L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 18 Juin 2005 10:15 
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Légistes ès reliques

En véritables enquêteurs du passé, les paléo-pathologistes font parler des crânes ou des momies à l'aide des techniques les plus modernes. Et en profitent pour briser quelques mythes.

Par Nathalie RAULIN

samedi 18 juin 2005 (Liberation - 06:00)




e sont les nouveaux détectives de l'Histoire. On les sait radiologues, cardiologues, pharmacologues, dentistes ou chirurgiens ; ils se disent aussi «paléopathologistes». Car, au-delà de leurs activités cliniques, cette petite trentaine de médecins français partage une passion dévorante : étudier les maladies qui stigmatisent les ossements humains, reconstituer la vie de grands anciens et élucider leur mort. Rien ne les excite davantage que de jouer les fossoyeurs de rumeurs populaires, les redresseurs de chroniques anciennes ou les chasseurs de mystification. L'abondance de fragments de saints dépecés par leurs contemporains pour les besoins de la pratique religieuse ne pouvait qu'exciter la curiosité de ces amateurs de vestiges humains. De quoi bouleverser l'histoire posthume de sainte Afra, sainte Roseline de Villeneuve ou saint Aubert, le fondateur de l'abbaye du Mont Saint-Michel.

Une fiole dans le crâne d'une sainte

Hôpital Lariboisière à Paris, laboratoire de toxicologie-biochimie. Philippe Charlier, anatomopathologiste, et Joël Poupon, pharmacologiste spécialiste des métaux, se penchent sur la lunette binoculaire avec des airs de conspirateurs. Sur l'écran de l'ordinateur voisin, l'objet de leur fascination apparaît mille fois grossi : des milliers d'esquilles d'os déclinant la gamme des ivoires (du blanc translucide à l'orange caramel), quelques morceaux de quartz, des fibres. Et puis vient la jubilation. Les deux scientifiques repèrent un poil puis plusieurs grosses particules charbonneuses. Du jus de putréfaction, avec un peu de chance. L'air du petit flacon de verre soufflé du XVe siècle qui abritait 18 grammes de poussière d'os est aspiré sous vide pour en vérifier la pureté. Satisfaits, les deux scientifiques rassemblent leurs échantillons : ces restes, qui passent pour être ceux de sainte Afra ­ prostituée convertie au catholicisme et martyrisée en 304 à Augsbourg (Allemagne) pour avoir refusé de sacrifier au dieu païen ­, n'auront bientôt plus de secrets pour eux.

Au programme : imagerie à rayon X et fibroscopie souple de la relique. Un crâne apparaît d'emblée au scanner mais de si petite taille que les chercheurs sont saisis d'un doute. «On distinguait bien une sorte de frontal mais pas une figure humaine, explique le Dr Charlier. Or, à cette époque, il était fréquent de substituer les ossements des saints par des parties de squelettes d'animaux. Le sacré primait sur la véracité du vestige.» Un examen approfondi les persuade qu'ils sont en présence de la partie supérieure d'une boîte crânienne humaine. Mais si fracturée, si ramassée, qu'elle est presque méconnaissable. Surtout, l'examen radiologique leur dévoile un incroyable secret : le crâne abrite une forme oblongue de vingt centimètres de long, remplie de matière granuleuse. Profitant d'une petite déchirure dans le tissu, les scientifiques extraient à l'aide d'un fibroscope une petite urne de verre. Son bouchon est fait d'un parchemin, couvert d'une lettrine courante au XVIIe siècle. A en croire les inscriptions baroques, la relique de sainte Afra dissimule d'autres trésors : les poussières d'un saint Claudien, d'un saint Philippe, d'une sainte Victoirien. «Ce travail nous monopolise des nuits blanches ; c'est un peu le Da Vinci Code tous les jours», sourit le Dr Charlier.

La relique bavaroise aurait sombré dans l'oubli si le hasard ne s'en était mêlé. Le galeriste parisien qui a repéré la bourse de tissu vert la renfermant soupçonne que la paléopathologie peut contribuer à lever le mystère qui entoure l'objet. Au collectionneur privé barcelonais qui se porte acquéreur de la dépouille de sainte Afra, il parle des travaux du Dr Charlier, locomotive de cette discipline pas encore structurée en France. «La discipline existe, mais ses praticiens sont disséminés sur le territoire, confirme le médecin. Exception faite du laboratoire de parasitologie de Reims, qui a contribué de manière décisive à lever le voile sur la mort de la maîtresse du roi Charles VII, Agnès Sorel (empoisonnement au mercure, Libération du 4 avril 2005, ndlr), il n'existe pas de centre de paléopathologie à proprement parler.»

Des fossoyeurs de légendes

Pour orienter leurs investigations, les paléopathologistes s'appuient sur les recherches des anthropologues et des historiens. Sollicités, Jannic Durand du département des objets d'art du musée du Louvre et Maximilien Durand de l'Institut national du patrimoine les ont briefés sur la multitude des béatifiés : «Avec le triomphe du christianisme au cours du IVe siècle, on prend l'habitude de fragmenter les restes des saints pour répondre au désir des communautés chrétiennes de posséder chacune dans leur sanctuaire un vestige tangible des martyrs de la foi.» Et les deux experts de préciser : «A la fin de la période médiévale, les saints appartiennent à un groupe de martyrs qui n'ont pas d'individualité propre. L'exposition des restes confère alors au corps saint une identité visuelle qui pallie l'absence de connaissance de sa biographie.»

