillance attentive. A nos "néo-représentans" de marquer les points, de compter les coups, d'approuver le gouvernement lorsque c'est nécessaire, de le corriger quand il se trompe, de lui demander des comptes des insuffisances de son action ou de la non-tenue de ses promesses et de le censurer si nécessaire.
Finies les majorités automatiques liées à 'appartenance à des coalitions partisanes monolithiques ! Au contraire, sur chaque problème, chacun peut ne pas partager les vues générales ; il faut alors, de la part des ministres comme des leaders de l'opposition, s'efforcer de convaincre et si le gouvernement est battu, rien ne doit pouvoir l'empêcher de demander si le projet lui tient à coeur, l'avis du pays par référendum (ce qui découle de ce que nous avons examiné dans le chapitre précédent concernant l'établissement indispensable d'une démocratie semi-directe). Mais, croit-on que les délégués du peuple s'acharneront à repousser ou à dénaturer les bonnes propositions ou les bons projets, d'où qu'ils viennent ? Il est probable, d'après la loi des grands nombres, que le bon sens se dégagera de la masse même s'il existe des écervelés pour déranger les débats ou émettre des votes contradictoires ! Y-a-t-il une démocratie plus forte qui soit possible ? En théorie, sans doute, mais il s'agit d'incarner la souveraineté des citoyens dans les faits et faire en sorte qu'elle soit permanente !
Enfin, le point le plus important : les représentants n'auront plus à voter des lois destinées à satisfaire une parcelle de la population ; quelles ambitions nourrir si ce n'est servir le pays ? L'intérêt national délimité, défait de sa gangue partisane et d'avis intéressés, apparaîtra alors clairement ! On objectera que pourrait bien se substituer aux motivations partisanes celles des catégories socioprofessionnelles : des alliances conjoncturelles s'établissant pour favoriser tel ou tel milieu au mieux de ses intérêts ! Le patronat, par le biais des citoyens tirés de son sein, s'entendant avec les agriculteurs au détriment des ouvriers ; encore faudra-t-il que ces mêmes citoyens acceptent les recommandations qu'on pourrait leur faire et quels moyens de pression employer sur eux pour être sûr d'être suivi ? Il faut souligner que tous les votes n'engageant pas la survie des gouvernements devront s'effectuer au scrutin secret, de façon à ce qu'à l'ancienne discipline de vote des partis politiques ne viennent pas se substituer celles des groupes socioprofessionnels : le citoyen, quelque soit son milieu d'origine, devra se prononcer individuellement, en conscience ! Il reste que la loi devra protéger très sévèrement l'indépendance des délégués du peuple tirés au sort, de façon à ce qu'il soient à l'abri de toute vénalité et de toutes menaces contre leur famille, leurs biens et leur personne. Imagine-t-on que les intérêts de classe pourraient bloquer l'esprit critique et le patriotisme des citoyens ? Au sein des partis politiques et des syndicats, nous n'en disconvenons pas ! Mais pas chez un être humain normalement constitué qui reste toujours accessible à une certaine générosité : du reste, le brassage de différents milieux et desdites professions, qu'accompagnera une hauteur de vue inégalée dans le lanterneau politicien, englué qu'il est dans les considérations électorales, s'y opposera ! Soucis qui ne pourront atteindre des personnes tirées au sort.
Il va sans dire que le procédé du tirage au sort appliqué à la désignation de véritables représentants du peuple (pour la plus plus grande part des députés), révolutionne complètement la notion de démocratie telle qu'elle est vécue au sein des régimes représentatifs : il s'agit d'un aménagement de la chambre populaire (qu'on a l'habitude, en droit constitutionnel, de qualifier de chambre basse) que l'on peut combiner avec toutes sortes de régime ; aussi bien dans le cadre d'une assemblée souveraine et omnipotente qu'au sein dune monarchie ou encore d'un régime parlementaire ou présidentiel.
Certains, cependant, pourraient rependre la raisonnement des républicains de la IIIème République, soucieux d'imposer la souveraineté du parlement et singulièrement de l'assemblée populaire : le tirage au sort établissant une bien meilleure adéquation entre celle-ci et le peuple tout entier par rapport aux procédés électoraux, ils pourraient être tentés de soutenir qu'elle est la parfaite incarnation de ce dernier ; dès-lors, la volonté exprimée par la majorité des délégués du peuple concrétiserait la fameuse volonté générale de Rousseau : aucune distinction de pouvoirs ne pourrait venir entraver la souveraineté de l'assemblée si ce n'est l'expression directe du peuple par référendum ; le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire seraient subordonnés entièrement à l'assemblée : ainsi, tirage au sort et procédés de démocratie semi-directes feraient que nous serions aussi près que possible de l'exercice de la démocratie directe !
