(ceci est extrait de la réponse au "pensum" de Christophe et figure -à quelques détails près, dans la seconde édition de février 2003 de mon ouvrage)
C./ Quelle est la raison de la substitution ?
On nous demande de produire le mobile, d’expliquer les raisons d’un tel acte. Je le redis, car je pense que c’est nécessaire, établir la réalité d’un crime n’impose pas de déterminer le mobile. Combien de crimes sont restés impunis, sans qu’on sache véritablement le mobile de son auteur. La question n’est pas là, mais dans la réalité de la substitution. Trouverions nous une raison valable que je doute pourtant d’être écouté…
Il y a trois types d’explications : une raison accidentelle, une raison politique et une raison pathologique !
1/ la raison accidentelle : c’est l’hypothèse du caveau écroulé. Le corps complètement décomposé de Napoléon dans des cercueils brisés n’était plus récupérable. Par crainte d’un scandale, les Anglais ont mis en place un faux Napoléon, avec les moyens du bord. Prévenu tardivement par Hudson Lowe, Palmerston s’est entendu avec Louis-Philippe pour étouffer le scandale. D’où les ordres apportés par l’Oreste en octobre 1840. les légalistes nous disent : impossible, il y aurait eu des témoins ; de tels travaux ne passent pas inaperçus. Voire ! Combien « d’actes de gouvernement » n’ont pas été dénoncés. Je pense que l’historien sérieux sait ce que je veux dire. Et que l’opérateur retraité des services secrets également…
2/ La raison politique : les Anglais avaient prévu de rapatrier le corps de Napoléon en Angleterre, jusqu’à ce que de nouvelles instructions de Bathurst à Hudson Lowe décident du contraire en 1820. Ceci, c’est du concret, c’est prouvé. En cas de mort, les autorités de Sainte-Hélène avaient reçu l’ordre de retourner le corps de « Buonaparte » sur leur territoire. Sur ce point, il n’y a pas à discuter, tout ceci est parfaitement admis.
Pourquoi, alors être revenu sur ces instructions ? L’ombre de Napoléon leur a t’elle fait peur ? Le gouvernement français est-il intervenu pour signaler qu’il craindrait la proximité des Cendres de l’Usurpateur si près de la France ? Un puissant mouvement d’opinion ne risquait-il pas de semer le trouble et de porter atteinte à la tranquillité des Bourbons ? Dans ces conditions, en effet, le mieux était de laisser ce cadavre encombrant à Sainte-Hélène. Et c’est ce qui fut fait…
Mais la raison des premières instructions disparaissaient-elles tout autant ? Pourquoi avoir maintenu l’ordre pendant près de cinq ans de rapatriement du corps de Napoléon en Grande-Bretagne ? Craignait-on que ces partisans ne viennent le dérober pour en faire un puissant symbole de libération ? Il est probable que le cabinet de Saint-James ne tenait pas à laisser pareille dépouille aux bons soins de la Compagnie des Indes, Compagnie qui devait retrouver son autorité et son autonomie après le trépas de l’Empereur : c’était formellement convenu (rappelons que la compagnie des Indes avait pleine juridiction sur Sainte-Hélène qui n’était pas encore un territoire britannique). Pour éviter tout tracas, le mieux, c’était de s’assurer de la dépouille du « perturbateur des Nations ». Et le meilleur moyen, c’était de s’assurer du cadavre, dans un endroit secret et bien gardé, à l’insu même des gardiens…
Mais alors, comment contenter le roi de France ? En installant un leurre, tout juste défendu pour mettre en échec un commando de quelques hommes… Officiellement, le corps de Napoléon reposerait à Sainte-Hélène. Concrètement, il serait sous bonne garde au bord de la Tamise. Car on ne pouvait exclure un coup de force d’une forte troupe, de l’ordre d’un bataillon. A l’annonce d’une telle nouvelle, l’Angleterre aurait avoué, triomphante : « vous ne vous êtes emparés que d’un imposteur, les cendres de Napoléon sont toujours entre nos mains ! ».
3/ Il reste la raison pathologique.
Celle-ci se base sur la « folie » de Georges IV, personnage dépravé, aux tendances narcissiques, voire homosexuelles (se rappeler de ses rapports particuliers avec le dandy Brummell ). Et selon toute vraisemblance, nécropathe. Il n’est pas exclu qu’il ait voulu s’approprier un glorieux trophée. La manière indécente dont il fit ouvrir les tombeaux de ses prédécesseurs semble plaider en ce sens (cf. le témoignage de Francis Frith, artiste-peintre de l’époque victorienne). Des preuves, en avons nous ? Non, sauf ce profil psychologique inquiétant dont les tendances morbides ne sont pas absentes. Ajoutons que dans cette hypothèse également, la date de la substitution peut être placée en 1821
Reste à répondre à la dernière question :
D- Comment s’est réalisée la substitution ?