L'étude des reliques relève souvent de colin-maillard et les scientifiques n'en sont que plus méticuleux. Jusqu'à parfois bousculer les mythes. Le 22 avril 2003, une équipe de scientifiques, emmenée par Pierre-Léon Thillaud, enseignant à l'Ecole pratique des hautes études, décide d'osculter le crâne perforé, conservé dans l'église Saint-Gervais d'Avranches (Manche), réputé être celui de saint Aubert. Selon la légende, l'Archange aurait porté un violent coup de lance à la tête de l'évêque qui n'aurait plus dès lors vécu que pour ce grand oeuvre. Premier constat de l'équipe médicale : à observer le tissu osseux, la perforation presque circulaire observable sur l'os pariétal droit a cicatrisé du vivant de l'homme. Un accident ou une mise en scène post mortem pour accréditer la légende sont donc à exclure. L'absence de remaniement cellulaire anarchique permet bientôt d'écarter aussi l'hypothèse d'un cancer. Le bourrelet osseux régulier qui borde la perforation ne semble pas non plus compatible avec une maladie infectieuse. Surtout, l'examen permet de rectifier le diagnostic rendu au XIXe siècle par le célèbre professeur Brocat. «Il considérait que tout trou dans la boîte crânienne avait pour origine une trépanation, précise Pierre-Léon Thillaud. Il est intéressant de constater qu'à un siècle et demi d'intervalle, la science contredit la science. Car nous sommes formels : il ne peut pas non plus s'agir d'une trépanation réalisée du vivant de l'évêque et auquel ce dernier aurait survécu.» Pour l'équipe du chercheur, l'énigme n'offre qu'une solution : saint Aubert souffrait d'un kyste épidermoïde de la voûte, une affection bénigne qui déforme de manière convexe le cuir chevelu du vivant du patient et qui à sa mort révèle une perforation spectaculaire du crâne. De celles qui font les légendes.

Un catho-commando dans un labo

Cette traque de la vérité historique n'est pas forcément du goût de tout le monde. Certains paroissiens n'entendent pas se laisser déposséder sans résistance du mystère de leurs saints. Gilles Grévin, anthropologue au CNRS, en a fait l'expérience. Deux mois durant, ce spécialiste des os brûlés a ausculté la momie de sainte Roseline de Villeneuve pour tenter d'identifier l'origine des taches blanches qui étaient apparues sur ses mains et ses pieds : «Quand nous lui avons expliqué le but de nos recherches, l'archevêché s'est montré plus que compréhensif, coopératif. Ce ne fut pas le cas des ouailles. Un jour, un petit commando a débarqué dans le labo pour vérifier que nous n'avions pas déshabillé la sainte ! D'autres ont envoyé une pétition à mon ministre de tutelle.»

L'équipe de Grévin n'est pas au bout de ses surprises. Selon un document authentifié, le corps de Roseline, ancienne moniale, inhumée en pleine terre en 1329, aurait été exhumé intact, puis exposé depuis dans une chapelle rurale près d'Arc-sur-Argens. C'est à cette exceptionnelle conservation post mortem que Roseline devrait sa béatification. Le scientifique est vite déçu. En fait de «momie», il découvre un squelette : des insectes nécrophages ont, près de deux siècles plus tôt, pénétré dans la châsse et ravagé le corps, ne laissant que des lambeaux de peaux desséchées. Pis, si la sainte a conservé figure (presque) humaine, elle le doit à un subterfuge. En 1894, deux docteurs italiens ont entrepris de la restaurer : pour conserver l'illusion d'un corps d'un seul tenant, ils ont introduit une tige de fer le long de la colonne vertébrale jusqu'au crâne. Surtout, ils ont «rhabillé» la sainte en reconstituant, grâce à un mélange à base de cire d'abeille, les parties visibles du corps. Les taches qui avaient attiré l'attention de l'anthropologue ne sont que la conséquence de l'altération des produits utilisés par les Italiens. D'où la déception des scientifiques qui constatent à leurs dépens l'aspect le plus trivial de leur discipline : la paléopathologie est aussi l'art de débusquer les mises en scène...


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Message Publié : 18 Juin 2005 10:56 
Heureusement, rien de tel pour Napoléon!

Lui est naturellement bien conservé grâce au cercueil de plomb. :16:

Même la mort aux rats retrouvée dans ses cheveux s'y est mise de manière naturelle - sans doute produite par son cancer. :diablotin:

Triste! :6:


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Message Publié : 18 Juin 2005 11:15 
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Inscription : 14 Déc 2002 16:30
Message(s) : 15636
Bien sûr ! Comme chacun sait, le cancer de l'estomac produit naturellement de la mort-aux-rats ! :16:

C'est la grande trouvaille des "légalistes" du XXIème siècle ! :baton:


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Message Publié : 19 Juin 2005 11:20 
Il faudrait trouver LA personne qui a assez d'influence ou de pouvoir de décision pour lancer ces analyses. :neutral:


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