Seulement, on ne serait pas loin de voir s'instaurer une sorte de totalitarisme démocratique : en effet, la loi pouvant être sans-cesse modifiée sans qu'aucune autorité juridique vienne en garantir les modalités, c'est en fait l'arbitraire de la majorité qui s'exercerait car des citoyens, rassemblés en un lieu clos, compte-tenu des lourdes responsabilités à assumer et de l'enthousiasme ou du désespoir suscités par des événements inattendus et la démesure emphatique et démagogique de certains orateurs, pourraient se laisser entraîner, par un effet propre à la psychologie des foules, à voter des lois extrêmes ; aussi nous considérons qu'il faut des contrepoids à la souveraineté de l'assemblée populaire : le premier d'entre eux étant la présence d'un chef représentant du peuple au même titre que les parlementaires (nous pensons, à cet égard, qu'il est dans la nature de la démocratie de s'incarner dans un chef), le deuxième étant la présence d'une seconde chambre où figureraient, par exemple, les représentants des collectivités locales, des syndicats (étant tenu compte de leur représentativité acquise au moment des élections professionnelles ou prud'homales), ainsi que diverses personnalités ; le troisième étant le droit lui-même, c'est à dire le pacte fondamental réglant le fonctionnement des pouvoirs publics, à charge pour le pouvoir judiciaire de le faire respecter ainsi que la loi.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement librement désigné par des élections ou quelque autre procédé consenti par les citoyens, assurés d'une certaine durée pour diriger le pays, n'aura plus à satisfaire telle ou telle revendication indue par démagogie stérile et néfaste ; quels soucis pourraient l'atteindre ? pas d'élections en perspective pour former une majorité, ni chez les citoyens, ni dans l'assemblée. Certes le gouvernement devra-t-il pouvoir être censuré, mais la défiance n'aura rien d'automatique et du fait de son extrême gravité, elle sera rarissime, car le pays tout entier devra en statuer : comment, en effet, envisager que l'exécutif puisse recourir à une dissolution alors que la plus grande partie des députés sera tirée au sort ? Cela a pour conséquences que les citoyens ne pourront plus arbitrer le conflit par des élections ; on sort du schéma classique du parlementarisme ; il faut cependant, s'il y a opposition irréductible entre les ministres et les délégués du peuple, que le conflit soit tranché par l'ensemble du pays : il convient donc de substituer à des élections une question de confiance directement posée aux citoyens, une réponse négative au gouvernement entraînant sa démission immédiate, une réponse favorable entraînant son maintien avec, actuellement, dessaisissement du pouvoir de l'assemblée de faire la loi durant un certain délai, à son profit. Dès lors, à supposer que le gouvernement n'obtienne pas la confiance de l'assemblée ou soit censuré par elle, et cela de façon disproportionnée à la situation, le pays corrigerait les effets d'éventuels emportements des députés. Par contre, si l'exécutif se sent en position fausse, à lui d'infléchir sa politique pour éviter la sanction des représentants du peuple puis du peuple lui-même ! Ainsi, désormais, pour gouverner, l'énergie et la rectitude peuvent suffire à la condition d'expliquer largement les buts poursuivis et les moyens employés pour y parvenir.
Aussi, cette révision profonde du choix des représentants du peuple, bouleverse complètement la nature du régime représentatif : sans-doute n'est-ce pas tout à fait la démocratie directe, mais au moins le régime des partis disparaît car ceux-ci ne peuvent plus prétendre régenter la vie politique et voient leur influence limitée à la présence très réduite (et cependant souhaitable) de leurs élus à côté des citoyens désignés par le sort. La césure, jusque la profonde et immuable, des gouvernants et des gouvernés s'atténue : il ne peut en ressortir qu'un consensus nouveau favorisant l'intégration des citoyens au processus des prises de décisions.Toutefois, nous tenons à souligner que le recours au tirage au sort ne peut pleinement donner des résultats qu'à la condition d'être couplé à un exécutif fort : plus précisément , pour nous, il est le complément indispensable du régime présidentiel plébiscitaire que nous appellerons "monarchie populaire".