Là encore, nous sommes dans les ténèbres ! Je ne suis sûr de rien. Etait-ce bien Cipriani ? Selon toute probabilité, oui… Mais je le rappelle une dernière fois : pour établir la substitution, il n’est pas indispensable d’expliquer « comment » ! C’est préférable, sans doute et c’est pourquoi je ne me dérobe pas au débat.
Nous savons que Cipriani s’est suicidé parce qu’il avait trahi (si cela n’était pas vrai, comment expliquer que Napoléon ne l’ait pas revu, ni vivant, ni mort et que , de plus, il ne l’ait pas couché sur son testament ou signalé l’intérêt à prendre soin de sa famille et de ses 2 enfants ?). En ce cas, c’est par l’arsenic. Lowe a dû soupçonner un empoisonnement, un meurtre pour se débarrasser d’un traître. O’Meara se sera chargé de prélever les intestins où résidait la preuve. Peut-être l’estomac également.
Cette éviscération a pu contribuer à la bonne conservation du cadavre, surtout si celui-ci a bénéficié de l’abri d’un cercueil en fer-blanc. Douteux, mais pas impossible. Ou alors, les Anglais se sont assurés du corps de Cipriani dès après son inhumation pour l’autopsier et ont décidé de l’embaumer. Dans quel but ? C’est ce que nous ne pouvons dire. A moins que, dès cet instant, ait germé l’idée de la substitution. Nous ne le cachons pas. C’est la partie la moins étayée de la démonstration de Rétif. C’est par là qu’elle est le plus facilement attaquable. Et les légalistes n’y ont pas manqué ! Avouons, cependant qu’il est bien difficile de rapporter des preuves dans une affaire où le criminel s’est employé à les effacer très sérieusement.
Il n’est pas dit cependant que de nouvelles pièces n’apparaîtront pas. Ceci, toutefois, n’obère absolument pas la réalité de la substitution… Alors, au lieu de sauter comme un cabri sur vos chaises en répétant à satiété : « les témoins n’ont pu mentir ! les témoins n’ont pu mentir ! », penchez vous, Messieurs les légalistes, sur les fameuse distorsions entre les détails de l’inhumation de 1821 et ceux de l’exhumation de 1840 et peut-être serez vous touchés par un rayon d’évidence !
Je rappelle d’ailleurs, que ces nobles témoins - au-dessus de tout soupçon – ont bel et bien menti dans l’affaire du masque ; sans doute était-ce dans une louable intention : favoriser l’essor de la légende impériale ! Ils n’en ont pas moins tous menti, et aucun n’a parlé, sauf Saint-Denis (Ali) quand on lit entre les lignes le passage concernant le masque et Antommarchi !
Mais, sans vouloir vous taxer d’ânes à mon tour, Messieurs les légalistes, il faut que vous compreniez que s’ils ont menti sur l’affreuse supercherie dont ils ont été les acteurs involontaires, c’était aussi dans une très louable intention : empêcher la guerre entre la France et l’Angleterre. Cette raison ne vous paraît pas suffisante ? Eh bien, c’est que vous ignorez sans doute qu’à cette époque l’intérêt supérieur de la Nation l’emportait sur toute autre considération, fusse-t-elle la gloire et la conservation des Cendres impériales ! Je ne me prononce pas sur leur décision qui sans doute –pour une large part- a été imposée par Louis-Philippe…
Cependant, en tout état de cause, en examinant les indices sérieux, graves et concordants collationnés par Georges Rétif de la Bretonne et contrôlés rigoureusement par mes soins, je maintiens que l’exhumé de 1840 n’est pas Napoléon ; c’est mon intime conviction, basée sur le dossier que j’ai rappelé au public en septembre 2000, et auquel se sont rajoutés depuis de nouveaux éléments de preuve, comme la mèche « de Bovis » ou le quatrième cercueil de 1840 inlogeable sur le corbillard de 1821 ! Pour toute autre « notabilité » , avec un dossier pareil, en cas de doute, sa famille obtiendrait du Procureur de la République une exhumation pour procéder à une vérification d’identité…
Dans ces conditions, j’affirme sur mon Honneur, en conscience et en toute sérénité que les Cendres de l’Empereur ne sont pas aux Invalides.
Dernière édition par Bruno Roy-Henry le 26 Fév 2006 13:02, édité 1 fois.
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