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Peu ou prou, c'est la même situation que celle de l'administration des camps de la mort par rapport aux juifs...
Je trouve votre comparaison pour le moins hasardeuse, voire osée !
Les historiens de la Fondation qui ont annoté le Manuscrit retrouvé, s'ils concèdent qu'ils puissent y avoir eu des erreurs de transcription, tiennent à souligner qu'elles sont plus que probablement involontaires ou fortuites.
Prétendre sans l'ombre d'une preuve qu'il y avait une volonté de la part des Britanniques de travestir les faits me semble donc aléatoire.
Lors de son arrestation, le 25 novembre 1816, Las Cases se vit confisquer ses papiers au nombre desquels se trouvait
"un journal très volumineux qu'il avait rédigé par ordre et où était relaté jour par jour ce qui était arrivé aux exilés depuis leur départ de l'île d'Aix, en deux expéditions, l'une le premier brouillon, l'autre la copie aux trois quarts au net".La copie du manuscrit était de la main du mamelouk Ali.
Le gouverneur Lowe fut autorisé par son auteur à le parcourir mais refusa de le restituer arguant du fait que
"tous les papiers d'une nature contestée attendront ici les ordres du gouvernement britannique". Il fut procédé à leur inventaire en présence de Las Cases, Bertrand et Gourgaud avant que le premier soit invité à apposer son sceau sur les deux boîtes les contenant, avant leur envoi en Angleterre.
Las Cases déclina la proposition, dès lors qu'on ne lui garantit pas que son sceau ne serait pas brisé hors de sa présence.
Les boîtes furent donc scellées aux seules armes du gouvernement de Sainte-Hélène et de la Couronne britannique.
Il lui fallut attendre l'automne 1821 pour être informé par Lord Holland que ses précieuses liasses lui seraient bientôt restituées.
Ce fut le cas courant septembre.
Pourtant, dès le 3 janvier, soit quatre jours après l'expulsion de Las Cases, les papiers confisqués avaient vogué vers l'Angleterre à bord de la frégate
HMS Oronte. Ils furent livrés dans les bureaux du Colonial Office environ deux mois plus tard.
Les scellés furent brisés et on commença le recopiage.
On peut croire que ce fut pour en conserver une copie, peut-être pour s'en servir au cas où Las Cases aurait l'idée de transformer son journal en brûlot.
Le manuscrit de la British Library est assez sensiblement différent du Mémorial.
Concernant d'abord le volume du texte, le manuscrit de la British Library est beaucoup moins copieux, quelle qu'en soit l'édition.
Il s'arrête au 23 novembre 1816 alors que la version publiée du Mémorial court jusqu'en 1822.
Las Cases a donc considérablement augmenté son texte final par rapport au matériau constitué à Sainte-Hélène.
Tout se passe comme si l'auteur avait été pressé de commencer la publication et avait manqué de temps pour amplifier certains développements.
Cette hâte a sans doute une explication commerciale : O'Meara avait pris de l'avance et publié son Napoléon en exil courant 1822, tandis que Gourgaud et Montholon commençaient à livrer les premiers extraits des dictées de Napoléon.
Malgré de notables différences de style et de fond, la tonalité générale du manuscrit n'est pas fondamentalement différente de celle de la publication.
On peut donc confirmer que Napoléon a voulu se servir de Las Cases pour se donner un visage plus libéral et que son secrétaire a été non seulement consentant mais en a de plus "rajouté" si l'on ose dire.
Cela a pour conséquence que les nombreuses pages de la version imprimée ne peuvent se voir attribuer le même niveau d'authenticité que celles du manuscrit, et encore moins lorsque l'auteur met de nouvelles considérations dans la bouche de l'Empereur.
Il en résulte que beaucoup de grandes maximes attribuées à Napoléon et tirées du Mémorial ne figurent pas dans le manuscrit et notamment le fameux
"Quel roman que ma vie !".Ainsi, bon nombre de citations à succès de l'historiographie napoléonienne figurent dans le Mémorial, mais pas dans le manuscrit retrouvé à la British Library.