Encore prenons-nous soin de noter qu'il n'y a pas d'aménagement constitutionnel-miracle et que toute solution doit correspondre à l'histoire des peuples, à leur évolution, à leur degré de maturité civique et à la conjoncture politique ! Mais la décision de choisir la majorité des représentants du peuple au tirage au sort aboutit forcément à une représentation juridique, géographique et sociologique des citoyens sans commune mesure avec la représentativité des élus des partis politiques et sans comparaison avec les bribes de raisonnement avancées pour justifier le régime des partis ! Il nous semble qu'en France, il est temps que le citoyen ne soit plus considéré comme un arriéré et que les partis -compte-tenu du niveau intellectuel des Français- acceptent de leur abandonner réellement l'exercice de la souveraineté en partageant avec eux le pouvoir de légiférer ! C'est, pour la démocratie et la France, la solution la moins mauvaise.
ANNEXE AU CHAPITRE VIII
Pourquoi pratiquer le tirage au sort au sein des catégories socioprofessionnelles ? Il ne s'agit point de le faire n'importe comment, ni de choisir n'importe qui. Il est nécessaire que l'Assemblée populaire soit représentative de la Nation dans toutes ses composantes. On nous posera la question : pourquoi établir le tirage au sort sur la base des catégories socioprofessionnelles ? Les marxistes critiqueront cette notion : ils feront valoir qu'il n'y a que des classes sociales, plus précisément, les bourgeois et les prolétaires. Cette description était certainement valable au XIXème siècle, elle ne l'est plus. Ils répondront qu'il y a certes lieu de distinguer haute, moyenne et petite bourgeoisie, haute, moyenne et petite paysannerie, des travailleurs manuels et intellectuels.
Il nous semble cependant que ces dernières notions ressortent davantage de l'idéologie que du concret observable. On sait bien qu'il y des cadres supérieurs qui ne possèdent autre chose que leur automobile et leurs meubles et qu'il existe des ouvriers qui sont propriétaires !
Il est plus indiqué de parler de catégories "socioculturelles". Il est des plus exact qu'il existe, dans toutes les sociétés de liberté, des milieux différents qui ont intérêt à s'opposer : un intérêt pécunier s'entend ! Ces différences de pouvoir d'achat introduisent des inégalités plus ou moins culturelles : les professions libérales étant réputées s'intéresser aux arts et à la littérature que les ouvriers (encore qu'il y ait de nombreuses exceptions). Il n'en demeure pas moins que le "statut social", constitué surtout par le regard que la société porte sur l'individu, est lié à la profession que celui-ci exerce et des responsabilités qu'il est amené à assumer de ce fait.
A partir de là, il est possible de déterminer différentes catégories socioprofessionnelles dont les différences réside dans le type de métier exercé : intellectuel ou manuel, faisant appel à une plus ou moins grande responsabilité, s'exerçant dans les secteurs industriels, commercial ou de l'agriculture.
Il va sans dire qu'il est nécessaire de réfuter le concept de lutte des classes : les antagonismes socio-économiques entre les différentes catégories socioprofessionnelles existent, c'est indéniable !Mais vouloir baser une lutte politique et une promesse d'avenir pour l'Humanité sur cette vision des rapports humains est une monstruosité confirmée par l'évolution des pays communistes où l'on voit s'installer une oligarchie soviétique que l'on appelle la "Nomenklatura" par opposition à tous les individus exploités par la triple structure Parti, Armée, Bureaucratie qui tyrannise irrémédiablement le citoyen des "démocraties populaires".
Logiquement, la lutte des classes ne peut aboutir qu'à la guerre civile ; en aucun cas, elle ne peut aboutir à la société communiste qui resterait, de toute façon, une société totalitaire. Souvenons-nous du Royaume d'utopie décrit par Thomas Moore.
Il faut donc permettre aux "classes" de se rencontrer, de discuter, de dialoguer, de négocier et d'aboutir à un accord juste et objectif et cela, sans que pèsent sur elles les intérêts partisans et les égoïsmes exploités par les individus les plus sordides et les plus machiavéliens de chacune d'entre-elles qui assument souvent la direction des organisations syndicales chargées de défendre leurs intérêts respectifs. Reconnaissons que les gens de la CGT ou du CNPF ne sont pas toujours les plus honnêtes ni les plus sincères.
Ces négociations, ce dialogue existant, sans-doute, dans le secret des cabinets ministériels sous la férule d'une technocratie qui se juge impartiale mais dépend toujours du pouvoir partisan en place. Elles ne mettent en présence, le plus souvent, que des maximalistes de chaque camp, décidés à obtenir le maximum d'avantages et ce, au besoin, au détriment de tous les autres.
Certains feront remarquer qu'il n'est pas nécessaire de procéder au tirage au sort en faisant qu'un strict corporatisme soit appliqué. Ainsi, les citoyens, renonçant à pratiquer l'élection sur le plan idéologique, dans l'abstrait, désigneraient localement, dans leurs branches, les représentants des métiers qu'ils exercent : mais cela n'empêcherait pas les partis et les syndicats de s'assurer la primauté au sein de cette nouvelle représentation. A moins, naturellement, d'interdire syndicats et partis ! Mais cela, c'est le fascisme !
Qu'on le veuille ou non, en restant dans le cadre du pluralisme, on ne peut éviter que la démagogie ne vienne à faire sentir ses ravages. Il est donc bien logique d'avoir recours au tirage au sort au sein des catégories socioprofessionnelles.
Comment les déterminer et leur attribuer une responsabilité ? Quels critères retenir ? A la première question, on peut considérer qu'il existe environ une dizaine de catégories socioprofessionnelles : les Agriculteurs exploitants, les Salariés agricoles, les Cadres supérieurs, les cadres moyens,les Employés, les Ouvriers, les Personnels des services et ce que nous pourrions appeler les marginaux, c'est à dire les Artisans, les Etudiants, les Ecrivains et autres diverses professions inclassables (voir tableau ci-après).
REPARTITION DE LA POPULATION ACTIVE PAR CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES EN 1976.
Source : "Liaisons Sociales"
Catégories socioprofessionnelles. Effectifs..... Pourcentages.
Agriculteurs exploitants.............. 1 627 928.... 7,5% dont Aides familiaux................... ....634 135.... 2,9%
Salariés agricoles......................... ....369 546.... 1,7%
Patrons indus. et comm. ............. 1 831 376.... 8,4% dont Aides familiaux.................... ....384 474.... 1,8%
Professions libérales..................... ....171288... 0,8%
Cadres supérieurs......................... 1 351 518.... 6,2%
Cadres moyens............................. 2 902 071.... 13,3%
Employés....................................... 3 689 871.... 17,0%
Ouvriers........................................ 8 017 704... 36,9% Personnels des services................. 1 374 296... 6,3%
Autres catégories.......................... 420 696.... 1,%
ENSEMBLE..................................... 21 756 294.... 100,0%
On pourrait envisager la représentation de chacun de ces groupes à l'assemblée populaire, en fonction de leur poids démographique au sein de la population active. Ce critère peut paraître excessif notamment aux yeux des catégories les moins nombreuses, on pourrait alors le combiner, éventuellement avec la part que chaque catégorie socioprofessionnelle réalise dans le Produit Intérieur Brut (PIB). Pour des raisons de commodité, on regrouperait les agriculteurs exploitants et les salariés agricoles, puis éventuellement, les catégories des professions libérales et les marginaux, ce qui nous donnerait, en fait, huit groupes socioprofessionnels (se reporter au tableau coi-dessous).
Catégories socioprofessionnelles. Regroupements en %. Nombre de délégués (% arrondi et affecté d'un coefficient 4).
Agriculteurs................................. 9,2%................. 37 Patrons........................................ 8,4%................. 33 Cadres supérieurs........................ 6,2%................. 25 Cadres moyens............................ 13,3%................ 53 Employés..................................... 17,0%................ 68 Ouvriers....................................... 36,9%................ 147 Services........................................ 6,3%................. 25 Divers........................................... 2,7%................. 12
ENSEMBLE..................................... 100,0%............... 400
Le tirage au sort pourrait s'effectuer de la façon suivante : tout d'abord, il faudrait s'inscrire sur la liste correspondant à son groupe socioprofessionnel, au sein de chaque département, par exemple ; il est, en effet, souhaitable que les citoyens appelés à représenter le peuple soient volontaires et possèdent même la possibilité de se rétracter à l'issue du tirage au sort, voire de démissionner au cous de leurs mandats.
Ensuite, il existerait des conditions d'âge : par exemple, être âgé de plus de 21 ans et de moins de 70 ans, ensuite être de nationalité française, jouir de ses droits civiques. Surtout et cela est primordial, ne pas être membre d'un parti politique, ni d'un syndicat, ni l'avoir été pendant un délai raisonnable : au moins trois ans avant que s'effectue le tirage au sort.
Etre titulaire d'un C.A.P ou d'un examen professionnel ou encore du baccalauréat : il faut lorsque l'on prétend légiférer avoir pratiqué un métier ou posséder des connaissances générales suffisantes pour suivre les débats intéressants la Nation.
Il pourrait être ajouté, pour preuve d'une maturité affective conditionnant l'équilibre psychique de l'individu, de n'être pas divorcé, par exemple.
Ces conditions étant remplies, après en avoir fait la demande et produit les pièces nécessaires, l'inscription serait automatiquement attribuée par une commission : en cas de refus qui devrait être motivé, l'intéressé pourrait faire appel devant le Tribunal d'Instance du ressort de son domicile.
Enfin, concernant le tirage au sort proprement dit, il serait nécessaire de considérer la portion de l'Assemblée populaire à renouveler. Si par exemple celle-ci se composait de 400 délégués des catégories socioprofessionnelles comptant le peuple (37 pour les agriculteurs, 33 pour les patrons, 25 pour les cadres supérieurs, 53 pour les cadres moyens, 68 pour les employés, 147 pour les ouvriers, 25 pour les services et 12 pour les divers. Se reporter au tableau ci-dessus). Il serait opportun ses membres par moitié, le mandat non-renouvelable étant de six ans : chaque délégué serait donc novice pendant trois ans puis un député averti pour le reste de son mandat. Le renouvellement s'effectuerait par moitié dans chaque groupe socioprofessionnel. Il serait pratiqué par les membres d'une Cour Suprême, dans la capitale, groupe professionnel par groupe professionnel.
Tout d'abord, sur la liste des départements seraient désignés ceux au sein duquel on tirerait au sort, dans chacun d'eux, un délégué afin d'assurer une certaine répartition géographique des délégués de façon à ce que les différentes régions soient représentées. En suite de quoi, compte-tenu du nombre d'inscrits sur la liste du groupe socioprofessionnel, serait tiré un numéro correspondant à un citoyen.
La même opération s'effectuerait pour désigner un remplaçant en cas de rétractation ou de démission. Prenons un exemple : soit le choix des délégués des agriculteurs exploitants et des salariés agricoles. La commission désignée à cet effet, aurait à choisir, par tirage au sort dix huit noms (puisque le groupe se chiffre à trente sept membres). le premier tirage déterminerait le nom des départements où l'on procéderait au second tirage au sort : dans chaque département on tirerait parmi le nombre des inscrits un numéro.
Chaque groupe professionnel serait présidé par un bureau comportant un président élu, assisté de deux assesseurs, le plus vieux et le plus jeune. Ces bureaux joueraient un rôle primordial : tout d'abord, ils assureraient la discipline au sein de leur groupe respectif. Toute décision serait prise à la majorité de deux voix. Ils décideraient surtout, des propositions de lois à déposer ou des amendements projetés, sauf opposition de la majorité des membres du groupe ; auquel cas, c'est le groupe tout entier qui trancherait à la majorité.
Enfin, ils formeraient avec le président de l'Assemblée, les présidents de commission et les présidents des groupes politiques, la Conférence des présidents qui déterminerait l'Ordre du jour, selon les modalités réservant à chaque groupe la possibilité de faire examiner des propositions de loi en séance, étant tenu compte d'une certaine priorité aux projets du gouvernement.
En séance, le vote serait personnel et secret de façon à ce que chacun des citoyens délégués se prononcent en conscience. La délégation de vote ne serait pas tolérée et cela d'une façon absolue, sauf au profit d'un seul mandant. Toutefois, sur les votes de défiance ou de confiance, le scrutin serait public, compte-tenu de l'extrême gravité du moment.
De nombreuses dispositions seraient à prendre pour assurer l'efficacité du dispositif. Ainsi, il peut paraître souhaitable de préparer des logements communs aux délégués du Peuple qui apprendraient à mieux se connaître. Ils auraient également l'obligation, entre chaque session de l'Assemblée, de travailler pendant un mois au sein de leur milieu socioprofessionnel pour garder le contact avec leurs collègues de travail : prenant le pouls de l'opinion, ils en reporteraient les influences aux sein de l'Assemblée ; informés de l'état du pays, ils seraient un excellent relais dans l'opinion publique qui s'identifierait complètement à eux. Ainsi serait pleinement assuré le lien entre le "Peuple macrocosme" et l' "Assemblée microcosme".
Pour commenter, c'est ici : viewtopic.php?f=29&t=7087
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
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